Toutes les critiques de Le goût des autres

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    "On dirait que tu penses quand tu t'emmerdes", "Je n'en peux plus de vivre dans une bonbonnière"... comme à leur habitude, les scénaristes du Goût des Autres ont émaillé leur film de phrases choc.
    On dirait parfois du Courteline. Le style est incisif et drôle, les personnages se retrouvent souvent dans des postures à la limite du ridicule. Castella surtout. Ce chef d'entreprise, personnage principal du film, tombe amoureux d'une actrice de province, ce qui l'amène à considérer sa vie quotidienne d'un autre oeil. Les petites fleurs du papier peint, du canapé, les rideaux à l'américaine de son salon l'écoeurent, les portraits de Kiki, le caniche crétin de sa femme, qui ornent les murs de la maison l'étouffent. Il achète un tableau d'art abstrait et le plante au milieu du living : cherchez l'erreur, il n'y en a pas.Ce beauf d'apparence, pris par une passion inattendue, se révèle à lui-même. On peut le voir comme ça. Il s'affirme, jusqu'à apprécier quelque chose qu'il n'aurait même pas regardé quelques jours avant. Il a pris le goût de l'Autre, de cette femme, et du groupe de théâtreux qui l'accompagnent, des peintres et des intellos qui connaissent Strindberg. Il laisse sa bobonne de femme stupide dans un coin sans rien lui expliquer, il n'a plus de goût pour elle, il a changé de chewing-gum.A priori, le projet des Jabac (Jaoui et Bacri), comme les appelle Alain Resnais, était attendrissant. Constatant que 99,99% de leurs connaissances étaient des gens du même milieu, et ce, malgré toute l'ouverture d'esprit que chacun prétend avoir, ils ont voulu explorer la tentative de rencontre entre des gens de milieux différents. Échec.Résumant les personnages satellites de l'intrigue principale à des caricatures, ils ne leur laissent aucune chance de survie. Parce qu'on n'entre jamais pleinement dans leurs univers, parce qu'il y a toujours quelqu'un pour porter un regard apitoyé sur eux, ni le chauffeur, ni le garde du corps, encore moins la femme de Castella, n'échappent à une condamnation pour ridicules avérés. Le garde du corps rate sa seule occasion de faire son job, madame Castella qui conseille sa belle-soeur en décoration intérieure n'arrivera pas à lui faire mettre des roses sur ses papiers peints, quand à Deschamps (Alain Chabat), s'il est le plus enclin à avoir cet intérêt pour l'autre, s'il semble s'épanouir dans son univers en jouant de la flûte traversière, il ne parviendra jamais à ne pas se faire larguer.Bien sûr, on peut condamner la critique en disant qu'elle considère comme ridicule ce qui, en fait, ne l'est pas. C'est d'ailleurs ainsi que se défendent les Jaoui-Bacri. Au moindre propos s'écartant d'un pourtant consensuel c'est très bien, ils sortent les crocs et renvoient chez eux ces gens qui n'ont rien compris à rien et qui voient encore dans le personnage joué par Bacri un râleur invétéré. Aurions-nous rêvés ou l'avons nous vu gueuler sur son conseiller en management ?Ce film qui s'éloigne parfois de son objectif, paraît creux, comme si, pour nous faire rire, la réalisatrice avait préféré ne rester qu'à la surface des choses. Pourtant, on ne rechignera pas de voir les performances d'acteurs touchants qui se lancent des répliques avec beaucoup de justesse et une jubilation partagée. Anne Alvaro, grande actrice de théâtre (elle a notamment joué sous la direction de Wajda, Françon, Lavelli, Bénichou, Lavaudant...) est bouleversante. Toute de sobriété, elle assied le film à elle seule et lui donne ses meilleurs moments de simple sincérité. Bref, on ira surtout voir Le Goût des Autres parce qu'il est fait par une bande d'amis sympathiques, parce qu'il y a de l'amour dans ce film et, même si c'est hors de propos, parce que c'est agréable à voir.Le goût des autres
    De Agnès Jaoui, Jean-Pierre Bacri
    Avec Jean Pierre Bacri, Alain Chabat, Agnès Jaoui, Anne Alvaro, Gérard Lanvin
    France, 1999, 1h52 min.