Successeur du réalisateur Justin Lin, parti soudainement au début du tournage, le Français Louis Leterrier a repris au vol les rênes de Fast & Furious 10 (Fast X). Rencontre à l’occasion de la diffusion du premier trailer.
Première : Bonjour Louis, comment ça va ?
Louis Leterrier : Super ! Bon, je commence à être un peu fatigué, c'est quand même un film énorme ! J’ai des grosses journées. Il y a tellement de choses à faire…
D’autant que vous êtes arrivé dans un contexte très particulier sur Fast X, avec le départ extrêmement soudain de Justin Lin. Comment ça s'est déroulé ?
J'étais en train de finir Loin du périph avec Omar Sy et Laurent Lafitte. Je supervisais la version anglaise quand mon téléphone a sonné. Sur l’écran, le numéro du boss d'Universal. Il était 23 h, je me suis dit que ça devait être une erreur, qu'il m'avait appelé avec sa poche sans le faire exprès. J’ai renvoyé un texto : « Tu as dû te tromper de numéro, mais on peut s'appeler prochainement. » « Non, non, non, ce n'est pas erreur, rappelle-moi tout de suite ! » Je n'étais pas du tout au courant de la situation et il m’a résumé le départ de Justin, tout en demandant s’ils pouvaient m'envoyer le scénario. Il fallait que je le lise et qu'on se fasse un rendez-vous en visio à cinq heures du matin. Donc j’ai passé la nuit à lire et relire le script. Et j’ai adoré. C’était tout ce que j'espérais en tant que fan. Ça jouait avec le temps et le ton, et c’était un retour aux origines de Fast.
Donc ça m’intéressait beaucoup, mais je me disais que sans préparation, je ne pouvais pas le faire. C'est gigantesque comme projet : le tournage a lieu dans le monde entier, il y a des explosions partout, 22 acteurs… Quand est venu le rendez-vous de 5 heures du matin, je n’étais vraiment pas sûr d’accepter. Ils étaient intéressés par mes retours sur le scénario, mais je ne leur ai rien promis. Et là, ma femme s’est réveillée. Je lui ai expliqué tout ce qui s’était passé depuis la veille au soir. Elle m’a dit : « Mais tu es fou ? Tu rêves de ça depuis 20 ans ! Fais-le ! » Et finalement, j’ai dit oui. Entre le coup de fil initial d’Universal et le premier tour de manivelle, il ne s'est passé que quatre jours !
Et pendant ce temps le studio perdait un million de dollars toutes les 24 heures tant qu’il n’y avait pas de réalisateur. Cette pression est retombée sur vous ?
Il y avait un rush, et en même temps je refusais d'arriver comme un idiot qui peine à trouver ses marques. Parce que perdre un million par jour, c'est une chose. Mais perdre un million et devoir retourner des scènes parce que le réalisateur n’est pas bien préparé, c'était tout simplement impossible. Je ne voulais pas les planter. Alors pendant ces quatre jours, j’ai travaillé comme un malade. Ils m'avaient dit que le troisième acte ne marchait pas, et qu'il serait bon que je le réécrive. Ce que j'ai fait. Mais quand tu réécris le troisième acte et que l'équipe a déjà commencé à préparer et tourner le premier, il faut absolument changer des choses un peu partout dans le scénario. Ne serait-ce que pour planter les graines d’éléments scénaristiques plus tôt dans le film. Ce qui fait que j'ai dû également réécrire en partie le premier et le deuxième acte. Finalement, j'ai un peu mis ma patte sur tout le projet. Et quand je suis arrivé, j'avais une certaine maîtrise du scénario. Ensuite, j'ai rencontré les acteurs et ça s'est très bien passé.
Vraiment ?
Vraiment. Tout le monde se moque de « la famille » [Il prend la voix caverneuse de Vin Diesel]. Mais en fait, il se passe vraiment quelque chose sur le plateau. C'est une vraie famille, avec ses tensions passées bien sûr, mais quelle famille n’en a pas ? Ça fait plus de 20 ans qu’ils travaillent ensemble ! Moi, je ne voulais pas arriver comme le cousin français, je souhaitais vraiment faire partie de la bande. Ils m'ont accueilli à bras ouverts et très rapidement, via Vin Diesel, je me suis approprié toute la franchise. Ils m'ont donné les clés du royaume. Il n'y a jamais eu de période d’essai.
