David Robert Mitchell
Abaca

Le réalisateur d’Under The Silver Lake était à Paris ce week-end dans le cadre d’une rétrospective consacrée à Los Angeles au Forum des Images. Entretien avec un cinéaste énigmatique, mais définitivement enchanteur.

Depuis le 12 avril et jusqu'au 6 juillet prochain, le Forum des Images propose une rétrospective consacrée à Los Angeles au travers de plusieurs films ayant marqué l'histoire de la ville. Au programme, un grand nombre de films noirs (Assurance sur la mort, Chinatown, Le Grand Sommeil), des films de plages (Point Break, Gidget), où encore des explorations du cinéma d'hier (Boulevard du Crépuscule) comme d'aujourd'hui (The Canyons).

Avec Under the Silver Lake, également projetée au cours de ce cycle, David Robert Michell nous offre une plongée dans un L.A aux allures de cauchemars. En passage à Paris pour présenter son film, il est revenu pour Première sur sa vision de la ville, sa carrière ainsi que sur l'état actuel du cinéma américain, entre le succès fou d'A24 aux derniers Oscars et le développement des intelligences artificielles qui menacent l'industrie hollywoodienne, prise dans la tourmente d'une grève massive prête à marquer son histoire.

Vous êtes présents pour le cycle Los Angeles : une ville entre rêve et cauchemar, organisé par le Forum des Images…. Qu’est-ce que vous évoque Los Angeles ? 

En grandissant dans le Michigan, je voyais Los Angeles comme un endroit éloigné du monde des communs. À cette époque, je ne connaissais la ville qu’à travers les films et les séries, comme beaucoup de personnes. Déménager là-bas en devenant adulte a été excitant, mais aussi effrayant. Après mes études en école de cinéma à Tallahassee, en Floride, venir à L.A avec cette ambition de réaliser des films peut paraître inquiétant, étant donné que tout le monde semble en faire là-bas. Se retrouver sur place sans argent et sans ressources peut devenir compliqué. Comme dans toutes les grandes villes dans le monde, il y a une extrême disparité entre les riches et les pauvres. Los Angeles a toutefois permis de montrer d’où vient réellement le cinéma en tant qu’art, même si celui-ci est né en réalité un peu partout dans le monde. 

Quels sont les films qui offrent la meilleure représentation de la ville ?

En réalisant Under the Silver Lake, je voulais montrer une ville au climat très particulier. J’ai réfléchi pendant plusieurs années sur les inspirations du film. En y repensant, ce sont surtout les films noirs qui m’ont inspiré, ainsi que les films “étranges”, à l’image de ceux réalisés par David Lynch. Il y a aussi Le Privé de Robert Altman, mais également beaucoup de films de Brian de Palma. Mon idée avec Under the Silver Lake était de montrer la face sombre de la ville, bien qu’il y ait eu énormément de films ayant évoqué le sujet avant moi. En termes de représentation, je pense également aux films de Sofia Coppola. Somewhere est un film qui montre un angle différent de la ville. Même si son œuvre ne m'inspire pas tellement, je suis un grand fan de son travail.

Le Privé
United Artists

Qu’est ce qui a véritablement changé entre Boulevard du Crépuscule, première grande satire sur l’industrie hollywoodienne dans les années 1950, et celle que vous montrez dans Under the Silver Lake en 2018 ?

Un film comme Boulevard du Crépuscule représente forcément un point d’inspiration pour les films tournés à Los Angeles. Je pense néanmoins que la comparaison entre les deux films va beaucoup plus loin que ça. C’est plus une question de ton ! Je pense que pour beaucoup de spectateurs, ces deux films représentent Los Angeles, et ils ressentent cette histoire fabriquée que l’on voit à l’écran, que l’on accepte et que l’on ressent. Il y a la véritable Los Angeles, et il y a la ville de cinéma qui se trouve derrière.

Boulevard du Crépuscule
Paramount Pictures. All rights reserved.

On assiste ces dernières années à une vague de cinéastes hollywoodiens replongeant dans un passé fantasmée de Los Angeles, avec Quentin Tarantino, Paul Thomas Anderson, Jonah Hill… Pourquoi ces cinéastes décident-ils de regarder dans le rétroviseur d’une époque révolue ?

Je pense que chaque réalisateur impose sa vision de la ville. En tant que personne créant de l’art, il y a une certaine mélancolie qui arrive au bout d’un moment dans notre esprit. En regardant ces films, on se dit qu’il y a une pointe de nostalgie, forcément, mais je pense que ces cinéastes cherchent à aller vers quelque chose de plus profond. Ces films évoquent le souvenir d’une vie, accompagné par un examen de plusieurs souvenirs interprétés d’une certaine manière.

Le cinéma d’horreur semble jouir d’une toute nouvelle popularité aujourd’hui, avec la présence de cinéastes comme Ari Aster et Jordan Peele, qui arrivent après le succès d’It Follows. Comment renouveler un genre maintes fois exploré mais toujours aussi populaire ?

