Le Temps de l'innocence : Saul Bass, un vrai génie des génériques
Columbia Pictures et Cappa Production

Le classique de Martin Scorsese avec Winona Ryder et Daniel Day-Lewis revient ce dimanche sur Arte.

Ou comment ouvrir d'une manière magistrale l'un des plus beaux films de Martin Scorsese.

"Un fond noir, les noms des acteurs qui défilent, une vingtaine de fleurs et roses qui éclosent les unes après les autres derrière une fine dentelle, symbole de l'époque délicate dans laquelle va nous plonger le film" : si on devait résumer le générique du Temps de l'innocence, voilà ce qu'on en dirait en une ligne. Mais ces quelques mots sont loin de vraiment exprimer toute la puissance de cette séquence qui ouvre, tout en métaphores et symboles, le long-métrage réalisé par Martin Scorsese (sorti en septembre 1993 en France). En quelques minutes à peine, Saul Bass installe un univers sensuel et coloré au son des premières mesures de Faust de Gounod, exprime les thématiques - l'époque, l'éclosion, la maturité, la beauté, la délicatesse, l'amour, la répétition -, et dévoile ainsi les enjeux du film.

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La fascination de Martin Scorsese

Cette superbe introduction à un drame sentimental marque la troisième collaboration - après Les Affranchis et Les Nerfs à vif - entre Martin Scorsese et Saul Bass. Le réalisateur, qui a également fait appel au graphiste de génie pour Casino, ne tarissait d'ailleurs pas d'éloges lorsqu'il évoquait celui qui a révolutionné l'art du générique - comme pour ceux des films d'Otto Preminger ou d'Alfred Hitchcock, pour lequel il a conçu certains des plus beaux génériques et affiche de l'histoire. "Ces génériques ne complétaient pas seulement mes films. Ils leur donnaient une autre épaisseur en mettant en scène les thèmes et les émotions d'une manière qui permettait de plonger le public dans le mystère du film sans trop en dévoiler. Et bien sûr, chaque séquence avait un style et une approche différents. (...) Il n'y avait qu'un Saul Bass. C'était un gentleman, un conteur brillant, un collaborateur merveilleux et un artiste vraiment génial. Et, soyons honnête, un géant", a confié le cinéaste en février 2010 (Saul Bass est mort en 1996) dans le magazine Architectural Digest, en précisant que le générique du Temps de l'innocence symbolisait, pour lui, "l'amour qui se renouvelle encore et encore"."Avant de rencontrer Saul Bass, avant de travailler avec lui, il était déjà, à mes yeux, une légende. Ces créations, aussi bien les génériques de films, que les logos d'entreprises, les pochettes d'albums et les affiches, illustraient une ère. Elles distillaient la poésie d'un monde moderne et industrialisé. (...) Saul était un metteur en scène génial. Il avait juste à regarder le film pour comprendre son rythme, sa structure, son état d'esprit - il pénétrait dans son coeur et trouvait ses secrets. (...) La simplicité du travail de Saul et Elaine Bass (sa femme et associée, ndlr) sur ces génériques (Sueurs froides et Les Affranchis ndlr) m'a bluffé car seulement quelqu'un avec une compréhension raffinée de ce que l'on a essayé de faire pouvait créer ça. J'ai été stupéfait à chaque fois que j'ai travaillé avec eux (...) J'ai à chaque fois été émerveillé par leur travail", a confié Martin Scorsese dans le livre Saul Bass : A Life in Film & Design, selon un extrait publié en 2011 par The Telegraph.


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Saul Bass, un graphiste révolutionnaire

Si le travail de Saul Bass, qui concoctait ses créations aux côtés de sa femme Elaine, a envoûté Martin Scorsese, il a également séduit de prestigieux réalisateurs, notamment Alfred Htitchcock (ils ont collaboré pour les besoins de films comme Sueurs froides, La Mort aux trousses ou Psychose), Otto Preminger (Tempête à Washington, L'homme au bras d'or, Autopsie d'un meurtreLe Cardinal et quelques autres), Billy Wilder (Sept ans de réflexion) ou encore Stanley Kubrick (Spartacus). Un vrai plébiscite pour celui qui a fait ses premières armes comme graphiste publicitaire avant de s'attaquer notamment à des affiches du film. C'est d'ailleurs dans ce domaine qu'il s'est fait un nom en bouleversant les codes de l'époque. Oubliées les simples images du film, il mise sur des affiches originales et graphiques et des visuels forts. Un style qu'il reprend dans les génériques bluffants qu'il signe pour le grand écran."J’avais à l’esprit qu’en général l’ouverture des films était totalement ennuyeuse. A mon avis, la première image du film et son générique présentaient la possibilité de créer une ambiance, un état d’esprit propice à la réception, dès le début du film. (...) Un autre point important, c’est l’élément graphique du film qui le représente. C’est son symbole publicitaire et surtout il résume et il donne une opinion du film. Il intègre donc ses caractéristiques. Voilà comment j’ai débuté", expliquait Saul Bass au site Générique-Cinéma.com en 1993 lorsqu'il évoquait son premier générique pour L'Homme au bras d'or. Dans cet entretien, réalisé trois ans avant son décès, le graphiste ne cachait pas que la belle époque du générique était finie pour lui. "Il est très rare maintenant de voir des génériques très bien conçus, percutants. On voit plutôt des choses décoratives.(...) Je crois que la conception du générique a changé. Ce n’est plus comme avant un support du film mais plutôt désormais comme une sorte de divertissement. Cela me laisse perplexe. (...) Mais je veux encore croire à l’importance du générique pour un film comme support indispensable."

L'histoire du Temps de l'innocence diffusé ce lundi soir à 20h55 sur Arte : A travers le portrait d'un homme partagé entre deux femmes et deux mondes, étude minutieuse de la haute société new-yorkaise des années 1870, avec ses intrigues, ses secrets, ses scandales, ses rites désuets et subtilement répressifs.