La Mif de Frédéric Baillif
Stéphane Gros / Lumière Noire

Le cinéaste suisse raconte le quotidien mouvementé d’un foyer pour ados dans une fiction documentée avec précision. Il nous en livre les secrets de fabrication

Avec La Mif, vous nous plongez dans le quotidien d’un foyer pour ados dans lequel une relation sexuelle interdite entre une ado de 16 ans et un garçon de 14 ans va mettre le feu au poudre. Qu’est ce qui vous a donné envie d’aborder ce sujet- là ?

Frédric Baillif : Je suis quelqu’un de très intuitif. Pour moi, un film c’est donc d’abord et avant tout une envie. Et pour La Mif, je suis allé spontanément vers ce foyer d’accueil que je connaissais pour y avoir travaillé il y a plus de 20 ans quand j’étais étudiant éducateur. Et j’ai eu la chance que Claudia, sa directrice - qui allait partir à la retraite - m’en a ouvert les portes puis accepter de jouer le rôle de la directrice. Elle s’est même retrouvée nommée meilleure actrice à l’équivalent des César suisses !

Vous employez le terme « jouer ». Dès le départ, vous envisagez donc le film comme une fiction ?

Oui, je ne pense jamais documentaire. Grâce à Claudia qui nous a ouvert toutes les portes, j’ai pu rencontrer les jeunes filles qui vivent dans ce foyer, échanger avec elles, leur demander de me raconter leurs vies. Je me documente donc avec précision. Mais je vais me servir de cette matière pour faire fiction. Trouver des traits de caractère qui me plaisent pour développer mes personnages, proches des « vrais » mais différents. Trouver aussi les sujets que j’ai envie de traiter. Et pour camper ces personnages, je fais tout aussi spontanément appel à celles qui me les ont directement inspirés

Vous faîtes passer des essais ?

Non, je prends tout le monde car, une fois encore, je me base sur la réalité. En tout cas tous ceux qui veulent et ont envie. Je ne force personne. Et je m’adapte aux personnalités de chacun. Quelqu’un de timide et réservé dans la vie sera timide et réservé à l’écran. Quelqu’un en colère sera très en colère. Pour cela, je mets en place des ateliers d’improvisation. Pas dans le but de leur apprendre à jouer la comédie mais à l’inverse pour ne surtout pas jouer. Le processus est long et se construit sur une confiance. Je pose d’emblée clairement les choses. Je leur assure que rien de leurs vies personnelles ne sera dans le film sauf si elles en ont envie et dans ce cas on en parle ensemble et je serai le seul à le savoir. Et je le répète, je leur demande de surtout ne pas se prendre pour des acteurs. De rester elles- mêmes. D’utiliser leur propre langage. Car, chez moi, aucune ligne de dialogue n’est écrite. Juste des situations à partir desquelles, sur le plateau, je leur glisse des infos à l’oreille si je vois qu’elles butent dessus. Je fais aussi de très longues prises qui poussent chacune à s’installer dans les scènes et parfois à me surprendre dans des directions que je n’attendais pas.

LA MIF: UNE PLONGEE PASSIONNANTE AU COEUR D'UN FOYER D'ACCUEIL [CRITIQUE]

Votre scénario évolue au fil de ce travail avec vos interprètes ?

Oui mais pour La Mif, ce qui m’a ici le plus nourri, c’est Claudia. Un puit sans fond d’histoires tant elle en a vu de toutes les couleurs. Ses confidences sont venues enrichir les expériences que j’avais pu moi- même vivre et développer un point de vue sceptique et critique sur le système et ce métier d’éducateur plein de contradictions. J’ai conscience que du coup, il se passe énormément de choses dans le court laps de temps du récit. Mais c’est l’avantage de la fiction par rapport au documentaire. On peut resserrer le temps de l’action sans trahir l’essentiel.

La Mif est construit sur un jeu de flashbacks et flashforwards qui offre des angles différents aux situations que vous avez imaginées. Il était écrit ainsi ou vous en avez trouvé la forme au montage ?

Avec tout ce que j’avais en boîte, il y avait une dizaine de films différents possibles ! Donc à la fin du tournage, avant de me lancer dans le montage, j’ai commencé par faire une grande pause ! Pour répondre à votre question, cette forme non linéaire était présente dès l’écriture. Mais avec mes monteurs, dans un premier temps, on n’a pas eu le courage de suivre cette logique. On est parti sur un montage classique, linéaire, allant de A à Z. Mais j’avais vraiment bossé sur cette structure complexe, en me nourrissant notamment énormément des films d’Iñarritu. Ce premier montage ne me satisfaisait donc pas complètement. Et c’est pile à ce moment- là qu’a surgi le confinement. J’ai alors profité de ce temps- là pour tout reprendre à zéro et essayer de rester fidèle à ma première idée, en y intégrant des événements non prévus par le scénario qui avaient pris vie sur le plateau. Au fil de ces semaine, je n’ai finalement fait que revenir à l’origine de ce qu’a toujours été La Mif dans ma tête.