Lire Lolita à Téhéran
© Eitan Riklis

Entretien avec Golshifteh Farahani et Mina Kavani, deux des actrices principales du film d'Eran Riklis, qui rend hommage à la culture dans une société à la dérive.

A travers le pouvoir de la littérature, Lire Lolita à Téhéran explore les questions de lutte contre l'oppression dans une inlassable quête de liberté. Le film d’Eran Riklis est à découvrir au cinéma le 26 mars 2025. Il est adapté du best-seller éponyme de la romancière Azar Nafisi, et raconte l’histoire d’une professeure de l’Université de la capitale iranienne qui, après avoir été évincée, réunit sept de ses étudiantes pour éplucher des œuvres littéraires occidentales. Ces rassemblements ont lieu dans le secret, un moyen de résister à la révolution islamique des années 1980 en célébrant la puissance des mots.

Pour honorer le récit d’Azar Nafisi, Eran Riklis fait appel à des actrices aux parcours exceptionnels. Zar Amir Ebrahimi (Les Nuits de Mashhad et Tatami), Mina Kavani (Red Rose et Aucun Ours) et Golshifteh Farahani (Syngué sabour, Mensonges d'État et Paterson) sont trois comédiennes exilées. Nous avons rencontré ces deux dernières.


 

PREMIÈRE : Les films sur l’Iran, à travers un point de vue féminin notamment, se multiplient. Les graines du figuier sauvage de Mohammad Rasoulof et Tatami, coréalisé par Zar Amir, étaient récemment en salles. On a l’impression que l’actualité mobilise. Vous êtes deux actrices exilées qui ont joué dans un film sur l’Iran en dehors de l’Iran, que pensez-vous de cette parole qui se libère ?

GOLSHIFTEH FARAHANI : Je pense que s'il y a une libération de la parole, elle vient du cœur de l’Iran. C'est une révolution culturelle intérieure énorme qui se déroule aujourd’hui. Il y a des manifestations partout. Certains jeunes continuent de vivre malgré l’oppression. Les histoires qu’on entend sur l’Iran sont impossibles à croire. La jeunesse et les femmes vivent et résistent à l'intérieur du pays. Ce que l’on voit à l’extérieur, ce n’est qu’une petite partie de cette libération. Pour moi, ce qui est impressionnant c'est que malgré toutes les invasions, notre culture a toujours réussi à survivre. Malgré 45 ans d'oppression, un régime brutal et totalitaire, les gens continuent de se sacrifier pour que la culture puisse exister. C’est dans ces moments-là que l’on se sent fière d’être iranienne parce qu'il n’y a pas beaucoup de peuples dans ce monde qui peuvent résister aussi incroyablement devant l'oppression.

MINA KAVANI : C’est vrai que ça fait un moment que ça bouge et maintenant, ça ne fait qu' exploser. On l’a vécu quand on était en Iran et maintenant on le vit différemment à travers la nouvelle génération. A un moment, ça va exploser. On l’attend impatiemment. 

GF : La question n’est pas si ça va changer mais quand ça va changer. Dans 1 an ? Dans 5 ans ? Dans 10 ans ? Peu importe, ça va changer.

En quoi c’était important pour vous de défendre ce projet?

MK: C’était important pour moi de jouer aux côtés de ma Golshifteh. C'était la première fois. C'est incroyable car on se connait depuis longtemps, on est toutes les deux exilées depuis toutes ces années et nos chemins ne se sont croisés que maintenant. Surtout, ce qui était important pour moi, c’était de raconter l’histoire de toutes ces filles, de toutes ces actrices avec qui on a eu la joie de travailler. Chacune a un parcours très différent. Pour moi, c’était assez impressionnant. C’était très émouvant d’interpréter un des personnages du roman de Azar Nafisi parce que je me reconnaissais beaucoup dans Nassrin, mon personnage, qui voulait partir, pensant à son bonheur qui était ailleurs.

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Metropolitan Filmexport

Le réalisateur Eran Riklis, avec qui vous avez tourné Le Dossier Mona Lina, raconte que le choix du casting a été difficile mais que vous, Golshifteh Farahani, étiez une évidence pour le rôle d'Azar Nafisi.

GF : Je pense que j'ai été choisie par Eran parce qu'on a déjà travaillé ensemble. Ensuite, il me semble qu'il a mis deux ans à découvrir les autres filles et donc à rassembler tout le casting du film.

J’ai lu que vous vous sentiez parfois associée à un symbole, malgré vous, qui vous enferme dans certains rôles et que vous aviez aimé jouer dans des comédies comme Un divan à Tunis de Manele Labidi par exemple.

GF : Depuis 17 ans que je suis en France, j’ai toujours refusé de jouer dans des films liés à l’Iran et je n'ai jamais parlé en farsi dans aucun film. Je ne voulais justement pas être enfermée dans une case. Mais je pense que la force de Lire Lolita à Téhéran, c’est l’ensemble, la totalité des forces des filles. Ça crève l’écran.

Qu’est-ce que vous en pensez aujourd’hui avec le rôle central que vous occupez dans ce film ?

