Tous les jours, le point à chaud en direct du 78e festival de Cannes.
Le film du jour : Alpha de Julia Ducournau
Film du jour ? Événement du jour ? Débat du jour ? C’était en tout cas un des plus grosses attentes de cette 78e édition du Festival de Cannes. Et Alpha de Julia Ducournau divise avec fracas festivaliers et critiques depuis sa projection en compétition officielle. Après sa Palme d’Or pour Titane en 2021, la cinéaste française revient avec un film incandescent (qui au passage fait la couverture du dernier numéro de Première).
Dans ce récit intense, on suit Alpha, adolescente troublée de 13 ans qui vit seule avec sa mère. Leur monde s’effondre le jour où elle rentre d’une fête avec un tatouage sur le bras. Ce geste apparemment anodin déclenche une onde de choc dans leur foyer, sur fond d’une épidémie fictive qui évoque clairement le sida des années 80-90.
Plus intime que ses précédents films mais non moins viscéral, Alpha s’affirme comme une œuvre profondément personnelle explorant l’héritage traumatique et la transmission de la douleur entre générations. La mise en scène virtuose de Ducournau offre des visions hallucinées (vous n’êtes pas près d’oublier les hommes de pierre) qui hantent l’imaginaire fiévreux du film.
Portée par un casting impressionnant (notamment Tahar Rahim méconnaissable après une transformation physique radicale, et la révélation Mélissa Boros), cette œuvre incandescente confirme Ducournau comme l’une des voix les plus singulières et audacieuses du cinéma contemporain. Indispensable ?

L’interview du jour : Wagner Moura pour L’Agent Secret
L’acteur brésilien, mondialement connu grâce à Narcos et vu récemment dans Civil War, revient au pays natal avec L’Agent Secret, de Kleber Mendonça Filho, un thriller envoûtant dans le Brésil de 1977, sur fond de répression politique, de fantasmes cinéphiles et de mémoire historique en charpie. Il nous raconte comment le film est en partie né de son amitié avec le cinéaste d’Aquarius et de Bacurau, et de leur combat contre Bolsonaro.
“Vous savez où j’ai rencontré Kleber ? Ici, à Cannes, il y a 20 ans ! En 2005, j’ai présenté un film, Bahia, ville basse, à Un Certain Regard. Kleber était encore critique de cinéma à l’époque, il m’a interviewé et on s’est tout de suite bien entendu. Ma femme a même pris une photo de lui ce jour-là ! Nous venons tous les deux de la même région du Brésil, le Nordeste, ça crée des liens. Puis le temps a passé, j’ai vu ses premiers courts-métrages, et ensuite Les Bruits de Recife (premier long de fiction de Mendonça Filho, en 2012), qui est à mes yeux l’un des plus grands films brésiliens de tous les temps. C’est là que j’ai commencé à avoir très envie de travailler avec lui.
Mais ce qui nous a vraiment rapproché, ce n’est pas le cinéma, c’est la politique. Sous Bolsonaro, les journalistes, les professeurs, les scientifiques, les artistes, les intellectuels, ont été l’objet de nombreuses attaques. Nous étions très critiques vis-à-vis du régime, et nous en avons payé le prix. J’ai réalisé un film, Marighella (sur Carlos Marighella, opposant communiste à la dictature militaire, assassiné en 1969), qui a été présenté au festival de Berlin en 2019, mais que nous n’avons pu montrer au Brésil qu’en 2021. Parce que ces enfoirés l’ont censuré ! Kleber aussi a beaucoup souffert durant cette période. Notre relation est donc en grande partie basée sur le soutien que nous nous sommes apporté l’un à l’autre. Au fond, elle ressemble un peu à celle qui se noue entre les réfugiés de L’Agent Secret, qui se rassemblent pour résister et s’entraider. La genèse du film est à chercher là : dans une amitié liée par un esprit de résistance.”

La star du jour : Fares Fares dans Les aigles de la République
Le principe de la star est de se placer toujours au-dessus du personnage qu’elle est censée incarner. Le rôle s'accommode d’une aura. L’acteur libano-suédois Fares Fares a monté les marches pour sa nouvelle collaboration avec le cinéaste suédois d’origine égyptienne Tarek Saleh (Le Caire Confidentiel, La Conspiration du Caire…) avec des lunettes de soleil que n’auraient pas reniées Elvis et une veste flashy ad hoc. Star donc. L’acteur de 52 ans révélé par la saga Les Enquêtes du département V, passé chez Bigelow et Star Wars.
Dans Les aigles de la République, il incarne un certain George Fahmy surnommé “le Pharaon du cinéma égyptien”, icône égocentrique d’une industrie qui se repaît de son charme tapageur. Le type se retrouve bientôt instrumentalisé par le régime autocratique d’Abdel Fattah al-Sissi. Et soudain la star est obligée de redescendre d’un ton. Fares Fares tombe le masque, fragile, pathétique, inquiet, presque transparent. Son personnage a phagocyté la star.

