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Exodus Gods and Kings : sur le tournage pharaonique du dernier Ridley Scott

Sir Ridley part en campagne

Ce jour-là, on pendit une prêtresse. Incapable malgré sa science de sauver l?Egypte des fléaux qui l?accablent, Pharaon l?a condamnée à mort. La silhouette, précipitée du haut de l?échafaud, se découpait sur le ciel bleu traversé de nuages gris. Evidemment, c?est pour de faux. Mais même en étant prévenus, le réalisme de la scène vous prend à la gorge. Nous sommes aux légendaires studios de Pinewood, fin septembre. Depuis 11 jours, une foule de 780 techniciens s?agitent sur trois plateaux pour donner vie au prochain <strong>Ridley Scott</strong>. Qui revient à l?Histoire après la SF (Prometheus) et le polar tordu (Cartel) : celle de la Bible, puisque Exodus reprend le livre de l?Exode et raconte comment Moïse libéra le peuple hébreu de l?esclavage en Egypte. Les techniciens portent des t-shirts de leurs films précédents (<em>Thor</em>, <em>V pour Vendetta</em>), tels des soldats portant des insignes de leurs batailles. Sir Ridley et ses équipes sont bel et bien en campagne : 125 chevaux ont participé à la grande scène de bataille qui ouvre le film, opposant les Egyptiens menés par Moïse (<strong>Christian Bale</strong>) et Ramsès (<strong>Joel Edgerton</strong>), princes et bientôt frères ennemis, aux rebelles hittites. Dehors, deux immenses statues en polystyrène dont on ne voit que la moitié du corps, leurs sommets seront reconstitués par ordinateur.

"Aucune grenouille n'a été blessée"

Les moyens semblent immenses. La Fox a mis le paquet. D?après le producteur Mark Huffam, c?est l'énorme carton aux USA en mars 2013 de la mini-série La Bible qui a poussé les studios à faire revivre la Bible au cinéma. <em>"Que vous y croyez ou pas, ce sont de grandes histoire"</em>, résume Mark, qui nous emmène assister au tournage d?une scène. L?enterrement du vieux pharaon Séti (<strong>John Turturro</strong>), en présence de presque tout le casting : Bale, Edgerton, <strong>Sigourney Weaver</strong>, <strong>Indira Varma</strong>, <strong>Hiam Abbass</strong>? Changement total d?ambiance. Nous sommes dans un temple sombre à l?odeur funèbre d?encens. Deux prêtres avec des masques de chacals préparent la momie dans son lourd sarcophage d?or à accomplir son ultime voyage. Malgré le niveau de détail, la préparation est hyper rodée et quatre caméras shootent la scène en quelques minutes : sur le moniteur de contrôle, le rendu visuel est stupéfiant. On sort pour aller se prélasser au bord d?un bassin immense où flotte un (faux) crocodile : c?est ici que les prêtres tenteront d?apaiser la colère divine. <em>"Toutes les plaies d'Egypte seront là : des sauterelles en numériques, le Nil qui se transforme en sang"</em>, raconte Mark. <em>"Pour la pluie de grenouilles, on a utilisé 400 vrais batraciens. Aucun n'a été blessé."</em> Avant de quitter le studio, on aperçoit dans un hangar le veau d'or, fait de métal tressé dans un style post-moderne qui rappelle plus 300 ou Les Immortels que le péplum de papy.

"Depuis DeMille, on n'a jamais vu ça"

<strong>Ridley Scott</strong> est, paraît-il, de mauvaise humeur. Il y a deux jours, la météo, très mauvaise, menaçait les décors de la ville antique créée ex nihilo sur la côte sud de l?Espagne. C?est ici le désert mythique du cinéma, aussi bien le Far West de <strong>Sergio Leone</strong> (qui y a tourné tous ses westerns) que l'Egypte des pharaons. Le chef décorateur Arthur Max est aussi bluffé que nous par le plateau : 1,5 kilomètre sur 800 mètres. <em>"C?est mon plus gros plateau"</em>, dit Arthur, qui a pourtant bossé sur Gladiator et Kingdom of Heaven (son CV impressionnant est de 12 films dont 10 de <strong>Ridley Scott</strong>, plus Seven et Panic Room de <strong>David Fincher</strong>). <em>"Plus gros que les bureaux de la Fox à LA. En fait, le résultat à l?écran sera encore plus grand que tout ce que les Egyptiens ont construit."</em> C?est dire l'échelle. <em>"Depuis DeMille, on n'a jamais vu ça. A part Cléopâtre de Mankiewicz -mais ça, c'était la vision Las Vegas de l'Egypte."</em> Le gigantisme du premier Dix commandements de DeMille (1923) est son mètre étalon. <em>"Ils savaient construire gros, à l'époque. Il n'y avait pas de syndicats."</em> A contrario, la version de 1956 avec <strong>Charlton Heston</strong> est visuellement un contre-exemple, malgré son ampleur, et illustre <em>"les clichés à éviter".</em> Un grand spectacle au programme : <em>"on se doit de construire, de ne pas tout faire en numérique, sinon c?est un cartoon et il n?y a pas d?excentricité à l?oeuvre, continue Arthur. On travaille avec un universitaire sur les rituels, le protocole, l?architecture. Mais on ne fait pas un documentaire</em>. <em>On fait une version romancée de l?Egypte ancienne. Ce qu?on a fait avec </em>Gladiator<em> et la Rome impériale, </em>Kingdom of Heaven<em> et le Moyen-âge? En fait, notre principale inspiration, ce sont les peintres orientalistes du 19ème siècle comme Edward John Poynter (1836-1919). La vision victorienne de l?Antiquité?"</em>

