C'est le film événement du jour. La Conquête, qui raconte la campagne de Nicolas Sarkozy est présenté aujourd'hui au festival de Cannes 2011. J'ai interviewé Xavier Durringer, le cinéaste derrière ce film polémique. Rebecca Leffler avec Le Hollywood ReporterComment est né le film ?Xavier Durringer : Patrick Rotman a commencé à écrire le film bien avant que Sarkozy soit élu président. Il voulait écrire un film sur la conquête du pouvoir. J’ai reçu le script il y a 3 ans. Nicolas et Eric Altmayer de Mandarin film ont lancé le projet au moment où Sarkozy venait d’être élu président et était en tête des sondages.Sachant que la plupart des films sont financés par les chaînes qui dépendent de l’investissement public, est-ce que le financement de La Conquête a été compliqué ?Durringer : C’était la grande question. Aucune chaîne ne nous a soutenu à part Canal Plus. Gaumont est arrivé en tant que distributeur et producteur du film, mais c’est vrai qu’aucune chaîne ne voulait toucher au film. Ce qui en dit long sur les modes de financement en France. C’est la première fois qu’un film est réalisé sur un président en exercice. Beaucoup de gens avaient peur… Il fallait du coup faire le film de manière indépendante, sans l’apport des chaînes ce qui est compliquéPourquoi est-ce que personne ne s’aventure sur ce terrain politique ?Durringer: Pour de nombreuses raisons. D’abord juridique ; il y a des lois pour protéger la vie privée. Appeler les personnages par leur nom réel pose potentiellement de gros problèmes judiciaires. Du coup, des films ont été fait mais en changeant le nom du président. C’est la première fois que les personnalités politiques sont représentées avec leur véritable nom. En fait, il y a eu un vrai tournant en 2002. La médiatisation et la starification des politiciens a changé. D’un seul coup, des caméras suivaient Sarkozy partout. Aujourd’hui, on traite les politiciens comme on parle de Johnny Hallyday ou Johnny Depp. Ils ont envie de tout montrer… Dans ce cas, pourquoi ne pas faire un film sur eux ?Quel est le sens du titre ?Durringer : C’est d’abord la conquête de l’UMP et le film raconte la manière dont Sarkozy a dû se battre contre ses collègues du parti pour devenir le candidat. Il a gagné la bataille politique, mais perdu sa bataille personnelle puisque sa femme l’a quitté. C’est capital : c’est dur d’être Président et d’être célibataire. Ca n’est d’ailleurs jamais arrivé.Quels étaient les défis de faire un film sur une personnalité vivante et encore en exercice ?Durringer : Ca n’est pas un biopic ! Ce n’est pas l’histoire de sa vie. Le film va de 2002 à 2007. Ce n’est pas un film sur Sarkozy ! C’est un film sur une conquête politique… C’est shakespearien. On a tous les éléments du drame – politique et personnel. Les décors et les costumes sont très réalistes, je voulais qu’ils soient basés sur des photos réelles. L’ensemble devait être le plus proche de la réalité. Par contre, la musique de Nicolas Piovani donne une distance presque chaplinesque, elle est presque humoristique. Le film ne verse jamais dans l’imitation, la parodie ou la caricature. C’est du réalisme mais avec une distance humoristique.De la comédie, certes mais aussi du film noir presque. Les scènes qui montrent Sarkozy et son entourage semblent directement sortir d’un film de genreDurringer : C’est vrai. Comme dans un film noir, il y a des gardes du corps avec des flingues, de grosses bagnoles, des hommes de main en costume, des meetings secrets… Et quand les politiciens parlent ils mettent la main sur la bouche pour que personne n’entende ce qu’ils disent. Les films de gangsters et l’univers politiques se ressemblent sur plus d’un point !Pourquoi avoir choisi Denis Podalydes pour le rôle de Sarkozy ?Durringer : On avait entamé des négociations avec un autre acteur avant lui, mais ça n’a jamais abouti. Du coup, on a fait quelques casting. Quand on a vu arriver Denis, on lui a mis de la cire dans les cheveux parce qu’il est chauve et d’un seul coup, on avait Sarkozy dans la pièce. Sans caricature, juste dans la manière dont il disait les dialogues ! A ce moment, on a su qu’on avait le film. Nicolas Sarkozy est un personnage qu’on voit à la télé tous les soirs à la TV. Et Denis, avec son intelligence et son habitude à jouer des princes ou des rois, était parfait pour le rôle. Il a surtout un incroyable charisme et une capacité insensée à faire rire les gens. En quelques secondes, il vous fait oublier le vrai visage de