Toutes les critiques de Baby Driver

Les critiques de Première

  1. Première
    par Frédéric Foubert

    « Probablement le film le plus cool jamais tourné. » La citation qui trône sur fond jaune fluo en haut de l’affiche française de Baby Driver n’y va pas de main morte. Ah, tiens, elle est signée Première… Il faut croire que ce film nous excitait particulièrement. Ou qu’il tient extraordinairement bien ses promesses. Mais c’est un fait : depuis que Quentin Tarantino s’est enfermé dans une chambre d’hôtel d’Amsterdam pour écrire Pulp Fiction entre deux visites au coffee-shop du coin, aucun film n’avait été aussi méticuleusement et obsessionnellement guidé par l’idée du cool que cette petite histoire de getaway driver obsédé par son iPod. Les flingues, la musique, la vitesse, les pneus qui crissent, les balles qui tracent et les punchlines qui claquent : vous lirez ailleurs dans ce magazine (p. XX) la genèse de ce rutilant Baby, médité pendant plus de deux décennies et malaxant un savoir encyclopédique sur ce que le septième art peut proposer de plus aérien, fun, léger, volatil, divertissant, pop, glorieusement inconséquent. En un mot : cool. Quant à la concordance parfaite entre les ambitions démesurées d’Edgar Wright (tourner un film d’action entièrement pensé en fonction de sa bande-originale) et le résultat à l’écran (c’est aussi bien que ça en a l’air), elle place immédiatement Baby Driver dans une catégorie à part. Au nirvana d’une certaine idée du cinéma.

    Adrénaline
    Mais est-ce que ça suffit à en faire le prétendant ultime à la médaille d’or de la coolitude ? Ce film est-il réellement plus cool que Bullitt, Vanishing Point, Les Blues Brothers, Driver ou French Connection, pour citer quelques titres que Wright a programmés le mois dernier dans une rétrospective du British Film Institute intitulée « Car Car Land » ? Plus cool que Heat, Point Break et Reservoir Dogs, alias « la Sainte Trinité du film de casse 90’s », brandie comme totem cinéphile par le réalisateur de Shaun of the Dead dans une interview sur deux ? Peut-être. Peut-être pas. La question n’est pas vraiment là, en fait. C’est juste que c’est son ambition. Et que, pendant l’heure et les cinquante-trois minutes que durent le film, le pied que vous prendrez sera tel que vous oublierez tout sens de la mesure, comme il se doit quand on se fait un shoot d’adrénaline en plongeant la tête dans des enceintes crachotant un vieux punk des Damned. Dès la première scène, Baby (Ansel Elgort, exceptionnel James Dean de poche) secoue la tête dans sa voiture en écoutant sa chanson fétiche de Jon Spencer Blues Explosion pendant que ses camarades braquent une banque, avant d’appuyer sur le champignon pour aller jouer au chat et à la souris avec les flics sur la freeway d’Atlanta. La musique, les dialogues, le sound design : tout coagule dans un magma audio-visuel démentiel. On suit la scène en battant la mesure, un sourire jusqu’aux oreilles. Et ça durera comme ça jusqu’au bout. Contrairement à beaucoup des films cités ci-dessus, Baby Driver ne s’intéresse qu’au plaisir. On n’est pas chez Friedkin, Sarafian ou Michael Mann. Il n’y a pas de métaphysique ici, pas de commentaire sur l’époque, pas de conscience historique, rien à dire sur l’Amérique, le monde contemporain, voire les limites de vitesse drastiques en centre-ville ou même l’opposition vinyle / mp3 (Baby écoute indifféremment les deux). Ça ne veut pas dire que c’est un film idiot, ni même qu’il se refuse des thèmes graves ou un véritable ancrage émotionnel (il est question d’innocence perdue et de recherche effrénée d’harmonie) mais que son horizon est l’orgasme cinétique, le swing, la fluidité et la joie pure.

    Gunfights et claquettes
    Si Baby Driver incite à l’overdose référentielle, il ne semble pourtant pas avoir de véritable équivalent dans le cinéma contemporain, à l’exception de La La Land, qu’il évoque autant pour sa science compilatoire que pour sa maestria technique et l’absolue jubilation qu’il entend provoquer chez son spectateur. Baby Driver est à sa façon un musical, avec des gunfights et des courses-poursuites en lieu et place des numéros de claquettes. Et Wright, né en 1973, fait le lien entre Tarantino (date de naissance : 1963) et Damian Chazelle (cuvée 85). Sans s’être concertés, Chazelle et lui préfigurent avec leurs films sortis à quelques mois d’intervalle un dépassement du postmodernisme initié par Tarantino & co dans les nineties (un post-postmodernisme ?) ; comme leur aîné QT, ils ont tout vu, tout disséqué, tout digéré, mais refusent l’ironie ou le nihilisme que cet excès de savoir peut entraîner, et tentent de retrouver, à partir de leurs banques de données pleines à craquer, une excitation nouvelle, juvénile, virginale. C’est sans doute pour ça que le héros ici s’appelle Bébé. Pour ça aussi que les seconds rôles Jamie Foxx, Jon Hamm et Kevin Spacey sont tout autant filmés comme porteurs de leur background iconique respectif que comme de pures silhouettes génériques (les personnages de ce film ont pour nom Baby, Buddy, Darling…). Ultra-référencé et primitif à la fois, érudit et hédoniste, « post-post » mais jamais poseur, ce film trace une route pour demain. Suivons-la.