Christian Bale dans The Pale Blue Eye
Netflix

Barbu et l’œil froncé, Christian Bale enquête sur une série de meurtres horribles et s’adjoint les services d’un jeune étudiant : Edgar Allan Poe. Pas si fantastique que ça…

Alors que le murder mystery envahit les salles, les plateformes et même la télé (ça va de Glass Onion à Mort sur le Nil ou Coup de théâtre et on attend la prochaine série de Rian Johnson, Poker Face) on aurait pu penser que ce serait amusant de lancer sur les traces d’un meurtre effroyable le père même du genre : Edgar Allan Poe. Malheureusement, Scott Cooper ne va  pas aussi loin que ça.

Dans The Pale Blue Eye, en ligne sur Netflix depuis vendredi, l’écrivain du Double assassinat dans la Rue Morgue (incarné à la perfection par Harry Melling, le Dudley Dursey de Harry potter) n’est que le sidekick (assistant et rapidement principal suspect) du véritable enquêteur Augustus Landor joué par Christian Bale.

Landor, veuf inconsolable et dont la fille s’est récemment fait la malle, est engagé par l’Académie militaire de West Point pour trouver l’assassin d’un cadet de l’école. Un élève a en effet été retrouvé pendu avec le coeur arraché. Nous sommes aux alentours de 1830. Il neige beaucoup dans l'Etat de New-York. Landor, avec sa gabardine élimée, son haut de forme de travers, sa barbe de bûcheron et son flegme bravache, ressemble à un ancêtre des privés qui écumeront les avenues de L.A plus de cent ans plus tard. Il en a le look, la mélancolie mystérieuse, l'alcoolisme désespéré et la puissance de déduction. Rapidement, en arpentant le campus de l'Académie militaire, il croise Edgar Poe, jeune étudiant romantique, qui lui offre donc son aide et ses intuitions géniales.



À partir de là, le film s'enfonce dans un bourbeux territoire fantastique et multiplie les rebondissements farfelus ou les coincidences bancales, faisant progresser l’intrigue de manière totalement erratique jusqu’à un climax aussi sanglant que grotesque. Cooper marche clairement sur la piste de Burton (celui de Sleepy Hollow) et se rêve en magicien échevelé des songes, glissant sur les eaux épaisses et noires de l'inconscient collectif et des fantasmes creepy.

C'est cela qu'incarne très passivement Landor, qui ne fait qu'écouter les presciences de Poe, rencontre l'étrange couple formé par un médecin et sa femme mystérieuse (joués avec outrance par Toby Jones et une Gillian Anderson à la dentition immonde), un expert en occultisme (Robert Duvall, qui a décidé de rester assis sur ce coup-là) et une aubergiste sexy (Charlotte Gainsbourg qui, elle, joue couchée). Mais à l'issue de son voyage ? Pas grand chose : sous ses oripeaux gothisants, derrière les clins d'oeil à l'oeuvre de Poe (on a le droit à un corbeau qui croasse et à la récitation de poèmes) le cinéaste ne produit rien d'excitant.

Assez bien emballé (la photo de Masanobu Takayanagi entre les extérieurs hivernaux, les intérieurs plus chauds et l'ambiance gothique est somptueuse), le film se perd en fait dans une deuxième partie abracadabrantesque : ni conte, ni allégorie, ni véritable enquête, The Pale Blue Eye échoue donc à trouver son sujet (la solitude existentielle ? La foi contre la raison ? Une critique de la rigoureuse et très conservatrice éducation militaire ?) et on doit se contenter des performances d'acteurs. Christian Bale est égal à lui-même, Melling compose un Poe à la fois fragile et sur de lui, ambigu, et Gillian Anderson s'amuse à jouer l'épouse (f)rigide et un peu folle. Pour ceux qui veulent du fantastique gothique, du Poe et des stars, le tout dans un écrin extravagant, on conseillera plutôt le fabuleux coffret Roger Corman sorti récemment chez Sidonis.