JOSEPH GORDON-LEVITT

L’acteur défend les choix de Rian Johnson et Lucasfilm dans une longue tribune. 

Ami de Rian Johnson, qui l’a dirigé dans Brick et Looper, Joseph Gordon-Levitt est allé voir le nouveau Star Wars avec enthousiasme, et il n’a pas été déçu. Curieux de voir ce qu’il se disait sur le film, l’acteur est ensuite allé consulté les avis sur internet. Et il a pu constater le déferlement de critiques en provenance d’une frange de la fanbase, particulièrement irritée par les choix du réalisateur.

Tout en admettant que son avis était forcément biaisé (comme tout le monde, précise-t-il), Gordon-Levitt s’est donc lancé dans une longue tribune où il se focalise sur le point sur le plus clivant des Derniers Jedi, l’arc narratif de Luke Skywalker. On l'a traduite pour vous :   

Star Wars 8 : Rian Johnson défend les nouveaux pouvoirs de Luke

"Le Luke Skywalker que nous rencontrons dans Les Derniers Jedi est très différent du Luke Skywalker des Star Wars originaux dont nous nous souvenons. Dans le passé, Luke était plein d’espoir, un idéaliste, profondément décidé à explorer la galaxie, trouver sa destinée, et faire le bien, quel qu’en soit le prix. Maintenant, il est apathique, cynique, reclus sur une île et plus rien ne le passionne visiblement à part son propre isolement. Il gâche son talent dans une routine excentrique où il cohabite avec des animaux lisibles et risque sa vie en pêchant au harpon. Quand une jeune potentielle Jedi possédant de grandes aptitudes, Rey, le retrouve pour qu’il devienne son mentor, il balance littéralement son sabre laser par-dessus son épaule. Plus tard, quand il fait face à la jeune femme dans un combat, il termine à genoux, défait.

Et pire encore que sa personnalité étrange et sa faiblesse physique, on doute de lui moralement. L’histoire nous montre que dans un passé récent Luke a envisagé de tuer Ben Solo, son propre neveu, dans son sommeil, après avoir ressenti l’attraction du jeune homme pour le côté obscur de la Force, et craint les damages qu’il pourrait causer. J’ai vu beaucoup de gens souligner que des décennies plus tôt, dans Le Retour du Jedi, Luke est si droit, si prompt à pardonner qu’il refuse de tuer Dark Vador. Clairement, c’est un énorme changement.

C’est normal que tout ceci nous déplaise. Pour nombre d’entre nous, Luke représente le héros. Il est ce que nous nous efforçons d’être. Il est aussi notre point d’accès vers un monde que nous aimons. Nous avons découvert Star Wars à travers les yeux de son personnage. Et maintenant, après tout ce temps, nous le retrouvons à nouveau, et c’est devenu quelque part un pauvre type. Il manque de respect à tout ce qu’un Jedi est censé défendre. Et par conséquent, on dirait qu’il nous manque de respect. Ou, comme certains fans le disent, ce n’est pas le vrai Luke Skywalker, mais plutôt une version bâtarde, fruit d’un mauvais storytelling ou d’intérêts économiques.

Et encore une fois, si c’est ce que vous ressentez, libre à vous. Je crois qu’on prend un certain plaisir à se départir du plus gros film hollywoodien de l’année. Et je sais que je ne pourrais pas mettre fin à cette mode, même si je le voulais. Mais si vous êtes déçu par ce qu’est devenu l’homme Luke Skywalker dans Les Derniers Jedi, au point que ça vous empêche peut-être d’apprécier le film, et que vous aimeriez presque ne pas avoir ressenti ça, parce que vous vouliez aimer le film… lisez ceci.

De mon point de vue, Les Derniers Jedi prend deux gros risques dans sa façon de dépeindre Luke :

1) Il n’est plus la personne qu’il a été

2) Non seulement il est différent, il a changé pour le pire

Concernant le premier point, il n’avait pas à être différent. C’est un des personnages les plus iconiques qu’on ait jamais vu. Il aurait été beaucoup plus sûr de le faire revenir tel qu’il a toujours été. C’est ce que Le Réveil de la Force a parfaitement réussi. Par exemple, le Han Solo que nous voyons dans ce film est à peu près la même charmante canaille que nous avons aimé dans la trilogie originale. Oui, il a vieilli, il a eu un enfant, mais ce ne l’a pas tellement changé. Et ça m’allait très bien. Le revoir après tant d’années c’était comme retrouver un vieil ami. Alors, pourquoi ne pas refaire la même chose avec Luke ?

Ne pas toucher à Luke, c’eut été passer à côté d'une énorme opportunité. Imaginez à quel point c’est un cas de figure rare. Une trilogie de films est réalisée avec un jeune protagoniste incarné par un acteur qui a une vingtaine d’années. Puis, pas moins de 40 ANS APRES (Un Nouvel espoir est sorti en 1977) ce même acteur rejoue le même personnage en plus vieux. Je ne sais pas combien de fois c’est arrivé dans l’histoire du cinéma. Est-ce déjà arrivé ?

