Cannes 2023
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Il n’y a pas que la Palme dans la vie. Voici, classés par ordre alphabétique, nos films préférés de la 76ème édition du festival, toutes sections confondues.

Acide de Just Philippot (séance de minuit)

Avec Acide, Just Philippot fait mieux que confirmer les espoirs placés en lui avec son premier long La Nuée. Avec comme personnage central une pluie acide qui s’abat sur le nord de la France et se met à déchiqueter et réduire à néant végétations, constructions et êtres vivants (un travail époustouflant d’effets spéciaux rendant la chose aussi spectaculaire que crédible) et à laquelle un couple séparé (Guillaume Canet et Laetitia Dosch) et leur fille de 15 va tenter de résister. Un survival écolo où le message façon signal d’alarme n’écrase jamais le cinéma. Un film catastrophe d’autant plus flippant que la réalité n’a jamais semblé aussi proche de cette fiction.

Acide
Pathé

Elementaire de Peter Sohn (hors compétition - clôture)

Avouons que l’annonce du retour de Pixar sur la Croisette nous avait laissé sceptique. Leurs dernières productions (Buzz l’éclair Turning Red ?) trahissaient la perte de leur fameux mojo et le précédent film de Peter Sohn, Le Voyage d’Arlo, n’était pas vraiment un fleuron du catalogue. Elementaire marque pourtant un retour aux fondamentaux du studio. Dans une ville-monde peuplée de quatre communautés bien distinctes (les gens aquatiques, le peuple de l’air, celui de la terre et celui du feu), le film raconte la relation contrariée entre une jeune fille-feu, l’impulsive et volontaire Flam, et un aquatique très émotif et velléitaire, Flack. Design exceptionnel, mise en scène inventive et joliment référencée (on croise les classiques de la Screwball et les meilleurs films d’action), gros feeling d’aventure, Elementaire déploie surtout une formidable idée pixarienne. Comment représenter la physicalité des sentiments ? Les émotions sont-elles solubles dans le tableau de Mendeleiev ? Vous vous demandiez ce que produit concrètement l’amitié, la peur et l’amour ? C’est un peu comme la rencontre de l’eau et du feu. Impossible ? Non : Elementaire.  

GALERIE
Pixar / PIXAR / © 2023 Disney/Pixar. All Rights Reserved.

Les Filles d’Olfa de Kaouther Ben Hania (en compétition, récompensé de l’Oeil d’Or)

C’est notre Palme à nous, le plus grand oubli du palmarès concocté par le jury de Ruben Östlund. Kaouther Ben Hania y raconte la disparition - ses causes et ses conséquences - des deux filles aînées d’une mère tunisienne célibataire dans un film hybride, brisant les frontières entre documentaire et fiction. Une oeuvre nourrie par les confidences d’Olfa et de ses deux filles les plus jeunes mais à l’intérieur de laquelle deux comédiennes incarnent les sœurs disparues et une troisième, Hend Sabri interprète Olfa lors de certaines reconstitutions trop lourdes émotionnellement à (re) vivre pour elle. Un projet aussi éminemment casse-gueule que sacrément ambitieux, dont les coulisses du tournage, les fameuses behind the scenes en disent tout autant que les mots et les regards face caméra. Kaouther Ben Hania embrasse à travers l’histoire de cette famille celle d’un pays tout entier, la Tunisie, de la dictature de Ben Ali au Printemps Arabe en passant par la montée en puissance de Daech. Le Jury de L’Oeil célébrant le meilleur documentaire de Cannes, toutes sections confondues, a, lui, vu juste en le récompensant.

Les filles d'Olfa
Tanit Films
Cannes 2023 : Anatomie d'une chute de Justine Triet remporte la Palme d'or [palmarès complet]

Les Herbes sèches de Nuri Bilge Ceylan (en compétition, prix de la meilleure actrice)

Le réalisateur de Winter Sleep a surplombé une fois de plus la compétition. Sa mise en scène d’une maîtrise affolante - travelling sublimes, cadres au cordeau, subtiles champs-contrechamps - n’a d’égale que sa liberté sensuelle et poétique (comme cette embardée méta qui nous sort du récit l’espace d’une minute). Mais le tout est, comme toujours, au service d’une histoire très riche. Les Herbes sèches tire le portrait d’un homme en crise, un type qu’on déteste autant qu’il nous touche, et qui va, par désoeuvrement, provoquer sa chute et celle de ses proches. Mal-être, tourments, ennui existentiel : Samet (incarné par le subtil Deniz Celiloglu) est un personnage dostoievskien qui offre au cinéaste l’occasion de livrer sa vision lucide et pessimiste du genre humain.

