Spider-Man: Across the Spider-Verse
Sony

Rencontre avec les réalisateurs de cette suite au festival du film d'animation d'Annecy.

Après avoir fait vibrer le public d'Annecy avec la présentation des premières images de Spider-Man : Across the Spider-Verse, les réalisateurs Justin Thompson, Kemp Powers et Joaquim Dos Santos recevaient la presse à la chaîne dans un palace proche du lac. Le trio nous en dit plus sur l'origine du film, la place de Miles Morales et le nouveau méchant, The Spot.

L'Oscar remporté par le précédent film vous a-t-il donné carte blanche pour aller encore plus loin avec Across the Spider-Verse ?
Justin Thompson
 : Oh que oui ! Même si le studio nous avait déjà accordé une confiance dingue avec New Generation... C'était un peu comme faire un film indépendant avec un budget de 100 millions de dollars (Rires.) On n'avait pas vraiment de règles, on voulait juste traduire visuellement des comics en animation. Mon moment préféré de la création du premier film (NDLR : sur lequel il a travaillé en tant que chef décorateur), c'est quand on a réuni tous les gens du studio pour leur montrer quelques scènes terminées. Et là, un type dit : « Je crois que j'ai oublié mes lunettes 3D » (Rires.) Mais au bout d'une minute, il a été pris dans l'histoire et il a dépassé ce rejet. Visuellement, le film était comme ça, et ça lui allait finalement très bien. Ce qui, à mon sens, montre bien à quel point un bon scénario peut tout faire passer. C'est pour ça qu'on s'est autorisé à aller encore plus loin avec la suite, en trouvant d'autres styles de comics, d'autres formes de dessins, d'autres formes d'expression. Bref : on voulait toucher du doigt les limites de ce médium. Qu'est-ce qu'on pourrait faire avec l'animation dont on ne pourrait même pas rêver en live action ? C'est ça qui nous guide.

New Generation aurait pu faire exploser tous les codes de l'animation hollywoodienne, mais pour l'instant le film reste une exception. Pourquoi les studios ont autant de mal à donner une liberté totale aux artistes, même quand ils ont sous le nez la preuve que cela peut aussi faire naître un objet commercialement viable ?
Kemp Powers 
: Parce que l'animation coûte très cher, et qu'ils ont peur de ne pas rentabiliser s'ils ne parlent pas au plus grand nombre. Ce n'est pas plus compliqué que ça. Les gens ne se rendent pas compte que des projets comme ceux de Pixar coûtent autant qu'un film Star Wars. Et le processus même de création de l'animation coûte un fric fou et prend un temps dingue. C'est un marathon, mais à la vitesse d'un sprint.

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J'ai la sensation qu'Across the Spider-Verse réfléchit encore plus que New Generation à ce qu'est l'art, et à ce que représentent les comics. Il y a cette très belle idée de se servir de l'aquarelle pour représenter l'état émotionnel de Gwen, ou encore The Spot, ce méchant qui utilise littéralement des taches d'encre comme armes en en faisant des portails interdimensionnels.
Joaquim Dos Santos :
Oui, vous avez certainement raison. Mais il faut absolument que ce ne soit pas que de la coquetterie. L'objectif est de décrire au maximum le personnage en utilisant le moins de mots possible. The Spot fait par exemple évidemment penser à l'artiste qui tache sa page avec de l'encre. OK, et après ? L'image est jolie, mais au-delà de ça, on raconte quoi ? En fait, on se sert de ça pour montrer le chaos que sème ce personnage. Le voir utiliser ses pouvoirs, c'est déjà décrire sa nature.

Kemp Powers : Et il y a tout le côté physique du personnage qui entre en jeu. J'ai beaucoup joué aux jeux vidéo dans le passé, et j'étais très fan de Portal. J'y pensais énormément quand on a créé The Spot. Comment ces portails allaient générer de l'élan ? Qu'est-ce qu'ils pourraient vraiment lui permettre de faire ? Le potentiel du personnage nous semblait infini. Et pourtant, si vous faisiez un sondage sur les méchants de Spider-Man, The Spot serait sûrement tout en bas de la liste ! Le truc vraiment génial, c'est qu'on a la liberté de raconter exactement l'histoire qui nous fait vibrer.

Quelles ont été les discussions initiales avec Chris Miller et Phil Lord, les producteurs et scénaristes, quand vous êtes arrivés en tant que réalisateurs ? Il fallait secouer un peu la formule ?
Justin Thompson
 : Oui et non. Dès le tout début, on aimait collectivement l'idée qu'après avoir avoir invité ces « Spider people » dans l'univers de Miles, Miles allait lui-même visiter leurs univers. Ensuite, à partir de ce minuscule synopsis, on s'est demandé ce qu'on pouvait construire autour et ce qui pouvait motiver Miles à faire ce voyage.

Kemp Powers : Dans le premier film, on voit des petits bouts de ces univers, et je me souviens que j'avais une envie dingue de les explorer. C'est fascinant de réfléchir au langage visuel de ces mondes, et de ce à quoi ces personnages ressemblent quand ils y sont. On voit un peu ça dans le teaser : quand Miles change d'univers, son physique change aussi. Et au début, on n'avait AUCUNE idée de la façon dont on allait parvenir à ce type de résultat ! Le vrai kiff, c'est de chercher. Tenez : mon super-héros préféré, c'est sûrement Robin. Et ce qui le rend si spécial, c'est que quand il saute d'un immeuble, il trouve une façon de sauver sa peau pendant qu'il est en train de tomber. L'animation, c'est exactement ça (Rires.) C'est pour ça que c'est si intense, et c'est comme ça qu'on trouve l'essence d'un personnage.

Joaquim Dos Santos : Parfois, on demandait aux artistes de faire des simulations de trucs totalement abstraits, des techniques d'animation qui ne devraient pas aller ensemble. On jouait aux apprentis sorciers (Rires.) Et puis tu regardes le résultats, et wow. Ca fonctionne.

Justin Thompson : Mais il fallait absolument que ça reste un film centré sur Miles et sa famille. Parce que c'est à lui que le public s'est accroché durant le premier film, à ce gamin un peu paumé qui a désormais 15 ans et a besoin d'explorer pour se comprendre lui-même. Et il ne fallait absolument pas perdre ça de vue.

Et le concept de multivers peut facilement accaparer toute l'attention...
Joaquim Dos Santos :
Exactement. Moi le premier d'ailleurs. En tant qu'artiste, j'ai tendance à me laisser emporter par les possibilités d'un concept pareil. Mais un truc était évident hier, lors de la présentation du film à Annecy : le public s'est emballé quand on a montré Miles avec sa famille. Qu'on se comprenne bien : les grosses scènes d'action sont super, mais Miles est le lien avec les spectateurs. Sans lui, pas d'identification. Et donc on pourrait réaliser des scènes ultra spectaculaires autant qu'on voudrait, ça n'aurait pas le même effet.

Kemp Powers : Le multivers peut facilement devenir un gimmick. Mais pour nous, c'est un outil qui nous permet de revenir au cœur de cette histoire. Dans le premier film, il y a cette phrase : « N'importe qui peut porter le masque. » Très bien, mais concrètement, ça veut dire quoi quand plein de gens extrêmement différents portent le masque ? Je crois que c'est de ça dont parle Across the Spider-Verse.

Spider-Man : Across the Spider-Verse, le 31 mai 2023 au cinéma.