Zero Dark Thirty Jessica Chastain ?
Universal

Rediffusé ce soir, Zero Dark Thirty comprend une scène très forte, mais assez énigmatique. Décryptage.

A l'occasion de la diffusion de Zero Dark Thirty, sur W9, retour sur l'une de ses séquences les plus mémorables.

Avertissement : Mieux vaut lire cette analysé APRES avoir vu le film, car le sujet de cet article est lié à la dernière image de Zero Dark Thirty. Tout le monde a beau connaître l’issue de la traque qui a abouti à l’exécution de Ben Laden, chacun peut légitimement se réserver le droit de découvrir comment Kathryn Bigelow a choisi de conclure. Il est donc conseillé aux allergiques à ce qu’on appelle les spoilers de ne pas lire avant d’avoir vu le film. Dont l’une des dernières images, donc, montre le personnage de Maya (Jessica Chastain) en train de verser des larmes. Celles-ci ont soulevé beaucoup d’interrogations. Toute réponse est valide : l’épuisement, le soulagement, la satisfaction d’avoir enfin atteint son but après dix ans d’efforts acharnés ; la frustration aussi d’être privée d’un os à ronger. Autant d’informations complexes qui se contredisent tout en se complétant.

Les larmes de Peckinpah
Une autre interprétation, un peu tirée par les cheveux, est peut-être à chercher dans l’ADN cinématographique de la réalisatrice Kathryn Bigelow. Ce qui nous fait remonter dans le temps. A l’occasion du 50èmeanniversaire du festival de Locarno en 1997 (alors sous la direction de Marco Muller), les organisateurs avaient demandé à 28 cinéastes américains de mettre en avant un film qu’ils tenaient pour important, mais qui n’avait pas eu le succès mérité. L’ensemble des textes écrits pour l’occasion a été publié sous la direction de Bill Krohn dans Feux croisés (éditions Actes Sud). Pour donner des exemples, David Lynch a choisi LolitaOliver Stone La canonnière du Yang Tse. De son côté, Kathryn Bigelow citait La horde sauvage. Dans un texte à la fois passionné et solidement argumenté, elle racontait comment, à l’époque où elle étudiait les beaux-arts à New York, elle est tombée par hasard sur une projection du film de Peckinpah dans un cinéma de Bleecker street. Sa description de l’expérience relève de la révélation mystique : "En regardant les jeux de lumière du projecteur sur l’écran, j’ai eu le souffle coupé, j’ai été transformée. Comme Goya dans sa série des Désastres de la guerre employait la gravure pour dévoiler les aspects les plus sombres de la nature humaine, Peckinpah grave l’écran, l’inonde de sang pour éclairer son sujet. Son sujet, c’est l’honneur, ce n’est pas la violence".

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D’un coup, en se demandant comment un pinceau de lumière traversant la salle pouvait générer des sentiments d’une telle intensité, elle a su quelle direction donner à sa vie: "Avant cela, je n’avais jamais songé à faire du cinéma, mais avec La horde sauvage, j’ai vu qu’il était possible d’intégrer dans un même texte le viscéral, le cathartique, le sensuel, l’intellect et la réflexion. Ce film parle du cinéma autant qu’il raconte une histoire. Le faisceau du projecteur dans cette séance de nuit a marqué un changement irrévocable dans ma propre histoire".

Quand on connaît le cinéma de Kathryn Bigelow, rappeler que La horde sauvage est une influence majeure relève de la litote. Bigelow citait Peckinpah d’une façon à peine voilée dès le premier long-métrage qui l’a révélée en France : Aux frontières de l'aube, qui raconte l’histoire d’une bande de hors-la-loi romantiques, est un western à peine déguisé en film de vampires. Par la suite, la réalisatrice a toujours gardé un lien plus ou moins lointain avec son modèle. On peut imaginer aussi qu’elle l’a étudié de près, sa vie comme son oeuvre. Et il en reste toujours des traces, conscientes ou non.

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Dans Zero Dark Thirty, le personnage de Maya qui pleure après avoir consacré dix ans de sa vie à un projet à l’issue incertaine rappelle une anecdote légendaire : juste après avoir tourné le dernier plan de La horde sauvageSam Peckinpah se serait isolé pour pleurer. Pourquoi ? Encore une fois, toutes les hypothèses sont bonnes : soulagement, accès de dépression consécutive à l’arrêt brutal d’une période d’activité intense… On sait aussi que Peckinpah avait la conviction de n’avoir jamais approché d’aussi près l’adéquation entre ce qu’il avait imaginé et ce qu’il avait réalisé. Autrement dit, il avait atteint son but, ce qui est assez rare dans ce métier, et ses larmes auraient été (en partie) l’expression d’un sentiment d’accomplissement, même si elles résultaient aussi d’autres sentiments complexes. Y a-t-il un lien conscient entre les larmes de Peckinpah et celles du personnage joué par Jessica Chastain ? Peut-être, peut-être pas. Le rapport serait insignifiant si on ne trouvait un autre possible lien avec un autre film de Peckinpah.

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Et maintenant, on va où ?
A la fin des Chiens de paille, le personnage joué par Dustin Hoffman se retrouve hébété après avoir déployé une considérable énergie pour défendre sa maison contre des agresseurs brutaux. Il s’apprête à reconduire David Warner, qui lui dit "A partir d’ici, je ne sais pas comment rentrer chez moi". Hoffman lui répond : "moi non plus". Cet échange rappelle la question que pose Jason Clarke à Jessica Chastain à la fin de ZDT "Et maintenant, où veux-tu aller ?"

Nous avons demandé à Jessica Chastain ce que signifie pour elle cette dernière scène. On lui laissera le mot de la fin. "C’est ma scène préférée, dit-elle. Il faut rendre hommage au courage de la réalisatrice pour finir son film sur une interrogation. Et il n’y a jamais de réponse. Ce n’est pas seulement à Maya que cette question se pose. Mais c’est à nous en tant que pays, et en tant que société. Zero Dark Thirty n’est pas un film patriotique américain. Il se termine avec ce personnage qui se demande qui elle est, ce qu’elle est devenue et si ça valait le coup de faire ce qu’elle a fait. Elle ne glorifie pas la violence, mais elle a ce moment perdu où elle se remet en question. C’est une façon d’ouvrir un débat d’une grande importance. Après une décennie, rien n’est fini. Nous n’avons aucune idée de ce que nous réserve l’avenir. Il reste encore tant à faire."

Bande-annonce :