Le Laurent Lafitte du jour : Classe moyenne
Impossible d'échapper à Laurent Lafitte cette année à Cannes. Samedi, il montait les marches pour Marcel et Monsieur Pagnol, où il fait la voix de Marcel Pagnol adulte. Dimanche, il était aussi sur le tapis rouge pour La Femme la plus riche du monde de Thierry Klifa, où il incarne le photographe qui séduit Isabelle Huppert. Lundi, il présentait la comédie Classe Moyenne à la Quinzaine des cinéastes. Et ce n’est pas tout. En tant que maître de cérémonie, il animera la soirée de clôture, samedi, après avoir assuré l’ouverture. Si on ajoute les photocall et les conférences de presse organisées pour les films de la sélection officielle, l’acteur de la comédie française était sur le pont presque chaque jour lors de cette 78e édition du Festival.
Dans Classe Moyenne, sorte de Parasite cheap mais vraiment hilarant, Lafitte joue un riche avocat marié à Elodie Bouchez qui se retrouve en conflit avec le couple de gardien (Ramzy Bédia et Laure Calamy) en charge de sa fastueuse demeure de vacances alors qu’il reçoit sa fille et son petit copain (Noée Abita et Sami Outalbali), un jeune homme d’origine algérienne qui vient de finir son droit. Jouer un connard bourgeois est presque trop facile pour lui, comme incarné un mafieux pour Robert De Niro, mais on se délecte de ses punchlines de droitard décomplexé, qui place des locutions latines dans toutes ses phrases et affiche un mépris de classe hallucinant. "Leur job, stricto sensu, c’est d’être à notre disposition quand on est là" ; “Vous allez me nettoyer la voiture in extenso.”

La scène du jour : Splitsville de Michael Angelo Covino
Les occasions de se fendre la poire ou de s’en payer une bonne tranche sont assez rares à Cannes, alors on a accueilli avec d’autant plus de plaisir le Splitsville de Michael Angelo Covino (The Climb, sélectionné à Un Certain Regard en 2019). Il s’attaque cette fois à la comédie de remariage aux inspirations italiennes et françaises, où un quadra (Kyle Marvin) dont la femme vient de demander le divorce, découvre que si le mariage de ses amis (Covino et Dakota Johnson) tient la distance, c’est qu’ils sont en couple libre. Un film qui déraille constamment, peuplé de dialogues savoureux et de situations dingues, notamment une hilarante scène de baston où Covino et Marvin s’écharpent pendant quasiment dix minutes.
Les deux potes commencent par des baffes, puis se jettent sur une table basse, s’envoie une boule de bowling à la tronche, font une pause pour sauver les poissons de l’aquarium qu’ils viennent de casser (avec la boule de bowling), se balancent mutuellement dans les escaliers avant de se défenestrer et de tomber dans la piscine… Ça n’en finit plus, c’est hilarant, et Covino nous promet que lui et Marvin ont "fait toutes leurs cascades [eux]-mêmes". Tom Cruise en sueur.

L’habitué cannois du jour : Idir Azougli dans Météors
Ses premiers pas au cinéma, Idir Azougli les a faits à Cannes en 2018 dans Shéhérazade, le film de Jean-Bernard Merlin qui, après sa découverte à la Semaine de la Critique, avait fini triplement Césarisé. Depuis, il n’a pas squatté de manière délirante le grand écran mais - tel le plus efficace des porte-bonheurs - la très grande partie des longs métrages auxquels il a participé se sont retrouvés sur la Croisette. Bac Nord et Stillwater en 2021, Le Théorème de Marguerite en 2023 et l’an passé, Diamant brut où il campait le petit ami de l’héroïne, jeune femme en quête de célébrité via la télé-réalité.
Ce Cannes 2025 lui permet de poursuivre cette tradition. Hubert Charuel l’a en effet choisi pour être l’un des personnages centraux de Météors, son très attendu deuxième long, huit ans déjà après Petit paysan. Un glandeur professionnel qui, obligé, après un n-ième plan foireux avec son meilleur pote, de trouver un boulot pour éviter la prison, se retrouve à bosser dans une poubelle nucléaire. A ses risques et périls que ce drôle de pied nickelé ne mesure pas réellement. Et bien plus que son camarade de jeu Paul Kircher, trop ton sur ton et donc transparent par rapport à l’atmosphère du film.
C’est bel et bien Idir Azougli qui donne en permanence le la de ce portrait de la jeunesse en manque d’avenir au coeur de la France de la diagonale du vide. Dans l’humour de ses premières minutes comme dans la gravité qui soudain rattrape ce petit monde pour mieux l’engloutir. Dès qu’il quitte l’écran, on s’ennuie. Dès qu’il y revient, on sait qu’il va se passer quelque chose. Les traditions ont parfois du bon.

Aujourd'hui à Cannes
Si on est curieux, on va voir Dites-lui que je l'aime de Romane Bohringer en séance spéciale et on enchaîne évidemment sur Eleanor the Great (première réalisation de Scarlett Johansson). Pour se détendre, une petite masterclass d’Alain Chabat à la Quinzaine, avant de jeter un oeil à Vie Privée de Rebecca Zlotowski hors compétition. Avant d’enchaîner sur Indomptables de Thomas Ngijol à la Quinzaine, Love me tender avec Vicky Krieps à Un Certain Regard, La Disparition de Josef Mengele de Kirill Serebrennikov à Cannes Première, Un simple accident de Jafar Panahi et Fuori de Mario Martone en compétition.
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