DR

Notre collaborateur David Fakrikian, spécialiste de Chapeau Melon et bottes de cuir, connaissait très bien John Steed et a rencontré plusieurs fois Patrick Macnee. Il raconte ici l'homme, l'acteur et le personnage à la première personne.

Patrick Macnee. John Steed. Ou bien John Steed. Patrick Macnee. On ne sait plus dans quel ordre on doit le présenter, tant l'homme et le personnage se confondaient. Il y a trois sortes d'acteurs : les stars, qui bouffent tellement l'écran que l'on n'arrive jamais à se souvenir des prénoms ou des noms de leurs personnages - à moins de détourner une franchise comme Tom Cruise. Les seconds couteaux, solides, dont on reconnait le visage, mais dont on ne se souvient jamais des noms. Et ceux qui, tout à coup, tombent sur un personnage si fort, qu'ils sont propulsés sur le devant de la scène au rang des premiers, et qu'ils deviennent inséparables de leur alter ego fictionnel. Patrick Macnee était de ceux là. Mais il ne s'en était jamais plaint parce qu'en incarnant John Steed dans la série Chapeau Melon et Bottes de Cuir, pendant plus de dix-sept ans (avec une pause de cinq ans), il ne jouait en fait qu'une version idéalisée de lui-même.Comme des millions de jeunes téléspectateurs rivés à la lucarne, j'ai grandi avec les diffusions et rediffusions de Chapeau Melon. J'admirais Steed/Macnee, parce-qu'il était l'absolue coolitude. A la fois traditionnel et excentrique, (il se baladait avec un parapluie et un chapeau melon, quel que soit le temps), il incarnait la classe anglaise, comme personne jusqu'alors n'avait su le faire (et comme personne n'y arrivera plus jamais). La fascination qu'engendrait le personnage tenait d'abord à cette forme incroyable de sang-froid et d'humour sous les assauts et la violence, ce respect des traditions, doublé d'une acceptance totale du swinging britain des années 60. Et puis, il y avait son style vestimentaire : les costumes serrés de chez Savile Row, Cardin, ou dessinés par lui-même, les Chelsea Boots de daim noire ou grises... Comme les Beatles, j'avais acheté les mêmes que lui, alors que je n'avais même pas 14 ans, provoquant la risée de la plupart des mes camarades de classe... et l'intérêt de la plupart des jeunes femmes de mon lycée. Parce que, pour les gamins de ma génération, l'autre élément de fascination chez Macnee, ou Steed (peu importe au fond), c'était son rapport aux femmes. Des femmes différentes, mais toujours fortes, modernes, épanouies. Des femmes en cuir. Il en avait plein, que l'on découvrait au gré des diffusions, dans l'anarchie la plus totale. Emma Peel, Tara King, Janice (qu'il embrasse sur la bouche, chose qu'il ne faisait jamais avec les autres !), Lady Diana Forbes-Blakeney, Purdey... Il n'est pas le seul à avoir eu des conquêtes ou à avoir su s'entourer de déesses pop. Mais lui, au lieu de les traiter comme des kleenex (comme James Bond), il développait avec elles instantanément, et continuellement, une complicité, une relation solide, animée de ping-pong verbal, de répliques pleines d'esprits. Une relation de confiance, de respect, qui persistait même après la séparation, on le sentait bien. Une galanterie, un rapport aux femmes, qui comme beaucoup d'autres qui ont grandi avec les Chapeau Melon, m'ont marqué à jamais.Gamin, puis adolescent, j'étais à mille lieues d'imaginer qu'un jour, mon destin croiserait le sien. La première fois où je l'ai rencontré, c'était un pur hasard. En voyage à Londres en 1988, je passe faire provision de comics et de magazines cinéma au Forbidden Planet. En pénétrant cette caverne d'Ali Baba, je tombe face à Macnee qui s'apprête à descendre au sous-sol dédicacer son livre Blind in one ear. Il est littéralement le premier acteur que je rencontre. Seuls une poignée de fans sont présents. Je passe en dernier, et Patrick signe mon livre, enjoué, incisif. Nous parlons brièvement de l'absence de disponibilité des Avengers en VHS (les New Avengers seront édités pour la première fois en Angleterre l'année suivante, pour la somme de 10£ les deux épisodes). Il est embarrassé par le fait que des cassettes pirates d'épisodes souvent coupés, soient vendues illégalement, et je n'ose évidemment pas lui avouer que j'ai chez moi tous les épisodes enregistrés à la TV française et beaucoup en V.O. pris sur Channel 4, copiés grâce à la complicité du regretté Bernard Lehoux ! Je ne le sais pas encore, mais cette conversation va donner le ton de mon implication à venir avec la série...Deux ans plus tard, je participe au livre Chapeau Melon et Bottes de Cuir, qui parait en 1990 (Je m'assure de l'implication du scénariste Grant Morrison et surtout de Diana Rigg rencontrée par hasard - décidément - dans les rues de San Francisco et qui acceptera exceptionnellement  de reparler d'Emma Peel après des années de silence). Les années suivantes, les Avengers ne me quittent plus ; je me lie d'amitié avec Dave Rogers, le biographe officiel de Macnee sur la série et quand les VHS de la série sont enfin éditées en 1993 et que Dave Rogers vient en France pour accompagner Patrick Macnee et Linda Thorson pour la promo, je prête quelques pièces issues de ma collection (novelisations, trading cards...) pour l'émission Coucou C'est Nous dont Pat et Linda sont les invités principaux. Au dernier moment, alors que je suis au premier rang dans le public, Dechavanne décide de me