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Birdman est essentiellement une comédie. Pourquoi ce changement de registre ?Après plusieurs films dramatiques, que je comparerais à des saveurs fortes mexicaines, je voulais un peu de dessert. Je voulais sortir de ma zone de confort, faire ce que je n’avais jamais fait : rire sur un plateau, et c’est très plaisant. Je voulais changer de genre, changer de style narratif, trouver une nouvelle façon de travailler avec une nouvelle équipe. Et cette expérience qui au départ me paraissait terrifiante s’est révélée excellente. J’en suis heureux parce que je sais que si, passé 40 ans, plus rien ne vous terrifie, c’est que plus rien ne vaut d’être tenté.Pourquoi ce parti pris de tourner en plans séquences ?Très tôt dans la conception du film, je savais que je voulais que le public adopte le point de vue très radical du personnage principal, en proie à un conflit claustrophobique lorsqu’il prend conscience de la distance qui sépare ses ambitions de la réalité. C’est un sentiment partagé par chaque être humain. Et j’ai pensé que la seule façon de faire partager ce point de vue était de rester constamment avec le personnage. Mais tout cinéaste est confronté à un élément fondamental qui est la fragmentation du temps et de l’espace. D’habitude, on tourne de multiples prises, on se couvre sous différents angles, et au montage, on rationalise pendant des mois pour éliminer les erreurs et garder le meilleur, on manipule le ton et le rythme. Mais cette fois, je voulais que ni moi, ni personne n’aient la possibilité de manipuler la prise une fois qu’elle était dans la boite. Tout ce que vous voyez dans le film est la vérité, telle qu’elle a été enregistrée.Comment vous vous y êtes pris ?Pour y arriver, il a fallu une énorme quantité de répétitions et de préparation. Chaque personne de l’équipe devait faire preuve d’une précision absolue en terme de timing, de ton, de cadence, physiquement et émotionnellement. Emmanuel Lubetski (le directeur de la photo) a préparé toutes les lumières, et chaque détail du décor était préparé. Je me souviens avoir montré à l’équipe une photo de Philippe Petit lorsqu’il traverse le vide entre deux grate-ciel à New York. Et ce que nous faisions ressemblait à ça, c’était le fruit de mois de préparation, pour une traversée sans filet. Les journées étaient très longues, elles demandaient des heures et des heures de mise en place et de répétition jusqu’à ce qu’enfin ça marche, et qu’on capte un moment de vérité. C’est presque un miracle, mais qui résulte du travail de toute une équipe. C’est tellement gratifiant que je suis prêt à recommencer chaque jour.Propos recueillis par Gérard DelormeLire aussi notre critique de Birdman, éblouissant tour de force