Ennio Morricone : zoom sur trois BO phares absentes du film
AMLF/Universal Pictures/Le Pacte

Dans le passionnant documentaire que consacre Giuseppe Tornatore au compositeur décédé en juillet 2020, certains pans de sa très longue carrière sont toutefois occultés. Revue très subjective d’effectifs.

Le maestro italien Ennio Morricone est mort le 6 juillet 2020 à l’âge de 91 ans. C’était alors un tout jeune retraité. Son dernier (grand) fait d’armes fut la B.O des Huit Salopards de Quentin Tarantino (2015) pour lequel il avait obtenu le seul Oscar de sa longue carrière (excepté une statuette d’honneur en 2007). Pour tout savoir - ou presque - sur l’itinéraire de ce génie, il faut voir en salles le portrait que lui consacre Giuseppe Tornatore (Ennio) qui s’appuie sur une interview-fleuve du compositeur. « Presque » parce que du haut de ses 500 bandes originales pour le cinéma, il était évidemment difficile de tout couvrir. Le plus passionnant reste paradoxalement ici, le récit de ses années d’apprentissage et ses débuts dans l’industrie de la variété italienne en tant qu’arrangeur de génie. L’entrée en cinéma, elle, date du tout début des sixties accompagnée d’une consécration quasi immédiate grâce à sa riche collaboration avec Sergio Leone. Morricone, formé auprès du compositeur de musique atonale Goffredo Petrassi, s’est logiquement retrouvé dans la roue de cinéastes férus d’innovations formelles (Bellocchio, Argento, Fulci, Bava, Pasolini, Bertolucci, Sollima…) avant d’évoluer dans les très hautes sphères d’un cinéma de plus en plus mondialisé. Voici quelques pierres angulaires morriconesques, injustement passées sous silence dans Ennio de Tornatore.

Le Venin de la peur de Lucio Fulci (1971)

Parmi les angles morts du documentaire de Giuseppe Tornatore, se trouve la veine la plus expérimentale de l’œuvre du maestro, celle qui l’a vu s’engouffrer dans le cinéma de la marge et notamment le giallo à la toute fin des années 60. Morricone a ainsi accompagné les débuts de Dario Argento (L’oiseau au plumage de cristal, Quatre mouches de velours gris, Le chat a neuf queues...) avant que ce dernier ne préfère les nappes progressives de Goblin. Le sommet est atteint avec Le venin de la peur de Lucio Fulci en 1971, cauchemar éveillé sous influence hitchcockienne (La maison du Dc Edwards, Les oiseaux...) où Morricone propose des saillies mâtinées de jazz fusion et de rock psychédélique. Dans ce récit morbide, la musique stridente maintient une sorte d’inconfort permanent au diapason des tourments de l’héroïne. Dans un parfait contrepoint, Morricone compose un thème final volontairement gracieux et langoureux avec des chœurs féminins qui évoquent le travail entreprit avec Sergio Leone. Dans la série d’entretiens avec Alessandro de Rosa publiée chez Séguier, Moriccone affirme : « J’ai toujours été intéressé par la recherche que certains réalisateurs mettent en œuvre avec courage sans se soucier du résultat commercial. »


 

Peur sur la ville d’Henri Verneuil (1972)

Dans Ennio, la partie française ne se limite qu’à la partition du Clan des Siciliens d’Henri Verneuil (1969), sa première vraie – et meilleure ? - incursion au pays des frères Lumière. Aucun mot, en revanche de son travail sur Sans mobile apparentLe casse, L’Attentat, Espion lève-toi ou encore Le Professionnel… La collaboration Morricone-Verneuil est à elle-seule suffisamment riche (six longs-métrages) pour constituer un chapitre entier. Elle débute avec un copro italo-franco-mexicaine (La Bataille de San Sebastian) et s’achève avec un Bébel dans le métro parisien (Peur sur la ville). Le score de Peur sur la ville contient certains gimmicks de l’italien et notamment cette appétence pour les sifflements qui ne cesseront de voyager au-delà des plaines d’Alméria, leur mère patrie. Les sifflements sont ici posés sur des accords angoissés de piano et une orchestration enveloppante. Le thème mélancolique de « Paura Sulla Città » accompagne dès le générique du début, des vues d’un Paris blafard figé dans un crépuscule sans fin. Le reste du score, d’une richesse folle (Desplat est l’un des plus grands fans !) varie les ambiances faussement légères, comme cette valse enlevée : « Minaccia Telefonata N°1 »


 

The Thing de John Carpenter (1981)

« … Il m’avait même confié avoir mis la musique d’Il était une fois dans l’Ouest à son mariage… » raconte Morricone à Alessandro de Rosa à propos de John Carpenter. Pour son premier film de studio, l’américain avait laissé son synthé au garage pour s’offrir le maestro. Morricone ne parle alors quasi pas un mot d’anglais et le rendez-vous à Rome avec l’auteur d’Halloween est un peu manqué. « [Carpenter] s’est éclipsé lors de notre première rencontre, à la fin de la projection (...) il a pris la cassette et s’en est allé, me laissant seul dans la salle… » Ennio y voit, pourquoi pas, une forme de pudeur. Pour la musique de The Thing, le musicien a d’abord enregistré une version au synthétiseur à Rome et une autre avec orchestre, enregistrée à Los Angeles. Carpenter, chantre du minimalisme sonore, ne gardera finalement que la version romaine à la grande surprise de Morricone. En fait, pas tout à fait, puisque le score intégral de The Thing possède aussi des arrangements d’anthologie. Morricone s’inspirera d’ailleurs de ce travail d’orfèvre pour sa partition des Huit salopards de Tarantino.

Ennio, un documentaire de Giuseppe Tornatore. Dist. Le Pacte. Durée : 2h36. Actuellement au cinéma.