projeter sur le plateau aux côtés des deux stars, pour présenter les objets de collection. Des projecteurs dans la figure, mal à l'aise devant les caméras face aux deux monument télévisuels et à l'animateur je rame pendant que Dechavanne essaie de me faire passer pour un monomaniaque, tandis que Linda me dévore du regard et que Macnee se marre. Coucou C'est Nous bat tous les records d'audience et la France entière découvre au passage ma collection. Dans l'année qui suit, je rédige un guide complet de la série et de ses bonus (génériques alternatifs, copies de travail, projets de films) qui parait dans le magazine Génération Séries. Je transmets à Linda les dates de rediffusions de tous ses épisodes de Chapeau Melon et Bottes de Cuir en France et je supervise l'édition de l'intégrale de la série en VHS et DVD chez A&E.Quand Studio Canal se décide enfin à sortir la série en DVD en France, l'éditeur fait venir Patrick Macnee pour une tournée promo, et je suis choisi pour être son interprète lors d'un tchat internet et d'une dédicace à la FNAC Champs Elysées. C'est la dernière fois que je verrais Patrick Macnee, et c'est le plus beau souvenir que j'emporte de lui. Il est un peu plus affaibli qu'en 1988 ou 1993, se déplace désormais avec une canne, et sa vue a baissé, mais il est toujours tiré à quatre épingles, et il conserve son esprit acéré. Il s'amuse à répondre sur le tchat et ne laisse rien passer, allant même jusqu'à corriger le typiste quand ce dernier se permet des simplifications de traduction. Il ne rate rien ! Nous passons ensuite à une dédicace dans l'enceinte de la FNAC Champs Elysées. Plusieurs centaines de fans sont là, excités à l'idée de rencontrer l'idole de leur enfance et de faire dédicacer leurs DVDs et photos. Macnee, généreux, les accueille a bras ouverts. Il prend son temps, et prend soin de s'adresser a chaque personne, même les plus timides, échangeant bons mots, avec mon aide, pour ceux qui ne sont pas bilingues. Il est magnifique. Il est loin d'avoir fini, quand le responsable de Studio Canal me prend sur le côté, et m'informe que le planning est explosé et qu'il va falloir quitter les lieux. J'en informe diplomatiquement Macnee, en prenant soin de bien préciser que les ordres ne viennent pas de moi, mais de Canal. Il reste à sourire, tout en continuant à signer, mais je vois bien que cette information ne lui plait pas du tout. Il me demande ce que je ferais à sa place. Je regarde la file : au moins une centaine de personnes, tous fans, de tous âges, rassemblés ici pour rencontrer leur idole en chair et en os. "Ces gens là attendent depuis des heures", je lui répond, "à votre place, je resterais jusqu'à ce que chaque personne présente ici ait eu sa signature". Macnee sourit en coin. "Voilà. Donc tu vas aller dire à ces gens (il pointe Studio Canal) que c'est ce que je vais faire."J'informe le staff que Macnee n'arrêtera pas la dédicace et c'est comme si j'avais lâché une grenade dégoupillée sur le côté de l'estrade. Ils se mettent tous à courir dans tous les sens commes des poulets sans tête (il faut les comprendre, les tournées promotions sont très millimétrées. Tout dépassement peut mettre en péril le planning de toute la journée et provoquer un vrai casse-tête logistique).Mais Macnee n'en a que faire. Il est là pour son public, et son public aura ce qu'il attend de lui. Il dédicace sur une table, posée sur une estrade métallique. L'équipe de Studio Canal presse le plus de personnes dessus pour aller plus vite. Macnee s'en aperçoit, et me confie, tout en continuant à signer, qu'il y a trop de monde sur l'estrade, qui tremble, et qu'il s'en fait pour la sécurité de son public. Il me demande d'informer le staff de Studio Canal d'alléger l'estrade, afin qu'il puisse finir la séance en toute sécurité, le cas échéant, il fera un scandale. Je rapporte l'info, et à contre-coeur le staff obtempère. Après des minutes qui ont du sembler interminables au staff, Macnee fini la dédicace, en dépassant totalement l'horaire. Mais tous les fans sont satisfaits. Les fans repartis, je vois Macnee descendre de l'estrade, et tout à coup, s'emporter d'une tirade géniale contre le responsable de Studio Canal, qui devient blanc. Macnee s'emballe, allant jusqu'à le piquer avec sa canne. "Espèce d'inconscient !" hurle-t-il. "Le public est la chose la plus importante, c'est pour eux que nous faisons tout ça ! Non seulement vous les méprisez, en voulant me forcer à les laisser repartir sans dédicace, mais vous mettez en plus leur vie en danger en les empilant comme des sardines sur une estrade qui tient à peine debout ! Je suis vieux, j'ai fait la guerre, et j'ai vu tous mes camarades mourir sous mes yeux ! Ce n'est pas ma sécurité qui m'importe, mais celle de mon public est la chose qui compte le plus ! Il y avait des femmes et des enfants là, il aurait pu y avoir un accident !" Stupéfait, assis a côté de Sandy Gillet d'Ecran Large, je me maudis de ne pas avoir de caméra sur moi : John Steed vient de nous donner une ultime prestation, géniale, quasiment en privé. Après cet incident, l'accès me sera interdit à Macnee pour le reste de sa tournée (sous prétexte qu'il est "fatigué"), et Studio Canal ne m'appellera plus. Mais c'est cette image de Macnee, un artiste génial, sincère, entier, respectueux des fans, qui restera pour moi.So long, John.David Fakrikian