Tous les jours, le point à chaud en direct du 78e festival de Cannes.
Le film du jour : The History of Sound d’Oliver Hermanus
Avec The History of Sound, Oliver Hermanus poursuit son exploration des vies minuscules et des émotions contenues commencée avec Vivre. Adapté d'une nouvelle de Ben Shattuck, le film tisse une tapisserie sonore et visuelle d’une rare délicatesse. Paul Mescal et Josh O'Connor composent un duo d’étudiants qui se rencontrent au début du XXème siècle autour du piano d’un bar enfumé. Ces deux musicologues tombent rapidement amoureux, mais les années (et la guerre) vont les séparer après un bref été passés à parcourir les forêts sauvages du Maine pour enregistrer des chansons folkloriques.
La caméra d'Hermanus enregistre l'indicible – des regards qui durent une seconde de trop, des doigts qui s'effleurent en manipulant un fragile cylindre de cire. Et chaque geste est une confession, chaque silence porte le poids d'un désir. Les paysages, filmés avec la même lumière mélancolique que les bureaux gris de Vivre, deviennent le théâtre d'une romance aussi profonde que discrète et éphémère.
Pierre angulaire de ce grand film sur les vies qu’on n’a pas vécues, sur les histoires d’amours irrésolues et sur le fait de préserver ce qui nous est cher (les voix comme les sentiments), Mescal trouve en Lionel un personnage qui évolue sur des décennies – du jeune fermier devenu étudiant en musique à l’homme mur cherchant le sens d’une vie amputée. Sa perf, toute en nuances et en modulations, est à l’image du film : subtile et minimaliste.

Le trip du jour : Romeria de Carla Simon
Ca vrille à Cannes. Ca disjoncte même. Après l’hallu Alpha, après le récit sismique de L’Agent Secret, voilà Romeria. Le nouveau film (autobio) de Carla Simon commence de façon linéaire avant de partir en embardée onirique dans sa dernière partie. Dans ce beau film mélancolique, elle approfondit son exploration des failles et des traumas familiaux, en flirtant avec les limites poreuses de la mémoire et de l’imagination. Pendant une heure, on suit Marina, une jeune fille de 18 ans qui revient dans la famille de son père mort du Sida. Les grands-parents friqués, l’oncle sympa mais maladroit, le cousin mignon… et puis tout à coup, le récit de la fin du paternel devient mystérieux, s’épaissit de tabous. Jusqu’à ce qu’une nuit, après une soirée de bamboche, le film opère une incartade fantasmatique, un plongeon dans le rêve.
L'héroïne se retrouve soudain précipitée dans le passé de ses parents, témoin de leur isolement insulaire et de leurs vies envapées. Ce n'est plus seulement un flash-back, mais une réincarnation viscérale de leur expérience, où les temporalités se confondent et s'entrelacent dans une chorégraphie vertigineuse. Cette faille spatio-temporelle déchire le voile entre les générations pour révéler la transmission souterraine des traumas familiaux (on retrouve bien Alpha). Les stigmates émotionnels prennent chair, deviennent tangibles dans cette parenthèse où l'héroïne se fait témoin d'un passé qui n'est pas le sien. La caméra se fait complice de cette transgression narrative, épousant les mouvements de conscience de ses héros avec une sensualité tactile. Après le film de Ducournau et celui de Mendonça Filho, Romeria interroge aussi le poids des héritages et des traumas en faisant basculer le récit.

