Malgré l’aura de Michael B. Jordan et quelques belles idées de cinéma, le trip historique et fantastique du réalisateur de Black Panther souffre de son propos confus.
Sinners, le nouveau film de Ryan Coogler, arrive au cinéma (ce mercredi en France et vendredi aux Etats-Unis) précédé par un buzz exceptionnel. Avec 100% d’avis positifs sur Rotten Romatoes, il serait selon la critique US l’oeuvre la plus accomplie du cinéaste américain au parcours éclectique jalonné de succès (Fruitvale Station, Black Panther 1 et 2, Creed).
Réalisateur, mais aussi scénariste et producteur, Coogler s’est beaucoup investi dans ce projet ultra ambitieux. Et Warner Bros. aussi, qui lui a offert une belle enveloppe de 90 millions de dollars pour raconter cette histoire mêlant film historique et cinéma fantastique.
Dans Sinners, Coogler retrouve Michael B. Jordan, son acteur fétiche, qui incarne deux frères jumeaux gangsters (Smoke et Stack) de retour dans leur Mississipi natal du début des années 1930, après avoir combattu lors de la Première Guerre Mondiale puis fait fortune à Chicago.

Aussitôt arrivés, ils retrouvent leur cousin Sammie (Miles Caton, une jeune chanteur qui fait ses premiers pas au cinéma), les femmes qu’ils avaient abandonnées en partant (Hailee Stanfield et Wunmi Mosaku) et un vieux musicien alcoolique (Delroy Lindo). Les jumeaux déroulent leur plan : lancer un nouveau juke joint - un débit de boisson typiquement afro-américain où l’on danse ou joue de l’argent sur fond de blues - le soir-même.
Le Sud raciste de la prohibition est parfaitement reconstitué, Michael B. Jordan éclabousse l’écran de son aura et Coogler filme les champs de coton et les corps avec passion dans un format IMAX qui en met plein la vue. Mais, quand au bout d’une grosse heure d’exposition le film bascule enfin, au coeur de la fête, dans une séquence onirique un peu ringarde, sa jolie partition commence à enchainer les fausses notes.
Entre Une nuit en enfer et Us, Sinners s’interroge sur le pacte avec le diable que ses personnages doivent conclure pour s’élever. Les jumeaux qui ont racheté l’ancienne scierie du coin avec de l’argent sale pour la transformer en club. Leur cousin, fils de pasteur, qui rêve de devenir chanteur et joue de la musique profane dans un lieu de débauche. Mais quand le mal, incarné par une bande de vampires pèquenauds qui chantent de la folk, frappe à la porte, faut-il lui ouvrir ?

Loin de porter le propos de Coogler, la dimension fantastique de Sinners amène surtout de la confusion, jusqu’à sa scène scène post générique au sens carrément opaque. Un ingrédient sans doute indispensable pour vendre le film comme un objet mainstream, et justifier son budget, mais qui gâche un peu la recette. Un amalgame loupé qui souligne au passage le talent rare de Jordan Peele, orfèvre de ce mélange des genres utilisant le surnaturel tel un cheval de Troyes pour rentrer dans l’esprit du spectateur.
Ryan Coogler voulait réconcilier ses origines de jeune auteur primé à Sundance (avec Fruitvale Station), avec sa stature de hit maker capable de faire parler sa patte dans les plus grosses franchises (Marvel et Rocky). Un tentative de compromis qui aboutit à un film hybride mal maitrisé, dont on ressort en se demandant lequel il avait vraiment dans les tripes ? La reconstitution engagée ou l’orgie vampirique ? L'action tombe trop à plat pour qu'on opte pour la seconde réponse. Sans parler du climax peu inspiré qui invoque une autre saga culte de Stallone (Rambo) sans grande conviction.
Sortie de piste ou constat cruel sur les limites du cinéaste Coogler ? A seulement 38 ans, il a encore le temps d'apprendre à danser avec le diable, sans se laisser dicter le tempo.
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