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Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    La France que nous présente Laetitia Masson dans son film n'est pas bien jolie : de la Champagne pouilleuse à Marseille, en passant par Paris, tout n'est que tristesse, amertume et désolation.
    A la campagne, les gens sont bas, matérialistes et bornés ; un peu primaires, en somme ; ainsi les parents de France (Sandrine Kiberlain), l'héroïne, qui pensent davantage à leur ferme qu'à leur fille. (" Mais vous l'aimez ? ", demande le détective, " Bien sûr... ", répond la mère... non sans hésiter ; quant au père, il déclare sans rougir qu'il aurait préféré un fils... pour tenir la ferme : " Vous comprenez, une fille, ça s'en va ").
    A Paris, ils sont vils et complètement fous : ce sont des bourgeois qui ne s'entendent pas, passent leur temps à se tromper mutuellement, vivant ainsi dans la plus totale hypocrisie (le tout sur un fond de rancoeur et de désespoir latents, non dits et dilués dans le quotidien). A Marseille, le vice arbore le visage plus convenu de la superficialité et du toc, de la fête et du tape à l'oeil, celui des boites de nuits, des bars à putes, et des salles de musculation.C'est la France d'aujourd'hui, nous dit Laetitia Masson : une France écartelée, exsangue, à bout de souffle, partagée entre la réaction, le conservatisme de plomb des campagnes, et la vacuité, l'ennui et la solitude, le vide existentiel des citadins. Une France déboussolée, comme son héroïne (notons qu'elle s'appelle France, qu'elle fait de la course à pied mais qu'à sa dernière compétition, elle s'est vautrée dés le départ : la France qui perd, en somme), qui a perdu les " vraies valeurs " et se réfugie dans le sexe et l'argent, ces deux plaies de la société contemporaine (oui, mais aussi ce qu'il y de plus palpable, de plus concret, quelque chose qui se prête à l'échange, contrairement aux sentiments dont on est bien avare aujourd'hui - c'est aussi le propos d' En avoir (ou pas), premier film de l'auteur). Résultat : les gens sont seuls et ne se parlent pas, sinon pour des transactions d'ordre financier ou sexuel : on notera que, dans ce film, " les hommes ne pensent qu'à ça ". Au milieu de tout ça, il y a cette coureuse (ce film se prête admirablement aux calembours ; témoin, les " j'achète " et " je prends " qui pullulent dans la presse), cette fille " blessée par la vie ", que les hommes ont trahie, déçue. (Mais est-ce bien ça ?) France incarne ici, non seulement la France, mais aussi Candide, le naïf (dans l'acception originelle du terme), catalyseur et révélateur des vices et des travers de son époque.Notons que le projet est ambitieux : au-delà du constat sociologique, ce film est aussi un " portrait de femme " ; aux soubassements de la société française répondent les méandres de la psychologie de France. Car il s'agit bien de ça : sur le tableau social se greffe une intrigue psychologique, calquée sur le modèle de l'intrigue policière . France est une énigme que le détective chargé de la retrouver devra résoudre. Au fil de l'enquête, il se laissera peu à peu envahir par l'ombre de cette femme, posséder (" je suis France...etc... "), finissant presque par s'identifier à elle. Du même coup, après ce périple dans la France profonde et urbaine, c'est un voyage en lui-même qu'il aura accompli (" Je suis un monstre ! " On veut bien le croire, mais pourquoi ? ce n'est pas précisé.).Beaucoup d'ambition, donc , pour un résultat médiocre. Convenu. La faute à un scénario lourd d'intentions, trop schématique et trop démonstratif ; à vouloir en dire beaucoup, il finit par ne rien dire. Chacune des étapes du parcours de l'héroïne, chacun des milieux et des personnages qu'elle a fréquentés, aurait mérité un traitement à part, aurait du faire normalement le sujet d'un film, ne serait-ce que pour approfondir, affiner le trait, ne pas verser dans la caricature. Le regard est trop large et veut embrasser trop de choses en même temps, l'exhaustivité le contraint au survol et nous donne, plus qu'une succession de tableaux, un alignement de clichés. Il aurait été bon de s'attarder sur les relations entre les personnages, histoire de leur donner un peu de vie, histoire aussi de donner un peu de poids et de sens au propos de l'auteur (qui, nous l'avons vu, ne présente rien de neuf) ; tout cela manque cruellement de substance. De même que France, aussi énigmatique qu'on veuille nous la faire paraître, ne présente en réalité aucun intérêt. Le scénario est trop lacunaire pour ça : l'enquête du détective ne nous apporte aucune donnée nouvelle sur le personnage, elle se contente de confirmer le profil esquissé dés le départ, de noter docilement sa descente aux enfers. Et ce n'est pas le jeu de Sandrine Kiberlain qui lui donnera de l'épaisseur. Il ne suffit pas de conférer au personnage un peu de mystère pour qu'il acquiert sens et profondeur, il faut aussi le faire vivre : mais pour cela, il faudrait faire de la mise en scène et ne pas se contenter d'illustrer le scénario.A vendre !
    Réal. : Laetitia Masson
    Avec : Sandrine Kiberlain, Sergio Castellito, Jean-François Stévenin, Aurore Clément, Rochdy Zem, Samuel Le Bihan, Mireille Perrier, Chiara Mastroianni...
    France - 1997 - 1h57
    Interdit aux moins de 12 ans
    Date de sortie : 26 Août 1998
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