La Liste de Schindler
Universal Pictures

Steven Spielberg, Liam Neeson et leurs collaborateurs dévoilent les secrets d'un morceau de bravoure du cinéma international récompensé par 7 Oscars.

La Liste de Schindler est le premier film sur l’Holocauste à remporter un Oscar, et c’est aussi la première fois que Steven Spielberg reçoit le prix prestigieux. Mais c’est surtout l'œuvre qui aura relancé la production de films sur la Shoah : Le Pianiste, La Vie est belle, Le Fils de Saul… sont tous des héritiers du chef-d’œuvre de Steven Spielberg.

Plus récemment, La Zone d’Intérêt est “le meilleur film sur l’Holocauste que j’ai vu depuis le mien”, soutient Spielberg, admiratif de la façon dont Jonathan Glazer souligne la “banalité du mal” ; un mal “souterrain” selon le réalisateur chevronné, dont les paroles résonnent avec l’actualité.

À la une du Hollywood Reporter, les langues se délient et les versions de l’histoire s’entremêlent autour de la portée d'un film devenu symbolique. Voici dix choses à retenir de cette oral story racontée par Steven Spielberg, Liam Neeson ou encore Martin Scorsese.

La Liste de Schindler
Universal Pictures
Martin Scorsese a failli réaliser le film
Vandeville Eric/ABACA
La Liste de Schindler
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George Lucas et Steven Spielberg
Abaca
Steven Spielberg a dû se battre pour imposer le noir et blanc
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Entrée interdite
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Billy Wilder
DR
La Liste de Schindler
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La Liste de Schindler
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Robin Williams
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La Liste de Schindler Steven Spielberg
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10 choses à savoir sur La Liste de Schindler

Martin Scorsese a failli réaliser le film

En 1982, au lendemain de la sortie d’E.T., Spielberg est approché par Sid Sheinberg de chez Universal pour acquérir les droits du livre La Liste de Schindler de Thomas Kenaelly. Malgré son enthousiasme initial, le réalisateur doute : “Je n’avais pas encore fait de film ‘d’adulte’, et j’étais terrifié que La Liste de Schindler devienne le premier : et si je n’étais pas assez mature ?”. Résigné, il confie le projet à son ami, Martin Scorsese, qui engage le scénariste Steve Zaillian. Ce répit permet à Spielberg de signer deux autres projets qui lui donneront la confiance nécessaire : “Je n’aurais pas pu faire La Liste de Schindler sans La Couleur pourpre et L’Empire du soleil. Ces deux films m’ont servi de tremplin”.

À ce moment-là de l’histoire, les points de vue divergent. Selon Michael Ovtiz, à l’époque agent de Scorsese, les deux amis se seraient livrés à un échange : La Liste de Schindler contre Les Nerfs à vifs. Spielberg réfute cette version. Scorsese a un autre point de vue : pour lui, il s’agissait de ne pas causer plus de tort à la communauté juive, déjà contrariée par la sortie de La Dernière Tentation du Christ en 1988. Blanc bonnet, bonnet blanc : Steven Spielberg prend définitivement les rênes de La Liste de Schindler.

Une embrassade décisive

Pour le casting, Steven Spielberg a deux critères : les acteurs ne doivent être ni des têtes d’affiche, ni Américains car contrairement à ces derniers, “les acteurs européens ont une compréhension viscérale de la Seconde Guerre mondiale”. Pour Oskar Schindler, il a l’idée de Liam Neeson, un irlandais qu’il avait auditionné pour L’Empire du soleil. Il va le voir sur scène, à Broadway, accompagné de sa femme, Kate Capshaw et de sa belle-mère. Emue aux larmes par la performance de Neeson, cette dernière est consolée par l’acteur qui la prend dans ses bras pour la consoler.

“Selon la légende, dans la voiture, Kate aurait affirmé à Steven : ‘C’est précisément ce que Schindler aurait fait : il aurait pris ma mère dans ses bras !’, ironise l’acteur. Il n’empêche que cela lui aura peut-être valu son essai à L.A., puis le rôle.

George Lucas à la rescousse

Michael Crichton (Mondwest, La Grande Attaque du train d’or) propose le scénario de Jurassic Park à son agent, Michael Ovitz, qui en vend les droits à Universal avec la promesse que le film sera réalisé par Steven Spielberg pour mieux faire passer la pilule de la production de l’obscure Liste de Schindler, assure ce dernier. 

Si Jurassic Park deviendra par la suite l’un de ses plus gros succès public, le film est d’abord une épine dans le pied du réalisateur, qui aspire surtout à commencer la production de son projet de cœur. Cédant à la pression des studios, il boucle le tournage du blockbuster et commence la post-production, prévoyant d’effectuer le mixage en Pologne, pendant le tournage de La Liste. Mais voyant que cela ne sera pas possible, Spielberg se tourne vers son ami de longue date, George Lucas, qui accepte de finaliser le film pendant qu’il est à Auschwitz : “George a pris le relais, et c’est lui et Kathy Kennedy qui ont mixé le film”.

Steven Spielberg a dû se battre pour imposer le noir et blanc

Tom Pollock, l'un des pontes d'Universal, refuse le noir et blanc, qui, selon lui, pourrait mettre en péril les recettes du film. Steven Spielberg défend son choix : “Si je fais le film en couleurs, on va se retrouver avec le même résultat que pour La Couleur Pourpre, se rappelle-t-il avoir répondu.

La Couleur Pourpre aurait dû être en noir et blanc. J’ai été accusé d’embellir le film parce que sa palette était trop éclatante pour un sujet aussi sombre. J’ai dit : ‘Excepté les images de George Stevens à la libération de Dachau, tout ce à quoi les gens ont été exposé sur la Shoah est en noir et blanc. Je ne donnerai pas de couleur à l’Holocaust’.

