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C'est votre premier festival de Deauville ?Oui, l'endroit est incroyable. J'ai l'impression d'être dans un livre pour enfants.L'an dernier, John McTiernan était l'un des invités d'honneur. Il a donné une masterclass où son oeuvre fut envisagée comme celle d'un auteur à part entière. Vous avez le sentiment que l'on reçoit votre travail de la même manière, en France ?Je ne sais jamais trop comment me positionner par rapport à cette question. Plus je voyage pour présenter mes films, plus je m'étonne de voir tous ces gens qui s'amassent aux avant-premières, et qui ont l'air de mieux connaître mes films que moi. Le problème, c'est que je ne vois pas vraiment les choses de la même manière. Mes thèmes, par exemple : le bien et le mal, le juste et l'injuste, la transmission de la sagesse aux jeunes générations… Ce sont des questions universelles, non ? Bon, je crois que si on devait résumer mon grand thème en un mot, ce serait peut-être : l'héroïsme.Mais pas le "super-héroïsme".C'est vrai, on m'a proposé pas mal de films de super-héros, mais je les ai tous refusés. Parce qu'à mes yeux, j'avais déjà fait mon film de "super-héroïsme" avec Transformers. Donc je me suis efforcé de rester à la marge de cette tendance. (Il sourit). Vous trouvez qu'il y en a trop, pas vrai ?Disons que l'on remarque une propension au "super-hero bashing", notamment dans les propos de certains réalisateurs hollywoodiens… Et on peut les comprendre.Oui, je ne sais pas vraiment ce qui se passe, c'est un peu le raz-de-marée. Face aux désastres rencontrés récemment dans le monde, je pense qu'il nous faut des héros de chair et d'os. On a besoin de voir des actes de bravoure humains, et non plus "super-héroïques".Vous en avez donc assez, vous aussi.Le problème, c'est que tous ces films ont fini par se ressembler… J'aime certains d'entre eux : les derniers Batman sont super… Hmmm, voyons-voir… Thor, je ne pige pas le truc. Les autres Avengers non plus, d'ailleurs… Ah si, j'aime bien les Iron Man. Je me demande jusqu'à quand on va continuer ? Peut-être que Star Wars va un peu changer la donne, je n'en sais rien.Vous avez hâte de voir le nouvel épisode ?Oh, oui. J'ai été chez stagiaire chez Lucasfilm quand j'étais ado. C'était génial, je classais les schémas de la maison de Yoda, ce genre de choses. Alors je comprends très bien les fans qui attendent le nouveau film de pied ferme !Votre prochain film, 13 Hours, c'est une tentative de filmer des héros plus humains ?Exactement. C'est l'histoire vraie de l'assaut d'une base américaine à Benghazi, et des cinq types qui ont combattu treize heures durant pour repousser l'attaque. Pour le coup, je n'avais jamais abordé une telle forme d'héroïsme : ces types-là n'éteint pas techniquement militaires, ils étaient de simples opérateurs de sécurité. Mais parce qu'ils sont tous de jeunes pères de famille, et qu'ils ont le sens des responsabilités, ils se sont montrés aussi aguerris que des soldats surentrainés.Vous dites avoir voulu renouer avec l'humanité : c'était déjà le cas avec No Pain No Gain, que vous présentiez comme une sorte de cure post-Transformers…sauf qu'il s'agissait de types pathétiques, si convaincus d'être dans leur bon droit qu'ils en devenaient comiques. Mais oui, c'est vrai, à travers eux j'ai retrouvé le bonheur de filmer des acteurs, parce que Transformers m'avait épuisé. Les robots sont éreintants, ils ne se contentent pas de se pointer le matin et de jouer la comédie. Il vous faut une armée d'animateurs pour les faire exister. Alors je me suis guéri avec No Pain No Gain. Même si les personnages sont dégueulasses, le film est intensément humain.Mais vous avez vite rempilé avec Transformers 4, qui est sans doute l'épisode le plus déshumanisé de la saga ! À ce moment-là, on aurait pu croire que vous préfériez en fin de compte les machines aux humains...(Rire) Non ! Si j'ai continué à m'intéresser aux robots, c'est pour dire que nous devons veiller à ne pas les laisser prendre le contrôle. C'est une vraie menace, les machines pourraient emporter le morceau un jour. C'est à la fois fascinant et très flippant. Mais ce n'est pas parce que les personnages de No Pain No Gain sont débiles que je n'ai pas foi en l'humanité.Les héros de 13 Hours feront-ils pardonner la bêtise du petit gang de No Pain No Gain ?Si vous voulez, oui. J'ai conçu 13 Hours comme un récit exemplaire, une fable qui puisse inspirer le public. Il s'agit de montrer que l'instinct de survie est une vertu précieuse.Voilà qui ressemble fort à un pitch de Peter BergC'est drôle que vous disiez ça : lorsque Steven Spielberg et moi avons voulu acheter les droits du Survivant (le témoignage qui a inspiré Du Sang et des larmes, ndlr), Peter Berg nous a devancé de quelques heures ! Je trouvais le livre formidable, et j'avais convaincu Steven de le produire pour moi… Mais bon, tant pis, bien joué Peter ! En un sens, j'avais déjà tourné mon histoire de Navy Seals avec Rock. Croyez-le ou non, mais nous avions bossé avec une véritable escouade de Seals. Ces gars-là m'ont fasciné tout au long du tournage. Ce sont des types bien plus profonds qu'on ne le croirait. Aujourd'hui, l'un d'eux est devenu prof de philo. C'est dire comme le combat peut vous emmener loin… Enfin, bref, c'est vrai que les films de Berg sont une source d'inspiration possible. J'ai aimé American Sniper d'Eastwood, aussi : le personnage de Bradley y est très inspirant.Est-ce que les événements de cette année, par exemple les attentats de janvier à Paris, ont influencé votre projet ?Ils n'ont pas vraiment influencé l'écriture, puisque c'est une histoire vraie et que nous voulions rester au plus près des événements réels. Mais dans la manière de cadrer certains détails, oui, les récentes tragédies peuvent nous inspirer quelques trouvailles. Elles ont influencé notamment l'interprétation d'un personnage, une Française qui travaille comme espionne de la CIA et qui… Non, ça m'embête de lâcher le morceau, mais vous verrez que l'actualité nous souffle parfois certaines idées. Au bout du compte, le film vous fait réaliser l'absurdité de la situation au Moyen Orient : on se rend là-bas, et on n'a pas de foutu plan ! On navigue complètement à vue. Vous, les Français, vous nous avez aidés sur ce terrain, notamment avec l'intervention en Libye. Vous savez ce que c'est : nous sommes tous dans la même panade, désormais. C'est dingue, non ? Et terrifiant, aussi. On est tous coincés.Peut-être qu'on a besoin des super-héros, tout compte fait.Peut-être ! Mais de ce côté, je me demande si on ne vas pas bientôt tomber à court d'idées…Interview Yal Sadat