L'ambiance n'était pas étrange au départ ? La presse américaine parlait quand même d'un clash assez violent entre Vin Diesel et Justin Lin...
Non, au contraire, il y avait une forme de calme. Je connais Justin et je lui ai envoyé un texto. Il m'a dit : « Tu as le meilleur cast et la meilleure équipe ». Je pense que c'est autre chose qui... Bref, je ne voulais pas faire d'analyse de ce qui s'était passé. Tout ce que je souhaitais, c'était faire un bon film. Pas le temps pour les ragots. Et quand je suis arrivé - comme le tournage avait été stoppé -, l'équipe profitait de ce temps supplémentaire pour répéter des choses et serrer les boulons des voitures (Rires.) J'ai préféré commencer par une scène simple, en champ-contrechamp, plutôt que par une grosse séquence d’action. Il y a eu deux prises où j'étais un peu dans le flou, et dès la troisième je suis vraiment devenu réalisateur. Et Vin a été très généreux avec moi. On faisait nos journées de tournage et le soir, pendant trois ou quatre heures, on se retrouvait pour continuer à travailler et réécrire des dialogues. Accepter ce film, c’était faire un saut dans le vide, mais j'ai trouvé mes marques très rapidement.
La bande-annonce donne l'impression Fast X revient à quelque chose de plus « réaliste ». Ça vient de vous, cette espèce de décroissance de la franchise ?
Oui, ça vient de moi. Parce que c'est tout simplement ce que je sais faire. Si vous regardez ma filmographie, on est plutôt sur du « pratique », des scènes d'action réalistes. Poussées à l'extrême bien sûr, mais je n'utilise les effets spéciaux numériques que pour augmenter le spectacle ou limiter le danger. J'aime cette franchise, et l'idée était de regarder la saga dans son ensemble pour en extraire ce que je préfère. Et les scènes d'action qui me plaisent le plus sont celles qui ont été faites en réel, sans VFX ou presque. Je pense notamment à Fast 1 et 3, et au passage absolument incroyable du braquage du coffre-fort dans le 5. On s’est d’ailleurs amusés à le retourner pour notre film, comme vous pouvez le voir dans la bande-annonce.
La saga était allée trop loin dans l’action ? Ou du moins si loin qu'il était impossible de faire dans la surenchère ?
Ils sont allés dans l'espace, qu'est-ce que j'allais faire ? Du voyage dans le temps ? (Rires.) Donc il fallait revenir sur Terre, avec des personnages au volant de leurs voitures. C'était intéressant de retourner à la source de ce qui m'a fait le plus d'effet dans la franchise. Et puis je voulais aussi que les acteurs s'amusent, qu'ils ne soient pas devant des écrans bleus sans rien à jouer.
Et si je comprends bien, le personnage de Jason Momoa est celui qui permet de lier le passé le présent.
C'est ça. Il joue l’antagoniste, qui est lui aussi un pilote. Le thème du film est le poids et le prix de la justice. Tous ces méchants que Dom et les siens ont tué au fil des films ont aussi une famille.
C’est la face B de Fast and Furious, en quelque sorte.
Exactement. La famille est ce qu'il y a de plus fort, mais elle peut aussi être ton point faible. Et le personnage de Jason Momoa va utiliser la famille de Dom pour l’attaquer, parce qu'il sait que c'est son talon d'Achille.
Vu que Fast & Furious 11 sera le dernier, est-ce qu'il a fallu penser les deux films comme une seule entité ?
Tout à fait. C'est difficile de raconter de belles et grandes histoires si tu n'as que deux heures. En plus avec 22 personnages, c’est quasi impossible ! Je pense que le public est habitué à cette forme de narration sur plusieurs films, entre Avengers ou Star Wars. Les gens acceptent d'avoir des fin ouvertes, sinon ça devient trop épisodique.
Est-ce que vous êtes déjà prêt à bosser sur cette ultime suite ?
Peut-être. Je ne sais pas (Rires.) J'ai passé du temps à écrire le scénario du 11 - en interne, ils disent le « 10-B » -, donc je sais ce que ça va raconter, mais… On verra, peut-être que les gens vont détester Fast X ! « Louis Leterrier a fait revenir Fast & Furious sur Terre mais nous on voulait qu'ils aillent encore plus loin dans l'espace ! »(Rires.)
Fast X, de Louis Leterrier, avec Vin Diesel, John Cena, Jason Momoa… Le 17 mai au cinéma.
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