Je pense que chaque cinéaste doit trouver son style. Quand j’ai commencé à travailler sur It Follows, l’histoire est venue de mes propres peurs. Dans les années 2000, j’ai pu observer un moment de stagnation en ce qui concerne le cinéma d’horreur, même si quelques films sortent clairement du lot. Dans l’histoire du cinéma, il y a eu un tas de films qui m’ont parus tellement mémorables qu’il est nécessaire de continuer à les réhabiliter aujourd’hui. Ces films-là m’ont permis d’avoir une idée de ce que je voulais réellement faire en tant que réalisateur. Mon but était de faire un film qui traverserait lui aussi les années. Je voulais mélanger mes propres cauchemars tout en m’inspirant d’un cinéma daté. J’ai peut-être réussi à faire bouger les choses, et cela a permis d’ouvrir une certaine porte pour d’autres cinéastes.

It Follows (2015)
Metropolitan Film Export

Avec le succès d’A24 aux derniers Oscars, est-ce qu’on peut affirmer que les propositions d’auteurs ont encore de beaux jours devant elles ? 

Au-delà d’A24, il est également important de souligner la présence de NEON dans le paysage de la production américaine. Au cours de ma carrière, beaucoup de personnes n’ont pas arrêté de me signaler qu’It Follows était un film A24, ce qui n'est pas le cas ! A24 a toutefois permis de démocratiser l’idée que des petites compagnies pouvaient elles aussi faire de grands films. C’est génial qu’elles existent, elles nous poussent à réaliser un travail complètement original. Je suis toutefois contre cette idée de glorifier une marque. Je n’ai rien contre les gens qui le font, mais ce qui me paraît en réalité le plus excitant aujourd’hui, ce sont surtout les films en eux-mêmes, ainsi que les réalisateurs et les acteurs. J’essaye de ne pas les catégoriser.

Comment réussir à garder ces films dans les salles de cinéma, justement ?

Je ne sais pas vraiment. Je suis actuellement en train de travailler sur un nouveau projet, et cette idée me tracasse. En tant que cinéaste, tu fais ton possible pour proposer quelque chose d’excitant tout en réussissant à parler au public. Il faut poser la question à plusieurs distributeurs, qui attestent de l’importance de la sortie d’un film en salle, tout en réussissant à le rendre exceptionnel aux yeux des spectateurs. Même si cela paraît difficile dans un monde où tout le monde peut être diverti en regardant simplement son téléphone, son ordinateur, sa montre, sa tablette et bientôt ses lunettes connectées ! Je ne sais pas exactement vers où nous allons aujourd’hui, mais en ce qui me concerne, l’idée de voir un film dans une salle reste plus importante que jamais. Dans tous les cas, je vais continuer de réaliser des films qui ont leur place dans les salles, en espérant que le public me suive. 

Top 2018 : 2. Critique d'Under the Silver Lake
Le Pacte

Avec la grève des scénaristes à Hollywood, et l’avènement des intelligences artificielles, quel avenir voyez-vous pour le cinéma d’auteur américain ?

J’espère que les scénaristes auront ce qu’ils méritent de la part du système. Ce n’est désormais plus qu’une question de temps. En ce qui concerne l’intelligence artificielle, c’est comme toutes les technologies, elle est à la fois excitante et terrifiante. J’ai lu plusieurs théories qui évoquent ce qui pourrait arriver avec le développement de l’intelligence artificielle, sur le fait qu’elle pourrait peut-être un jour nous remplacer. Certaines personnes semblent déjà savoir vers où ira l'IA, avançant l’idée qu’elle sera complètement installée dans le paysage d’ici 10 ans, 20 ans, voire 50 ans pour certains. D’ici là, on pourra probablement créer son propre programme, conçu pour être regardé sur le moment. On sera dans l’ère d’un divertissement sans interaction humaine. J’aime toutefois penser que les gens auront toujours besoin d’un cinéma créé par des gens pour les gens, bien que cela ne sera probablement plus la constante.

Cela rappelle les propos de Joe Russo sur l’intelligence artificielle, qui évoquait justement l’idée de créer son propre contenu en se mettant soi-même en scène au côté de stars décédées…

Au fond de moi, je suis toujours excité par ce que peut proposer la technologie aujourd’hui. Je ne veux pas être bloqué dans le passé pour toujours. J’espère juste qu’il restera une place dans ce monde pour les arts créé par des humains, peu importe la forme. Ce qui me terrifie le plus en revanche, c’est justement la disparition de l’art, et la naissance de programmes basés sur le ressenti de chaque personne. J’espère qu’on est encore loin de cette idée, et j’espère pouvoir vivre une grande partie de ma vie sans l’invasion de l’intelligence artificielle.

Rétrospective : Portrait de Los Angeles, une ville entre rêve et cauchemar. Jusqu'au 6 juillet 2023 au Forum des Images.