David Lynch
Potemkine Films

Le créateur de Twin Peaks fait une entorse à son goût du mystère et se livre comme jamais.

La sortie de L’espace du rêve (en VO : Room to dream) intervient peu de temps après celles du documentaire David Lynch : The Art Life et des bonus DVD de la série Twin Peaks : The Return, soit deux documents fascinants qui proposaient un accès privilégié et inédit aux mystères de la création selon David Lynch. Comme si le plus énigmatique et taiseux des cinéastes contemporains, désormais septuagénaire, voulait fixer sa légende une bonne fois pour toutes, en levant un coin de voile (de rideau rouge) sur ses méthodes de travail et ses pensées secrètes. D’où viennent ses visions ? Comment parcourent-elles le chemin qui mène de son inconscient à nos rétines ? The Art Life le montrait en train de peindre au soleil dans sa maison-atelier des hauteurs de Los Angeles, les bonus de Twin Peaks susurrer des secrets en forme de psalmodies magiques à l’oreille de ses comédiens et comédiennes…

L’espace du rêve va encore plus loin. Tout y est : l’enfance idyllique dans l’Amérique des années 50, les années de dèche à Philadelphie, le tournage mythique d’Eraserhead dans les sous-sols de l’American Film Institute, le triomphe d’Elephant Man, la rencontre avec les différents mécènes et producteurs qui croiseront sa route et l’aideront à affiner son regard (Mel Brooks, Dino de Laurentiis, Francis Bouygues…). La forme du livre est originale, faisant alterner des chapitres « objectifs » écrits par la journaliste Kristine McKenna et des chapitres « subjectifs », où Lynch prend la parole pour donner sa version des faits. Entre deux anecdotes savoureuses (ses rencontres avec Michael Jackson et Marlon Brando, notamment) ou bouleversantes (son voyage en Inde pour enterrer Maharishi Mahesh Yogi), se dessine le portrait d’un artiste total, intransigeant, allergique aux concessions, qui dut transcender ses peurs et affronter les tièdes pour mieux sublimer ses fantasmes. Lynch et McKenna ne cachent rien du prix à payer pour parvenir à mener « la vie d’artiste » - les enfants parfois délaissés, les difficultés financières, l’indifférence ou le mépris de l’industrie, les broncas critiques qui accueillirent Twin Peaks : Fire Walk With Me et INLAND EMPIRE… La franchise de Lynch, son enthousiasme d’éternel boy-scout, compensent les excès laudateurs de certains passages – McKenna a interviewé plus d’une centaines de collaborateurs et proches du cinéaste, qui rivalisent tous de gentillesse et d’admiration quand ils évoquent le sphinx aux cheveux d’argent. Mais, surtout, L’espace du rêve donne envie de se noyer à nouveau dans l’œuvre : la folie dispendieuse de Dune, la séduction vénéneuse de Blue Velvet, la frénésie rockabilly de Sailor et Lula, les chemins de traverse d’Une Histoire Vraie, les vertiges expérimentaux de Lost Highway et Mulholland Drive… Si, l’an dernier, le retour de Twin Peaks n’a pas convaincu le grand public et révélé que le noyau dur des fans de David Lynch s’était rétréci avec le temps, ce livre vient rappeler quelle est sa place dans l’histoire du cinéma. Celle d’un géant.

L'Espace du rêve, de David Lynch et Kristine McKenna, traduit de l'anglais par Carole Delporte et Johan Frederik Hel Guedj, Editions JC Lattès, parution 19 septembre, 25, 90 euros. 

Lynch L'espace du rêve
JC Lattès