La vidéo du jour : Harris Dickinson
On a beaucoup parlé du passage derrière la caméra de Kristen Stewart et Scarlett Johansson avant et pendant le Festival de Cannes, mais celui d'Harris Dickinson est peut-être le plus remarquable. Le jeune acteur de 28 ans (qu'on notamment adoré dans Iron Claw) présentait Urchin à Un Certain Regard, l'histoire d'un sans-abri qui peine à s'insérer dans la société. On a pu l'interroger sur sa transition vers la réalisation. Un processus qu'il avait déjà enclenché sur le tournage de Sans Filtre, où il a montré un de ses court-métrages lors d'un mini festival organisé en Grèce et bénéficié des précieux conseils de Ruben Östlund, le cinéaste aux deux Palmes d'Or.
Le contre-emploi du jour : Thomas Ngijol dans Indomptables (2025)
Fini de rigoler. Dès lors qu’un réalisateur-acteur étiqueté “comédie” joue la carte du drame, les voies cinéphiles cannoises peuvent enfin s’ouvrir à lui. On exagère à peine. Lors de l’annonce en sélection d’Indomptables de Thomas Ngijol à la Quinzaine des cinéastes, son délégué général Julien Rejl a déclaré : "Il nous avait plutôt habitué à des comédies en tant qu’acteur ou réalisateur mais cette fois-ci il change complètement de genre pour notre plus grand bonheur."
Voici donc Thomas Ngijol en mode père de famille camerounais dans un Yaoundé bouillonnant. Son personnage est aussi et surtout un commissaire de police aux méthodes violentes. Indomptables est une transposition en fiction d’un documentaire de Mosco Levi Boucault dont le travail avait déjà inspiré Arnaud Desplechin pour Roubaix, une lumière. Njigol, rencontré avant le grand raout à Paris, nous avait avoué : "Je ne voulais pas me cacher derrière le rire...Encore que, la comédie peut aussi permettre de révéler des choses intimes. A la suite de mon spectacle L’œil du tigre où j’abordais mon rôle de père, je voulais continuer dans cette idée transmission vis-à-vis de mes enfants..."
Que l”on ne se trompe pas, Njigol ne cherche pas pour autant la performance. Il garde cette espèce de nonchalance, de contretemps naturel, de charisme doux. Il a simplement rajouté l’accent camerounais pour l’authenticité. Accent qui trouble un peu la lecture dans les premières minutes avant que le travail d’acteur ne vienne définitivement poser du naturel par-dessus. Beau travail.

La scène du jour : Vie Privée de Rebecca Zlotowski
On vous expliquait hier le plaisir simple de se poiler devant une comédie sur la Croisette entre deux drames un peu sécos. On n’avait pas encore vu Vie Privée qui - du moins on le pense - n’est pourtant pas censé faire dans la déconne. Le film de Rebecca Zlotowski sait cependant être hilarant malgré lui, comme dans cette scène où Jodie Foster remonte sans crier gare dans une vie antérieure durant une séance d’hypnose. Un petit chef-d’oeuvre de comédie où la psychiatre qu’elle incarne se retrouve dans un concert de musique classique, en plein Paris occupé par les Allemands… Vertige zygomatique total, on flirte même avec Papy fait de la résistance quand Vincent Lacoste vient nous achever avec un grand numéro dans la peau d’un collabo. Qu’il est bon de rire !

Les révélations du jour : Prïncia Car et le casting des Filles Désir
En 2018, Prïncia Car a fondé à Marseille une école alternative de cinéma avec l’ambition d’intégrer cet art dans le quotidien de jeunes gens souvent tenus à l’écart de la culture en raison de difficultés économiques ou éducatives. Et l’aventure est d’ores et déjà allée au-delà de ses rêves. Avec ses élèves, elle a fondé sa propre troupe où tout le monde joue et participe à l’écriture des différents projets. Et après un premier court, Barcelona, sélectionné à Clermont-Ferrand en 2019, ils passent au format long avec ces Filles Désir, présenté à la Quinzaine des Cinéastes. Et dont Prïncia Car a écrit la structure avec la scénariste Léna Mardi avant d’improviser chaque scène avec ses comédiens, rejoints par une nouvelle venue, l’irrésistible Lou Anna Hamon.
On y suit le retour dans la cité phocéenne de Carmen, l’amie d’enfance d’Omar, un moniteur de centre aéré, respecté par tous. Une ex-prostituée qui va faire voler en éclats la petite bande (à 99% masculine) qui l’entoure et tout particulièrement leur rapport jusque là assez primaire au sexe et l’amour. Dopé par l’énergie et l’authenticité de ses interprètes, le film épate par sa manière de déjouer absolument tous les clichés sur les rapport hommes-femmes chez les jeunes de ces quartiers populaires. Ou plus précisément d’en réinventer les codes à travers notamment une sororité inattendue qui se développe entre la petite amie d’Omar et Carmen avec qui ce dernier l’a pourtant trompée, en lieu et place du crêpage de chignons habituel. Des nouvelles voix qui font un bien fou.

Aujourd'hui à Cannes
Le Festival rentre dans sa dernière ligne droite. La Semaine de la Critique s'est achevée mercredi, et ce jeudi ce sera au tour de la Quinzaine des cinéaste de baisser le rideau avec une grosse attente de la rédac, le nouveau Nadav Lapid (Yes). Du côté d'Un Certain Regard, on suivra Pile ou Face (Testa o croce), un western italien humoristique avec Nadia Tereszkiewicz et John C. Reilly. Et en compétition : Womand Child de Saeed Roustaee et Résurrection de Bi Gan. Mais c'est La Venue de l'avenir de Cédric Klapisch qui fera le plus de bruit sur le tapis rouge du Grand Palais.
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