Le producteur lui propose alors de tourner le film en couleurs, de le diffuser en noir et blanc au cinéma mais de le commercialiser sous forme de cassettes technicolor, ce que Spielberg refuse. Le réalisateur finira par avoir gain de cause.

Entrée interdite

L’élan de la production est freiné par un contretemps d'importance : le Congrès juif mondial refuse les tournages non documentaires à l'intérieur d’Auschwitz. Convaincu de l’importance des décors réels du camp, Spielberg propose un compromis au président du Congrès :

“J’ai dit : ‘Vous opposeriez-vous à ce que je tourne à l’extérieur de l’enceinte d’Auschwitz ?’, se souvient-t-il. Il m’a dit que non. J’ai ajouté : ‘Et si j’utilisais les guérites existantes et que je faisais construire des baraquements en dehors du camp ? Si vous me laissiez faire entrer le train en marche arrière dans Auschwitz et que le train sortait ensuite par les guérites, on aurait l’impression qu’il entrerait dans le camp grâce aux baraquements situés des deux côtés.’

Le représentant du Congrès juif mondial accepte : Auschwitz apparaîtra bien dans La Liste de Schindler.

Un acte manqué

Trois semaines avant de s’envoler pour Cracovie, Steven Spielberg reçoit un appel de Billy Wilder (Boulevard du crépuscule, Assurance sur la mort). Il rapporte ses paroles :

“Je viens de lire un livre dont j’ai découvert qui tu possédais les droits, La Liste de Schindler. C’est mon histoire, avant que je n’arrive en Amérique. J’ai perdu toute ma famille là-bas. J’ai besoin de raconter ça. Tu voudrais bien me laisser réaliser le film et le produire avec moi ?”.

“Je n’ai pas su quoi lui dire à part la vérité”, se désole le réalisateur. “J’ai dit : ‘Billy, je pars pour Cracovie dans trois semaines. Tous les rôles sont attribués. Toute l’équipe est engagée. Je commence le tournage en février’. Un acte manqué scellé par une poignée de mains entre les deux réalisateurs.

Devoir de mémoire

Sur le tournage, l’ambiance est chargée du souvenir de l’Holocaust. D’abord par la symbolique du lieu, mais aussi grâce aux différents témoignages de survivants. Branko Lustig, l’un des producteurs du film, montre à Liam Neeson le baraquement dans lequel il était détenu enfant, lui dont une partie de la famille n’a pas survécu à la déportation. Et puis, nombreux sont les rescapés à venir visiter le tournage. Steve Bauerfeind, assistant de production, se souvient :

“Il arrivait très souvent qu’une personne de la production vienne prévenir un des assistants de Steven qu’une femme s’était présentée qui avait été sauvée par Schindler ou qui avait vécu à Cracovie , et il allait toujours discuter avec ces petites dames ridées qui lui racontaient leur expériences.”

L’envers du décor

Si l’ambiance est chaleureuse dans l’hôtel loué par la production pour loger l’équipe du film, cette dernière est souvent confrontée à un antisémitisme glaçant. Ben Kingsley qui est Juif, subit des railleries racistes de la part des gens du voisinage. Ralph Fiennes croise une Polonaise qui lui assure que les Allemands n’étaient pas si mauvais. Liam Neeson est témoin d’un commentaire désobligeant sur les Juifs et l’argent. Et puis il y a Embeth Davidtz, verbalement agressée par une femme qui avait compris qu’elle participait au tournage du film.

Ben Kingsley résume l’antisémitisme ambiant : “Je le décris comme un bourdonnement sourd et sinistre ; comme une mélodie qu’on entendait tous le jour durant, une haine en filigrane”.

La contribution de Robin Williams

Très bon ami de Steven Spielberg, le comédien Robin Williams a eu une influence positive sur le tournage. Spielberg raconte :

“Robin savait à quel point ce tournage était compliqué pour moi, et une fois par semaine, le vendredi, il m’appelait et me faisait des blagues. Ça durait bien dix à vingt minutes, jusqu’à ce qu’il m’entende rire aux éclats. Après quoi, il me raccrochait au nez.”

Des moments de légèreté dont le réalisateur avait grandement besoin, lui qui décrit ce tournage comme “la chose la plus dure qu’il ait jamais eu à faire en tant que cinéaste”.

Une fin nécessaire

Le scénario d’origine devait se terminer sur l'échappée belle de la communauté sauvée par Oskar Schindler. Mais trois semaines avant la fin du tournage, Steven Spielberg est taraudé par le doute : “Qui croirait à cette histoire ? Qui croirait que c’est véritablement arrivé ? Est-ce que cette histoire ne va pas donner du grain à moudre au mouvement négationniste ?”. Il fallait ajouter une plus value presque documentaire au film, pour que “les gens comprennent qu’il ne s’agissait pas seulement des élucubrations du mec qui avait fait E.T., Indiana Jones, Les Dents de la mer et Rencontre du troisième type.

Le cinéaste demande alors à ce qu’on fasse venir le plus grand nombre possible de Juifs sauvés par l’entrepreneur allemand. Cent vingt-huit de ces rescapés feront le déplacement, dont Emilie Schindler, sa veuve, qui n’avait jusqu’à présent jamais vu la tombe de son mari. Une rencontre est organisée avec l’équipe du film, “une joyeuse célébration” se souvient Liam Neeson. Le lendemain, la fiction rejoint la réalité au cimetière catholique du Mont Sion.