En quoi les réels procès en sorcellerie de Zugarramurdi ont-ils influencé l’écriture de votre film (En 1610, quarante habitants de ce village furent accusés de sorcellerie. Douze furent condamnés au bûcher – NDR) ?Ce fut évidemment une source d’inspiration primordiale. Puisque c’est à Zugarramurdi qu’est né, en grande partie, le concept de la sorcellerie en Europe. C’est en effet dans la grotte de ce village que se réfugiaient les sorcières pour célébrer le sabbat. Mais surtout, à l’époque du Néolithique, le Pays basque abritait l’une des rares sociétés matriarcales de notre continent. Et j’estime que c’est une chose qui est encore sensible dans la région. Je vois une certaine logique dans tout ça : pour la société patriarcale, la sorcière est une façon de diaboliser les femmes de pouvoir. Et la grotte me semble être une métaphore assez évidente du sexe féminin. C’est d’ailleurs ce que raconte mon film : Madrid est, évidemment, une société patriarcale. Et l’on voit bien que cette société ne fonctionne pas : même les hommes n’y trouvent plus leur place. Ainsi, mes personnages principaux sont des êtres à bout de souffle et qui montent vers la France en espérant trouver leur salut. Mais en chemin, ils atterrissent dans cet endroit qui, parce qu’il est figé dans le passé, obéit à des règles différentes de celles de la société contemporaine. Et c’est là qu’ils vont devoir se réinventer pour survivre.Vous tournez pour la première fois au Pays Basque, d’où vous êtes originaire. Pour vous, comme pour les personnages, ce film est donc un retour aux sources, voire carrément une renaissance.Oui, exactement. Goya, qui a tant peint ces réunions de sorcières, fut une source d’inspiration majeure dans la conception de mes personnages. Mais chez Goya, les sorcières étaient effrayantes, elles incarnaient quelque chose de négatif et de sordide. Je crois que dans mon film, je ne nie pas la terreur que peuvent m’inspirer les personnages, mais je vais plus loin. Ce que dit Les Sorcières de Zugarramurdi, c’est qu’il faut assumer le monstre, accepter qu’il nous avale. Et c’est à cette unique condition que l’on parviendra à avancer. C’est le cheminement de mon personnage principal, Jose : après s’être lancé de façon éperdue dans cette guerre des sexes, il décide d’embrasser la différence pour pouvoir passer à autre chose. Voilà comment je vois les choses : l’homme seul n’est rien. Il a besoin de la femme pour être un homme. Lorsque l’on naît, on hurle de douleurs en sortant du sexe de notre mère. On a froid, c’est un monde que l’on ne connaît pas, on sait viscéralement que l’on va y subir mille souffrances. Dès lors, toute notre existence, nous n’avons plus qu’une obsession : y retourner pour retrouver cette quiétude perdue.Considérant tout ce que vous venez de me dire, comment réagissez-vous aux critiques qui accusent votre film d’être misogyne ?Ça me ferait mal de ne pas réveiller chez des gens qui ont une vision partiale du monde, ce type de réaction. J’estimerais que j’ai échoué (rires) ! Maintenant, ce genre d’analyse est évidemment une idiotie complète. Cela revient à dire qu’un film qui prend pour personnages principaux des nazis est xénophobe. Ces accusations semblent ignorer qu’un auteur n’a pas à cautionner le comportement de ses personnages.Même si votre cinéma semble plus méchant qu’il ne l’est en réalité, je trouve en effet que, quitte à accuser Les Sorcières de Zugarramurdi de quelque chose, il serait plus honnête de dire que le film est misanthrope.Bien entendu, parce que si l’on observe attentivement Les Sorcières de Zugarramurdi, j’y dis que ces personnages féminins sont terribles. Mais je dis également que les hommes sont totalement idiots. Et entre être terrible et idiot, je préfère être terrible (rires) ! Je ne crois pas qu’en tant que cinéaste, je doive absolument choisir un camp parmi les personnages de mon film. Mais s’il fallait vraiment choisir, je me rangerais du côté du personnage de Carmen Maura. Bref, pour dire les choses de façon plus directe : de mon point de vue, Les Sorcières de Zugarramurdi est une œuvre féministe.Ces gens ignorent également que, dans votre cinéma, l’amour et la haine vont toujours de pair. Vous en avez même fait un film : Muertos de RisaJ’irais même plus loin : j’aime ce qui me fait peur. Et les femmes me terrifient, parce qu’elles sont différentes de moi, que j’ai l’impression que je ne les comprendrai jamais, mais aussi parce que j’ai cruellement besoin d’elles.Sur les jaquettes françaises de vos films, pour vous vendre auprès du grand public, on vous compare parfois à Tim Burton ou à Guillermo del Toro.Ah bon ? C’est flatteur, mais je ne me sens pas en connexion avec cet imaginaire.Effectivement, si je ne devais vous comparer qu’à un seul cinéaste, ce serait à Federico Fellini. Et en l’occurrence, il est tentant de citer La Cité des femmes quand on regarde Les Sorcières de Zugarramurdi.Ce jeu de comparaison me met mal à l’aise. Je ne crois pas que c’est parce que l’on aime un cinéaste, que votre œuvre s’en voit transfigurée. D’ailleurs, je préfère me comparer à des cinéastes que je déteste, c’est nettement moins intimidant (rires). Maintenant, je dois bien avouer quelque chose qui va dans votre sens : si je ne devais retenir que trois cinéastes que je respecte profondément, je citerais Luis Buñuel, Roman Polanski et Federico Fellini. Il est donc probable qu’il en reste quelque chose dans mon cinéma.Julien DupuyLes Sorcières de Zugarramurdi d'Alex de la Iglesia avec Carmen Maura, Hugo Silva, Mario Casa