Toutes les critiques de Le cuisinier, le voleur, sa femme et son amant

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    Débit vif, idées claires, les paroles de Céline Sciamma sont précises et directes, à l'image de l'écriture épurée de son premier long-métrage : Naissance des pieuvres.
    Rencontre avec une jeune scénariste prometteuse à peine sortie de la section scénario de la FEMIS.
    Bonjour Céline Sciamma. Quel a été votre parcours avant de réaliser Naissance des pieuvres ?J'ai fait des études de lettres puis je suis rentrée dans la vie active. Mon travail ne m'a pas vraiment plu, j'ai démissionné et je suis allée à la FEMIS, section scénario. C'est un endroit très intéressant, comme un laboratoire qui aiderait à trouver son style. Ca m'a aussi donné une forme de légitimité… Et des contacts dans le monde du cinéma, où je ne connaissais personne.Pourquoi avoir choisi la natation synchronisée et que sont ces « pieuvres » ?Cela correspond à une expérience très personnelle, vécue et ressentie intensément. En voyant, à la piscine, ces filles, en pleine action, réussir l'exécution de quelque chose, alors que moi, à ce moment, même si j'avais le même âge, je me sentais incapable de cette perfection. Du coup, je trouvais ça fascinant. Je n'ai donc pas du tout choisi la natation synchronisée pour ces propriétés métaphoriques mais le fait est qu'elle s'y prête très bien. Quant aux pieuvres, c'est la jalousie, un truc qui jette son encre dans le ventre : la naissance physique des sentiments. La pieuvre reste toute la vie dans le ventre mais elle naît là, à l'adolescence. La pieuvre c'est donc la jalousie et c'est aussi la première fois que l'on tombe amoureux.Votre réalisation isole vos personnages…La ville est déserte, c'est la banlieue, Cergy, et les personnages sont bel et bien seuls. De toute façon, ils sont seuls dans leur tête donc autant les isoler. Quand il y a d'autres personnes, c'est dans les vestiaires, où ils se jaugent, s'évaluent. Il y a de la solitude dans chacun des personnages, et dans celui de Marie en particulier.Le personnage de Marie (Pauline Acquart), c'est un peu vous ?En termes d'anecdotes, il y a de moi dans les trois filles, mais le regard central : c'est elle, Marie. Pauline Acquart a été repérée dans le Jardin du Luxembourg par la directrice de casting, par hasard. C'est un personnage qui observe, qui regarde sans cesse. De ce point de vue là, c'est mon personnage, celui du regard.Le film est plutôt étouffant, Anne apporte sa touche rigolote sa respiration...Oui, c'est un équilibre dur à trouver. J'ai retiré des scènes, de comédie notamment car le tempo n'est pas facile à trouver. Le public aime ce personnage d'Anne, qui est pratique, pour évacuer la tension, et très fédérateur.Par rapport au sujet, la sexualité des ados, y'a-t-il des auteurs qui vous ont particulièrement inspiré ?Oui, les « classiques » tels que Larry Clark, Gregg Araki ou Gus Van Sant. En tout cas, j'ai pris le contre-pied de Sofia Coppola, dont le film découle d'un regard rétrospectif masculin, à partir duquel elle crée, autour de l'adolescence, du mystère, du fantasme et de la nostalgie. Sans en élucider les problématiques. A priori, j'ai eu une démarche opposée qui était d'approcher un certain état de la féminité de cet âge là. D'une façon générale, le contre-pied a d'ailleurs été la figure de construction du film, par rapport au genre du film d'adolescent : l'éviction des adultes comme ordre moral, l'absence de regard nostalgique et rétrospectif, l'absence de point de vue des garçons, etc. Je l'ai voulu comme un film mutique et intemporel, qui ne cherche pas à faire « air du temps » ni tchatche des ados, trop souvent dans les tics d'une époque.L'adolescence est une période de mutisme ?L'adolescence est le moment où l'on parle beaucoup mais c'est le moment de la rétention où l'on ne dit pas les choses essentielles et j'avais envie de parler de la solitude, de ce moment de la découverte et d'une parole décisive. C'est pour ça que, dans le film, les dialogues font avancer l'action. Ce sont des demandes, des réponses et pour le coup ce mutisme me semble coller avec la solitude de ce moment là et ce truc de rétention. Ça ne veut pas dire que les ados ne parlent pas mais quand ils parlent, ils disent des choses qui importent. Quand la parole finit par surgir, elle n'est jamais anodine.Vous excluez délibérément les adultes et les garçons, qui n'existent qu'en termes d'image. Etait-ce une façon de se concentrer sur votre sujet et d'avoir une écriture incisive ?Oui. Les deux. C'est si facile de se perdre en route, j'avais envie de prendre des partis pris radicaux et engagés pour ne pas perdre ce que je voulais dire et