1,5 millions de spectateurs en trois semaines. Le film de Beauvois bouscule les catégories cinéma et les repères critiques. On fait le point. C’est le "miracle" de l’année, la "divine surprise", la "révélation". Le succès public du dernier film de Xavier Beauvois fait les titres de la presse et l’émerveillement des mieux disants, fous de joie qu’un film "exigeant" écrabouille le box-office de France. Un film d’art, un film d’essai, un film d’auteur etc. Comme en plus il y a des moines, on sort l’artillerie du vocabulaire religieux et des références chics du cinéma mystique. On nous met du Dreyer dans les dents, du Thérèse dans les yeux, on nous re-démontre le Théorème de Pasolini, et on finit par cette contre vérité affolante : Des hommes et des dieux serait un succès "inattendu", parce qu’un exemple radical de film marginal, limite chiant, qui, grâce à un coup de bol inouï ou à un alignement astral aussi rare qu’une éclipse solaire, grâce aussi à sa qualité et à l’ouverture d’esprit inespérée du public serait sur le point de passer les 2 millions d’entrées en France.Sauf que c’est même pas vrai.Un film qui passe les 2 millions d’entrées, et peut-être même les 3, est forcément un film grand public. Pas grand public parce qu’il se trouve qu’il marche, mais grand public par NATURE. Oncle Boonmee, le film thaï à la Palme d’or d’ailleurs controversée précisément pour cette raison-là, en voilà un, de film "petit public", qui finira, Palme ou pas Palme, à 100 000 entrées. Et oui, ce sera grâce à un immense coup de bol et à des astres bienveillants.Des Hommes et des Dieux n’est pas de ces films-là. Ce n’est pas parce qu’on y voit trois fois des moines prier deux minutes en plan fixe qu’il est "austère" ou "difficile" ou "ardu" ou "exigeant". Il raconte de façon très simple une histoire exemplaire, limite édifiante. C’est vrai, il n’y a pas de méga-stars (comprenez : ni Jean Dujardin ni Kad Merad ne jouent dedans) mais il est tout de même permis de remarquer que Lambert Wilson n’est pas exactement un inconnu, qu’il passe régulièrement sur les plateaux de TF1, et qu’il triomphait dans les films de Fabien Onteniente AVANT Franck Dubosc. Comprenons nous bien. Des Hommes et des Dieux est un beau film, émouvant et bien fait, par des gens qui y ont mis du cœur, de l’envie et du talent. Mais il n’a rien du film "minoritaire" qu’on tend malhonnêtement en miroir à son (grand) public pour qu’il se sente fier d’avoir payé son billet. En vérité, je vous le dis, le film de Beauvois se place moins dans les pas de Rosselini ou sous le soleil de Pialat que dans le registre d’un film comme Au revoir les enfants de Louis Malle, dont personne, à l’époque, n’avait interprété le succès (et les César) comme une incongruité ou une "bonne nouvelle". Vous savez, Au revoir les enfants, le film qui se terminait par l’image d’un prêtre menotté, emmené par des vilains vers une mort certaine…Guillaume Bonnet