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Rencontre avec le réalisateur de Jack Reacher.

PREMIÈRE : Où étiez-vous passé depuis la sortie de Way of the Gun, en 2000 ?
CHRISTOPHER MCQUARRIE : J’ai connu une traversée du désert pendant douze ans. Le film a été un échec cinglant et je n’ai pas été invité à en réaliser d’autres... Je suis donc revenu à l’écriture, remaniant des scripts boiteux pour les studios – un job très bien payé – tout en essayant de bosser les miens en parallèle. Au bout d’un moment, frustré par ma situation, j’ai décidé de tout plaquer. Deux jours plus tard, Bryan Singer, à qui je n’avais pas parlé depuis un bail, m’appelait pour me dire qu’il avait lu le scénario de Walkyrie et qu’il souhaitait le tourner. Je l’avais écrit pour moi, mais j’ai accepté de le lui céder. Ce projet allait payer mes dettes, ma maison, et après ça je pensais pouvoir me retirer du business. Puis ils m’ont demandé de rester, de devenir producteur, et voilà. J’ai bataillé comme un fou pendant douze ans pour réaliser un film, et au moment où je renonce, Tom Cruise vient me chercher.

Racontez-nous la genèse de Jack Reacher...
Le producteur Don Granger voulait adapter les livres de Lee Child depuis un bout de temps. Je ne les avais jamais lus mais j’en suis tout de suite devenu fan. La question du choix de l’acteur qui incarnerait Reacher s’est tout de suite posée et, pour la résoudre, nous avons mis au point un algorithme à partir des caractéristiques-clés du personnage : capacités physiques, gouaille, charme, vélocité... On a testé plusieurs noms très connus avec cet algorithme, et celui de Tom Cruise, qui n’était que producteur à ce moment-là, a fait un score dément. Je l’ai alors contacté avec l'idée qu’il pourrait lui-même incarner Jack Reacher.

Le scénario porte clairement votre griffe...
En rédigeant le script de Usual Suspects, je ne me suis jamais dit que je faisais un « film à twist ». J’ai simplement imaginé un retournement de situation autour duquel j’ai construit une histoire. Depuis, j’ai écrit ou réécrit plein de scénarios mettant en scène ce genre de rebondissement et j’ai appris que le bon twist est celui qu’on peut vous raconter avant que vous ayez vu le film sans que ça gâche votre envie de le découvrir. Le problème de Folie furieuse (le livre dont est tiré “Jack Reacher”, intitulé “One Shot”en anglais), c’est que le twist n’a rien d'exceptionnel. Je voulais le dévoiler dès les dix premières minutes, même si le studio ne comprenait pas pourquoi. Mais si on avait gardé cette révélation pour la fin, elle aurait tout étranglé, comme par exemple dans The Tourist, sur lequel j’ai bossé. Dans ce cas-là, impossible de révéler quoi que ce soit avant le dénouement. Du coup, vous passez votre temps à jongler : il ne peut pas dire ça parce qu’ils ne sont pas en mesure de savoir à ce stade de l'histoire que blablabla... C’est un putain de cauchemar !

Jack Reacher est violent, mais jamais de façon graphique. Vous avez beaucoup coupé ?
On a dû raccourcir quelques scènes, dont celle où le sbire se dévore le pouce. Le seul truc qui m’ennuie vraiment, c’est que personne ne fume. Dans le script, le méchant clopait et je voulais utiliser cette fumée à des fins dramatiques. Mais c’est fini tout ça, on ne peut même plus s’en griller une dans les longs métrages américains. C’est dommage parce que dans tout ce que j’écris, il y a des cigarettes !

Tom Cruise et vous, c’est un mariage d’amour ? Un partenariat ?
Je ne le sais pas moi-même, mais ça a l’air de bien se passer. Il m’a fait venir pour des réécritures sur Mission : Impossible – Protocole Fantôme puis Oblivion, et depuis, on a fait Jack Reacher, All You Need Is Kill (réalisé par Doug Liman),et on est actuellement en phase d’écriture sur Mission : Impossible 5 (que McQuarrie réalisera lui-même).Pour Jack Reacher, nous étions obligés de prendre en compte cette évidence : Tom Cruise est Tom Cruise. Point final. Et donc comment allions-nous lui faire jouer un nouveau personnage iconique sans que les spectateurs voient immédiatement Tom à l’écran ? Je lui ai alors dit : « Tous les personnages que tu as joués jusqu’à présent sont des types sous tension en quête de l’objet de l’intrigue. Jack, lui, ne subit aucune pression et ne cherche rien. Puisque ce n’est pas dans ton ADN, te sens-tu capable de jouer un héros qui préfère traîner avec le méchant plutôt que d’aller secourir la jolie fille ? » Il m’a regardé et a laissé échapper un grand soupir qui voulait dire : « J’ai attendu toute ma vie de pouvoir jouer ce type-là ! »

Benjamin Rozovas

Jack Reacher est sorti en DVD et blu-ray le 22 mai.