Les Herbes Sèches
Memento Distribution

Killers of the Flower Moon de Martin Scorsese (hors compétition)

Le film le plus attendu de la 76ème édition du festival de Cannes n'a pas déçu. Présenté hors compétition, le nouveau Scorsese est une impressionnant chant funèbre, un film crépusculaire et majestueux revenant sur une vague de meurtres commis contre des Indiens Osage dans l'Oklahoma des années 1920. Sur un fond de folk et de blues hypnotique, Scorsese filme le post-scriptum sanglant et sordide des guerres indiennes, porté par le duo De Niro-DiCaprio, dans un réjouissant numéro de crapules pathétiques, et la géniale Lily Gladstone, qui interprète ce qui pourrait bien être le plus beau personnage féminin du cinéaste depuis la Sharon Stone de Casino.

 

Killers of the Flower Moon
Apple
Cannes 2023 : la France en force, l'Italie et les Etats-Unis bredouilles [bilan]

Kubi de Takeshi Kitano (Cannes Première)

Le come-back cannois de Takeshi Kitano n'était pas vraiment un enjeu cannois (le réalisateur n'a jamais été chez lui ur la Croisette, et il revient dans la sélection parallèle "de prestige" Cannes Première) mais un vrai enjeu de cinéma : est-ce que Beat Takeshi en a encore sous le coude, à 76 ans et six ans après son dernier film (Outrage : Coda) ? Gros soulagement - et gros kif - devant cette fresque historique impressionnante, racontant le tourbillon des haines et des trahisons autour du seigneur de guerre Nobunaga Oda dans le Japon de la fin du 16ème siècle. Grand film épique (c'est visuellement somptueux), grand film kitanesque (où se croisent toutes les figures de son cinéma) grand film queer (où le cinéaste met enfin frontalement en scène l'homosexualité), grand film tout court.

Kubi (2023)
Kadokawa/T.N. Gon Co. Ltd.

Perfect Days de Wim Wenders (en compétition, prix du meilleur acteur)

Après une vingtaine d'années où s'il s'était surtout illustré en tant que documentariste, Wim Wenders retrouve l'inspiration rayon fiction avec ce film simple et lumineux : le portrait d'un employé des toilettes publiques de Tokyo, qui trouve une immense source d'enrichissement spirituel dans sa vie simple et bien réglée, marquée par l'amour du rock, de la littérature et de la photo. Pas mièvre, non : zen, profond et beau. Lors du palmarès, le grand acteur japonais Koji Yakusho a été justement récompensé du prix de la meilleure interprétation masculine.  

Perfect Days
Haut et court
Cannes 2023 : entretien avec Kōji Yakusho, héros zen de cette 76e édition

Le Procès Goldman de Cédric Kahn (Quinzaine des cinéastes)

Depuis au moins Saint-Omer d’Alice Diop, le film de procès semble obséder nos cinéastes. En compet’ avec une Palme d’Or à la clé, Justine Triet  (Anatomie d’une chute) et en ouverture de la Quinzaines des Cinéastes, Cédric Kahn avec son Procès Goldman, semblent se regarder à distance. Kahn fait la proposition la plus radicale, optant pour une immersion (quasi) totale dans la cour d’assises où se joue, en novembre 75, le sort de Pierre Goldman, jeune rebelle hargneux, accusé d’avoir tué deux pharmaciennes en plein Paris lors d’un braquage. Derrière cette affaire très politique (racisme supposé de la société française), il y a des hommes et des femmes qui se débattent avec leurs vérités et leurs mensonges. Kahn instaure une tension par la parole qui tient en permanence son film sur une ligne de crête psychologique. Assurément, le film français le plus fort vu ici. En tout cas, pour nous 

Le procès Goldman
Ad Vitam

Le Règne animal de Thomas Cailley (Un Certain Regard)

Depuis son très réussi Les Combattants en 2014, on attendait avec impatience le retour de Thomas Cailley sur grand écran. Projeté en ouverture d'Un Certain regard, Le Règne animal est une oeuvre puissante et hybride, mêlant le coming of age movie et le film fantastique, où le monde est en proie une vague de mutations qui transforment peu à peu certains humains en animaux. On y suit François (Romain Duris), qui fait tout pour sauver sa femme de cette étrange maladie et embarque son fils de 16 ans, Emile, (Paul Kircher, grande révélation) à l'autre bout de la France. Un grand drame (pourtant pas dépourvu d'humour) sur la nature animale de l'homme, mais qui ne tient jamais du prêche.

Le règne animal
StudioCanal

Vincent doit mourir  de Stephan Castang (Semaine de la Critique)

Chez Première, on n'est pas du genre à cracher sur un bon film de genre, et encore moins quand il est porté par Karim Leklou. Projeté en Séance spéciale à la Semaine de la critique, Vincent doit mourir, le premier long du réalisateur Stéphan Castang, met en scène un graphiste sans histoires qui du jour au lendemain est agressé à plusieurs reprises, et sans raison, par des gens qui tentent de le tuer. Entre survival, thriller, romance et comédie, le film file à 100 à l'heure avec un sens aigu de la tension, et quelques idées formidablement dégueulasses.

Vincent doit mourir
Capricci Films