GF : Moi, je ne suis rien. J’ai juste amplifié la voix de ceux qui n’avaient pas la parole ces deux dernières années. J'apprends plus sur moi-même dans ce film grâce à mes compatriotes et à mes sœurs. Etre parmi elles, c’était un des plus grands cadeaux que je pouvais recevoir notamment parce que l’on parlait farsi. J’étais étonnée et bouleversée en jouant avec Mina. Il y avait des moments où je la regardais et je lui disais : “Ce que je sens là, est-ce que c’est vrai ?” C'étaient des moments bouleversants. On était une famille. Jouer de façon professionnelle l’une devant l'autre, c’était plus que de la fierté. Mon sang bouillait, c’était de l’amour.

Golshifteh Farahani : "La comédie et moi" [interview]

Et pour vous, Mina Kavani, Golshifteh Farahani représente-t-elle un symbole ?

MK : Golshifteh a quitté l’Iran avant moi. Elle a été la première. Quand elle est partie, il n’y avait pas autant d’actrices exilées en France ou ailleurs. Golshifteh a donné de l’espoir aux actrices et artistes plus jeunes en disant : c’est possible, même si on a grandi sous le régime de la république islamique, c’est possible d’aller à l’extérieur de l’Iran et de travailler avec de grands réalisateurs. Elle me donne toujours de la force dans les moments où je me sens un peu désespérée, fatiguée et que j’ai l’impression que je ne vais pas y arriver. Je vois Goli et ça me redonne de l’espoir. C’est important parce que plus il y a de gens comme elle, plus les femmes vont oser aller vers ce dont elles rêvent, ce qu’elles désirent obtenir. Même si on n’a pas emprunté le même chemin ni eu le même parcours, au final, ce qui est symbolique, et c’est justement ce que dit le film Lire Lolita à Téhéran : on se retrouve au même endroit avec les mêmes émotions et les mêmes problématiques, comme si on était le miroir l’une de l’autre. J’étais très contente quand Golshifteh est venue voir mon spectacle sur scène. Elle m’a dit : “C’était ma vie”. J’étais fière d’entendre ça. Elle n’a pas la même histoire et pourtant, quand elle assiste à mon spectacle, elle se reconnaît en moi. C’est très précieux.

Vous l’avez dit, le film fait écho à ce qu’il se passe en Iran, aux manifestations “Femme, vie, liberté” mais est-ce qu’il ne va pas plus loin ? Ce film qui se déroule pendant les années 80 ne fait-il pas un constat universel ? 

MK : La puissance de ce roman, c’est la façon dont Azar Nafisi raconte la force de la littérature. C’est ce qui me touche le plus et c’est ce qui est universel justement. La manière dont les personnages de romans de différentes périodes de l’histoire peuvent bouleverser le destin de jeunes iraniennes dans les années 1980. C’est là où pour moi c’est universel.

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Un constat universel qui concerne beaucoup de pays où l’on constate un recul des droits de la femme. C’est peut-être dire que personne n'est à l’abri peu importe le pays dans lequel on vit…

GF : De toute façon, aujourd’hui quand on parle de la femme en Iran, on parle de la femme dans le monde. Il n’y a pas seulement, comme on le dit dans le film, les gros pervers en Iran, il y a des gros pervers partout. C’est juste qu'en Iran, c’est un régime totalitaire mais les problèmes que rencontrent les femmes, liées à la justice et à l’égalité, existent partout dans le monde. Même aux Etats-Unis, les femmes ont des problèmes énormes et les livres sont censurés.

Est-ce que selon vous la culture est une arme efficace contre l’oppression politique ? C’est ce que nous dit le film mais est-ce que dans la vraie vie ça marche aussi ?

GF : Je crois vraiment à la force de la littérature, de la culture et de l'art en général. Spécialement pour nous, l’Iran c’est l’art et la culture. C’est sur ça que l’on vit. Dans la pièce de Mina, qui disait “Je vis sur scène, je vis à travers le théâtre”, je reconnais mon pays. Même si on est exilé, l’Iran est présent dans l’art, dans la nourriture que l’on mange ensemble et dans les choses que l’on raconte. C’est pour ça que le régime totalitaire brûle les livres. Je me souviens très bien de ces scènes, je les ai vues de mes propres yeux. Mon père avait des ouvrages interdits et on savait qu’il ne fallait pas en parler ni toucher à une partie de la bibliothèque. L’art est une force gigantesque devant les régimes totalitaires.

Quel livre est votre “Lolita” ?

GF : Si je devais choisir un livre, ce serait sans hésitation Le Petit Prince parce que je l’écoutais quand j’avais 3 ou 4 ans et mon père faisait le renard. C'était un audiobook enregistré au moment du Shah. Ce livre de Saint-Exupéry est dans mon inconscient.

MK : Si je devais en choisir un qui m’a un peu aidée, je dirais Tous les hommes sont mortels de Simone de Beauvoir. C’est un livre qui m’a énormément bouleversée parce qu’il parle de la mort et je vis constamment avec la présence de la mort.

Qui est Zar Amir Ebrahimi, l'actrice des Nuits de Mashhad primée à Cannes ?

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