Présent au Festival d’Annecy pour dévoiler sa version de La Ferme des animaux, Andy Serkis a accordé à Première dix minutes montre en main pour revenir sur les quatorze ans de travail derrière son adaptation animée du classique d’Orwell.
Première : Pouvoir enfin montrer à un public La Ferme des animaux après tant d’années de développement, c’était un soulagement ?
Andy Serkis : Oh ouais, c’était merveilleux ! Un vrai moment cathartique.
Et si le film avait été prêt plus tôt, il n’aurait peut-être pas autant collé à l’époque qu’on traverse aujourd’hui.
C’est vrai, mais c’est aussi un livre qui sera éternellement d’actualité. Orwell l’a écrit il y a 80 ans, et on a cette même interrogation : pourquoi fait-on encore tout de travers ? C’est un truc que l’humanité traînera toujours. Il ciblait précisément le stalinisme et le totalitarisme, mais il tenait surtout à parler à un jeune public, pour l’amener à se poser des questions d’adultes. Il voulait qu’ils comprennent que les adultes ne détiennent pas toujours les bonnes réponses. On n’aurait jamais pu adapter cette histoire de façon frontale : aujourd’hui, on a nos propres démons, notre propre société à ausculter. Et même si on a commencé ce projet il y a 14 ans, le contexte politique et certains thèmes persistent : la destruction de la vérité, la corruption de l’innocence. Ce sont des piliers de notre version.
L’idée de recentrer l’histoire autour de Lucky, ce petit cochon, c’était pour parler plus facilement aux gamins ?
Exactement. Le roman n’a pas de protagoniste central. Nous, on voulait faire vivre au jeune public ce que c’est que devoir prendre des décisions. Lucky commence avec une innocence absolue : il pense faire ce qui est juste, avant de se laisser embarquer dans la corruption et de finalement comprendre qu’il s’est engagé dans une mauvaise voie. Ce parcours-là nous ouvrait tout un monde. L’idée a toujours été de faire un film pour tous les âges, mais surtout pas un « film familial » pensé pour satisfaire un algorithme. Cette Ferme des animaux s’adresse aux jeunes esprits curieux. On a eu des retours excellents lors des projections tests. Les enfants sentent qu’on leur confie des responsabilités morales.
Il y a 14 ans, le scénario était déjà le même ?
Non, du tout, il a beaucoup changé. Mais le cœur du script, le parcours de Lucky, est resté quasiment le même.
Qu’est-ce qui a bloqué ? Vous ne trouviez pas les personnes prêtes à vous suivre dans l’aventure ?
Oui, c’est à peu près ça. L’idée m’est venue pendant La Planète des singes : Les Origines, au moment où César libère les singes. Je me suis dit qu’on n’avait jamais fait une adaptation moderne de La Ferme des animaux pour un nouveau public. Au départ, on pensait à un film en motion capture dans des décors réels. Mais très vite, l’ambiance devenait trop sombre, le film perdait son innocence. Et à chaque fois, les studios ou partenaires posaient les mêmes questions : à qui s’adresse ce film ? N’est-il pas trop sombre ?
Donc l’animation a été la solution ?
Oui, car elle nous donnait une sorte de laisser-passer pour une forme de douceur. Ça permettait par ailleurs d’être plus fidèle à Orwell, qui décrivait lui-même le livre comme un conte de fées. Grâce à ça, on pouvait injecter une chaleur visuelle, une familiarité. Et faire coexister humour et noirceur. C’était un exercice d’équilibriste.
C’est votre premier film d’animation, et on sait que le processus est radicalement différent du live action… Pas trop dur ?
Si, mais j’ai adoré ! Bon, il est vrai que c’est lent et que j’ai bien cru que j’allais y passer toute ma vie (Rires.) Mais j’ai aimé chaque étape : la conception, le storyboard, le design, l’animation en tant que telle… Je devais donner mon avis sur chaque brin d’herbe, chaque fleur, chaque décor. On retrouve ça aussi dans le cinéma en prises de vue réelles, mais là c’est puissance mille ! On a changé le design des animaux pour les rendre plus picturaux, plus innocents. Et je voulais une caméra réaliste, presque classique, sans mouvements impossibles. Il me semblait important de retrouver une cinématographie et une lumière physique, proche de la réalité : les chevaux bougent comme des chevaux ; les cochons ont du poids, de la gravité. Et surtout, je n’ai pas eu peur d’injecter beaucoup de dialogues et de gros plans. Il fallait que les personnages soient très vivants mais sans partir dans le pantomime. J’ai l’impression que moins on en fait, plus on s’attache à eux.
Parlons un peu de la distribution vocale : vous avez appelé tous vos copains d’Hollywood ?
(Rires.) Certaines discussions remontent à 12 ans ! Seth Rogen, Jim Parsons, Glenn Close… Tous adoraient le livre. Et on voulait de vrais comédiens, avec une sensibilité comique. Seth, par exemple, incarne un Napoléon drôle et charismatique. On devait avoir envie de passer du temps avec lui. Dans notre version, on découvre les monstres cachés en nous-mêmes plus subtilement que dans le livre, où Napoléon est d’emblée le méchant.
Je me dois de vous interroger sur l’avancée de The Hunt for Gollum, votre film sur l’univers du Seigneur des anneaux. Vous en êtes où ?
Au début ! Le script est en cours d’écriture, la préparation commencera un peu plus tard dans l’année et on prévoit de tourner en 2026.
Ce sera un seul film, ou un diptyque comme le disait il y a quelque temps Ian McKellen ?
On espère que ça ouvrira la voie à de nouveaux longs-métrages Le Seigneur des anneaux, mais The Hunt for Gollum ne sera qu’un seul film.
La Ferme des animaux n’a pas encore de date de sortie.
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