"Les gros films sont toujours des risques"

Sous un soleil de plomb, on se perd dans un temple cyclopéen, on grimpe un gibet chargé de cadavres d'un réalisme dingue, on rôde dans le labyrinthe du ghetto fermé de portes et de murailles et sentant le crottin : l?Histoire s?anime sous nos yeux. Ceint d?une grande cape blanche, Christian Bale remonte majestueusement la rue à cheval (pas moins de 30 bâtiments) avec son escorte de cavaliers parée d?oriflammes violets. Il va inspecter le chantier de la statue de son demi-frère le pharaon. La vue est à couper le souffle : sur fond de flammes et de fumées noires, 400 figurants taillent des pierres autour de la tête inachevée de la statue de Ramsès, haute de 12 mètres. Moïse trotte devant un garde-chiourme qui fouette le jeune Joshua (Aaron Paul), à moitié nu, le dos ensanglanté. L'image est superbe. Ridley sort de sa tente, vêtu de blanc de la tête aux pieds, et va faire un tour sur le plateau quadrillé de militaires en kaki : la Legión Española fournit 150 soldats pour jouer les figurants et aider à la logistique. <em>"C?est bien, ils ne sont jamais en retard"</em>, plaisante un producteur. Comme Joel Edgerton, qui nous retrouve à la fin de la journée pour parler de son rôle de Ramsès tandis que les figurants hébreux quittent le plateau (la production a eu d?ailleurs un problème pour trouver des acteurs, ils étaient tous trop gros pour jouer des esclaves). <em>"J'ai dû apprendre de nouveaux trucs d?acteur comme la calvitie"</em>, rigole Edgerton, crâne rasé comme le demande son rôle. <em>"Et gérer des serpents. Ramsès adore les serpents. J'ai grandi avec les reptiles, donc pas de souci. Aucun problème pour se mettre des cobras autour du cou. Ils ne sont pas venimeux mais ils sont super lourds et peuvent vous étrangler."</em> Pour son premier vrai blockbuster, Joel a conscience que le film reste un pari. <em>"Les gros films sont toujours des risques. Les gens viendront le voir parce qu'il sera tellement énorme. J'ai dit à Ridley : tu as ressuscité le genre avec </em>Gladiator<em>, tu vas l'enterrer avec </em>Exodus<em>."</em>

"Ca va faire polémique, quoi qu'il arrive"

<em>"C'est Ridley Scott qui ouvre la Mer rouge"</em>, s?éblouit Aaron Paul, qui joue Joshua, ancien esclave devenu chef de guerre aux côtés de Moïse lors de l?Exode. La poursuite des Hébreux par les Egyptiens est le dernier acte du film. L?équipe a planté ses caméras sur la plage de l?île de Fuerteventura. Il souffle un vent biblique sur la deuxième plus grande île des Canaries, un paysage de désert volcanique dominé par des montagnes sombres et immenses. Sur la plage, l?équipe place de faux rochers pour figurer le fond de la Mer rouge. 235 figurants fuient tandis qu'une vingtaine de cavaliers menés par Moïse - avec plus de barbe, mais toujours son épée de prince égyptien - galopent dans le sens opposé, prêts à affronter les Egyptiens. Et toujours ce vent, incessant. <em>"Le vent, la pluie, c?est bien"</em>, sourit Ridley Scott qui a rejoint Aaron le temps de sa pause déjeuner dans sa caravane aux couleurs orange très 70's. Dans la bourse de son costume, une bouillotte bleu vif pour se tenir chaud à cheval. Ses yeux verts brillent dans son visage buriné et barbu. <em>"J'ai fait pousser ma barbe pour le rôle. On me l'a fait raser. C'est un postiche qui demande 2h30 de boulot tous les jours."</em> L?acteur et le réalisateur parlent religion. <em>"J'avoue ne pas avoir été très très attentif en cours sur les religions"</em>, admet Scott, dont l?oeuvre est franchement matérialiste et athée. <em>"Fondamentalement, je suis agnostique. Ce qui veut dire "je ne suis pas sûr". Ou plutôt que j'ai le désagréable sentiment que tout ça est vrai?"</em> Aaron ajoute : <em>"La Bible est un sujet sensible pour beaucoup de gens. Ca va faire polémique quoi qu'il arrive. Ca me plaît."</em> Scott résume : <em>"Moïse s'élève contre les milliers de dieux égyptiens au nom d?un seul Dieu. C'est une idée très moderne."</em> On laisse Aaron manger, tandis que Ridley repart : le tournage reprend. Il se terminera à Londres. Pour boucler la boucle.

14 ans après avoir ressuscité la Rome des péplums avec Gladiator, Ridley Scott déterre les dix commandements dans Exodus, un blockbuster épique où Christian Bale joue Moïse. De l'Angleterre aux Canaries en passant par l'Espagne, récit d'un tournage d'une ampleur biblique.Sylvestre PicardLire aussiExodus est un grand spectacle total et osé