Pour le réalisateur et l’acteur, c’était une opportunité extraordinaire de raconter une histoire à propos d’une des vérités les plus universelles pour l’homme : devenir vieux. On vieillit tous, et tous ceux qui ont la chance de survivre à leur jeunesse font face aux joies, aux peurs, aux mystères, aux déceptions, aux surprises et toutes les choses inévitables qu’on rencontre en chemin. Retrouver notre protagoniste adoré des décennies après, pour réaliser que le temps passé a modifié quelques unes de ses qualités fondamentales, je l’avoue, c’est presque dur à voir. Mais ce troublant contraste entre l’ancien Luke et le nouveau Luke ancien, Les Derniers Jedi offrent un portrait unique et fascinant de la vie d’un homme qui avance inexorablement.

Le temps nous change. Parlez à n’importe quel sexagénaire et demandez-lui s’il se sent différent de quand il était dans la vingtaine. Leur visage devrait en dire long. Comme ceux de Mark Hamill dans ce qui est selon moi une performance superbement nuancée et émouvante.

Le second gros risque que j’ai mentionné est que Luke a non seulement changé, il a changé pour le pire. Mais pour moi, la réponse évidente ici c’est que les personnages de films sont généralement meilleurs quand ils ont des défauts. En tant qu’acteur, quand je me demande si je veux jouer un rôle ou pas, je cherche toujours un équilibre sain entre vertus et lacunes. Sinon, ça n’est pas crédible. Personne n’est un héros parfait ou un méchant parfait, on est plus compliqué que ça, chacun d’entre nous. Les personnages sans failles n’ont pas d’épaisseur. Et pardonnez-moi si je blasphème, mais j’ai toujours trouvé que le jeune Luke Skywalker était un peu léger. C’est pour ça que c’était cool cette fois de le voir devenu un être humain plus imparfait.  

Un personnage principal avec des failles est ce qui distingue une histoire avec de la substance d’un spectacle gratuit. C’est souvent quand un personnage arrive à surpasser ses failles qu’un film parvient à vraiment dire quelque chose. Oui, quand le film démarre, Luke est devenu cynique. Il a perdu la foi en ce que veut dire être un Jedi. Il a laissé la peur du côté obscur de la Force le plonger dans l’isolation et l’inaction. Mais il a besoin de partir de là pour qu’il puisse dépasser ce grave déficit.

Pour moi, c’est une histoire sur le fait de ne pas perdre la foi : la foi dans le monde extérieur, la foi en tes alliés et en tes ennemis, dans le futur et dans le passé, dans la nouvelle génération qui va prendre ta place, et oui, la foi en soi-même. Luke a commis des erreurs qui ont eu de graves conséquences, et ses regrets sont si forts qu’il a envie d’abandonner. Il faut qu’on assiste à ce désespoir, caché derrière une croute d’indifférence, pour que ça signifie quelque chose quand il décide enfin de sortir de son trou et de faire le sacrifice ultime. C’est plus fort que simplement repoussé le Premier Ordre pour permettre à ce qu’il reste de la résistance de s’échapper. Notre protagoniste est arrivé au bout de son chemin. Il a retrouvé la foi, à la fois dans le passé et le futur du Premier Ordre, et, encore plus important, en lui. Encore une fois, c’est dans ce contraste tranchant entre le début et la fin d’un chemin que nous trouvons le sens d’une histoire.

Et donc, en parlant de foi, je terminerai par une note un peu meta. J’ai l’impression qu’une bonne partie des mauvais retours sur Les Derniers Jedi est précisément à propos de ça. Star Wars est un peu un sanctuaire pour beaucoup d’entre nous, et on peut comprendre pourquoi les circonstances actuelles puissent bousculer la foi des fans. L’autorité ultime en la matière, George Lucas, a récemment passé le flambeau à la nouvelle génération. Le propriétaire de Lucasfilm est un gigantesque conglomérat de médias. Mais je pense que le nouveau Luke Skywalker de l’Episode VIII nous donne de bonnes raisons d’être rassurés.

Qu’un gros studio d’Hollywood prenne de tels risques sur une telle franchise, ce n’est pas le genre de décisions qui sont prises quand la vision à court terme prend le dessus sur le reste. Ces risques ont été pris pour construire un monde qui n’est pas seulement bon à vendre du popcorn et des figurines, mais qui mise sur le long terme en se reposant sur la substance d’une œuvre et la dignité artistique. En tant que fan, je prends ça comme un signe de respect, le film n’était pas juste un bon moment mais aussi un défi lancé pour nous provoquer. De nombreux studios et de réalisateurs n’ont pas une aussi haute opinion de leur public. Au final, pour moi, Les Derniers Jedi démontre non seulement qu’on peut toujours avoir foi en Star Wars, mais aussi que Star Wars a toujours foi en nous."