Sarkozy.Beaucoup  de personnages sont très familiers des spectateurs. Comment vouliez-vous les incarner à l’écran ?Durringer : Le problème s’est posé pour Cécilia, Villepin et Jacques Chirac. On les connaît tous. II fallait que les acteurs trouvent un système de jeu cohérent pour les interpréter de la même manière. Si l’un d’eux était réaliste et l’autre dans la caricature, ça aurait déséquilibré le film. Comme si on voyait passer un avion dans le ciel durant un film de mousquetaire… On a essayé de travailler sans SFX, juste une perruque pour Sarkozy. On s'est appuyé sur le talent des comédiens. Je suis très fier de leur travail : Hippolyte Girardot dans le rôle de Claude Gueant, Bernard le Coq dans celui de Jacques Chirac, Gregory Fitoussi dans celui de Laurent Solly, Samuel Labarthe dans celui de Dominique De Villepin, Saida Jawad en Rachida Dati et, surtout, Florence Pernel en Cecilia. Ils sont incroyables.Les dialogues sont réels ?Durringer : La plupart oui ! Mais on a du en créer aussi. La base de ce qu’ils disent et la manière dont ils parlent sont réelles. Qu’ils soient Français, américains, tous les politiciens n’ont que 3 manière de s’exprimer : le dialogue intime qui peut parfois être violent et vulgaire. Le dialogue en face de la caméra, et les discours publics. Dans le film, on voit ces 3 niveaux langagiers.Sarkozy a-t-il vu le film ?Durringer : Non ! Sarkozy ne l’a pas vu. Personne ne verra le film avant le 18 maiC'est votre première fois à Cannes. Nerveux ?Durringer : C’est la première fois que je mets les pieds là-bas. Mais la vraie pression, c’était quand j’ai accepté de faire le film. L’engagement était colossal. Maintenant, c’est une chance de présenter le film dans un endroit très prestigieux…Vous êtes prêt pour le scandale ou le buzz que pourra susciter le film ? Vous savez qu’il est très attenduDurringer : Je suis prêt à toutes formes de dialogues. Le film ne sera pas scandaleux. Mais il créera du débat, négatif ou positif. Et puis c’est un film de fiction : c’était important de ne pas faire un documentaire tout en payant une véritable attention aux détails et à l’images.  Depuis le choix des acteurs jusqu’au principe de mise en scène, le film est cinématographique. Ce n’est pas un film politique ennuyeux. Le buzz politique qui entoure la projection cannoise est bon pour nous. Faire un film est un acte politique, mais je veux d’abord être considéré comme un réalisateurQui voulez vous rencontrer à Cannes ? Durringer : Robert De Niro. Plus qu’une icône, c’est l’un des plus grands acteurs du monde. Je veux vraiment le rencontrer J’ai vu tous ses films et j’espère quil aura au moins vu l’un des miens. J’adore Sean Penn et son sens de l’engagement politique. Et Terrence Malick. Ce Cannes est sublime ! Peuplé de gens qui ne vivent que pour le cinéma – et non par le cinémaQuels sentiments voulez vous que les spectateurs emportent en sortant de la projection ?Durringer : Je veux qu’ils parlent du film. Je veux que le film fasse naitre du dialogue. Le cinéma est là pour laisser une trace. Et j’espère que mon film laissera une trace, qu’il ouvrira une porte pour le cinéma français et que demain, d’autres cinéastes feront des films politiques. Le boulot d’un cinéaste aujourd’hui, c’est de parler du monde qui l’entoure et, à travers ses films, de divertir tout en posant des questions sur la société.Le film à Cannes va aussi rencontré une audience internationale. Vous y pensiez en faisant le film ?Durringer : Le point de vue des étrangers sera forcément différent. Mais ce qui peut les intéresser, c’est la love story enre Nicolas et Cécilia. C’est une métaphore du couple occidental contemporain : les femmes restent dans l’ombre et portent leur mari dans la lumière. Mais le mari est tellement absorbé par son travail que sa femme le quitte pour un autre. A mon avis, les spectateurs étrangers verront une autre histoire. L’arc de Cecilia est très romanesque et montre que ces personnages ne sont pas neutres. Ils vivent des passions tumultueuses. A mon avis, le point de vue des américains sera aussi plus technique. Les français le sont moins – ici, c’est « j’aime – j’aime pas »Des envies d’être candidat l’année prochaine ?Durringer : Certainement pas. Je laisse ça aux professionnels de la politique. Je suis un auteur, je ne suis pas un cinéaste militant et ce film n’est qu’un engagement moral. Il décrit les mécanismes internes du pouvoir. Je suis une petite suris qui observe ça. Tout en me moquant un peu