raconter. C'est aussi l'angoisse d'une première réalisation, lorsqu'on découvre tout. C'est très facile de rater un film, toutes les occasions sont bonnes… Je ne voulais pas me perdre en route et réussir à parler de choses essentielles. Les rapports entre les filles et les garçons, c'est un vrai sujet complexe et fort. Soit je le traitais vraiment en donnant un point de vue masculin, soit je les traitais hors champ. Il me semblait plus juste de faire des garçons des forces brutes que les filles ne comprennent pas, avec lesquels elles ne dialoguent pas. Plutôt que de leur donner une pseudo personnalité, une caractérisation à la louche, histoire de les faire vivre… Juste pour dire. Je pense qu'à cette époque de la vie, on ne dialogue pas vraiment, on ne se connaît pas. Ici les garçons sont la face B du film. Si la caméra était sur le garçon, avec lui, on comprendrait ce qu'il fait. Mais je ne voulais absolument pas être dans le jugement. Je ne le juge pas. La vision des hommes est absente du film car c'est un sujet sérieux, complexe pour lequel je ne voulais pas générer des scènes stéréotypées de pseudo-connivence. Il y a, ici, matière à un autre récit avec l'histoire de ce garçon, que, par ailleurs, je peux me raconter, mais que je n'aurais pas pu traiter sérieusement.Pourtant vous partez de personnages qui sont des stéréotypes assumés ?Oui, ça c'est une volonté de prendre le contre-pied des codes du films d'adolescent et d'en jouer en même temps. Sur le début du film, j'avais envie que le spectateur soit immédiatement en familiarité avec les personnages, qu'il les identifie, que ce soit vraiment « American Pie
    » : la blonde pulpeuse, la grosse rigolote, et le corps indécis, la crevette. Je voulais être dans cette convention et que le début du film soit une forme de fausse piste, que l'on pense « tiens je vais voir un Billy Elliot dans la natation synchronisée »… Et tout ça pour mieux déraper. Mais l'idée était d'installer une sorte de confort pour que le spectateur se sente à l'aise. Même si ça implique le risque de faire un début un peu débile.Vous aimez citer Alfred Hitchcock…Oui, un grand manipulateur qui disait : « Il est préférable partir du stéréotype pour s'en éloigner que de partir d'une situation très originale car on finit toujours pas revenir aux stéréotypes ».Votre utilisez la caméra de façon très sobre, en prenant moins de risques que sur la partie scénario ?Je voulais être frontale et simple. Je tournais en 35 mm. Donc pas de caméra à l'épaule, pas envie d'être tape à l'oeil. J'avais envie de travailler l'image sur tous ces plans. Tout était reconstruit, j'ai travaillé sur le cadre, les couleurs… J'avais envie de sobriété, pas par angoisse de rater une mise en scène audacieuse mais j'étais précautionneuse par rapport à mon inexpérience et l'improvisation n'avait pas vraiment lieu d'être. Ainsi, il y a beaucoup de plans séquences, ce qui implique une concentration d'une grande qualité. En l'occurrence, la mise en scène dépend aussi de l'âge des comédiennes, d'où une mise en scène qui peut paraître froide et distanciée.Il semble que vos actrices se soient particulièrement impliquées, mais comment ne pas leur faire peur avec un tel sujet et convaincre les parents ?Ça m'angoissait beaucoup mais j'ai vite compris que ce ne serait pas un problème parce que j'ai eu une démarche de franchise où j'ai toujours tout raconté, chaque scène. J'ai bien senti qu'elles étaient réellement concernées par le sujet et que les seules questions qui les intéressaient c'était autour de la mise en scène. Est-ce qu'il s'agit de gros plans ou de plans larges par exemple ? C'est là qu'il pouvait y avoir doute, mais le scénario les a convaincu et a convaincu les parents. Je n'ai eu aucun problème. Je pense qu'à cet âge là on peut faire ça pour de mauvaises ou de moins bonnes raisons, mais j'ai eu de la chance je suis tombée sur des gens intelligents qui ont aimé le projet et qui ont voulu le défendre. Au-delà de l'idée de faire faire du cinéma à leur enfant, ils ont été convaincus par le scénario sans être dans le fantasme généré par le cinéma… Car il fallait avoir confiance pour certaines scènes. Mon scénario a circulé, jusqu'à ma rencontre avec les productions Balthazar qui m'ont proposé de le tourner sans passer par le court métrage. Mais les financements du CNC, de Canal + et de la région île de France donnaient aussi du sérieux au projet.Des projets ?Oui mais plutôt du coté télé avec l'idée de lorgner du côté des séries de certaines chaînes US, type HBO. Le goût pour les séries de qualité semble se développer, même du côté des décideurs, où il faut toujours espérer trouver des gens qui aient du courage.
    - Biographie de Céline Sciamma