The Loudest Voice
Canal +

Conduit par Tom McCarthy, réalisateur de Spotlight, un biopic de l'ex-patron de Fox News, qui frappe fort quand il ausculte l’entreprise de manipulation ourdie par celui-ci.

Canal + démarre ce soir la série The Loudest Voice, racontant l'ascension et la chute de l'ancien patron de Fox News. Un biopic qui vaut le coup d'oeil ? Voici la critique de Première.

« Il n'y a probablement aucun individu dont la vie explique plus clairement comment on a fini avec Donald Trump que celle de Roger Ailes », écrit le journaliste Gabriel Sherman, dans la biographie qu'il a consacrée à cet ex producteur, conseiller médias en politique, approché au milieu des années 90 par le milliardaire Rupert Murdoch, désireux de monter sa chaîne d'infos. Ce sera Fox News, qu'Ailes va diriger et façonner à son image dès sa création en 1996, au gré de ses obsessions, quitte à orienter les faits et travestir la vérité ... avant de tomber, vingt ans plus tard, pour harcèlement sexuel. The Loudest Voice, largement adapté de l'enquête de Sherman, peut difficilement s'inscrire davantage dans le mouvement de ces fictions documentées dont l'élection de Donald Trump a, à divers degrés, innervé l'écriture.

Suivant l'itinéraire de son personnage trouble (incarné par Russell Crowe, transformé par des couches de latex) durant son règne au sein de la chaîne, le biopic en sept parties, co-créé par Tom McCarthy (Spotlight), décrit l'influence exercée par l'ex patron de télévision en s'arrêtant sur les époques et les événements qui ont agi comme autant de marqueurs dans l'histoire de la station. Des catalyseurs qui ont poussé plus loin Ailes dans son entreprise mégalo, doublée de manipulation : le moment de sidération qu'a été le 11 septembre 2001, qui a conduit à la politique internationale « bushienne » largement promue par la chaîne, la campagne électorale et la victoire d'Obama qui a permis à celle-ci de faire gonfler ses audiences auprès des conservateurs... Jusqu'aux premiers frémissements de la candidature de Trump dont l'ombre plane, parfois à outrance, sur l'ensemble des épisodes. Un chapitrage elliptique bien pensé, qui structure une minisérie immersive côté coulisses. Quand celle-ci mêle avec fascination petite et grande histoire, connecte les événements entre eux et grandit hors champs d'un épisode à l'autre, en observant les effets du temps et des circonstances sur ses personnages.

Bande-annonce de The Loudest Voice, avec un Russell Crowe méconnaissable

Pour déambuler dans ces péripéties, The Loudest Voice fait place nette à ce personnage fort en gueule, auquel Russell Crowe, impeccable, prête son interprétation et sa gestuelle. Libéré dans l'expression d'une rhétorique comme autorisée par sa transformation physique (impossible de ne pas penser au Vice d'Adam McKay), l'acteur occupe tout l'espace, au détriment d'un casting solide trop à l'étroit (Sienna Miller, Seth MacFarlane, Naomi Watts). Lorsqu'il inonde de sa verve colérique les salles de réunion et instaure le malaise par une présence pernicieuse dans l'intimité des bureaux et des chambres d'hôtels où il abuse de son pouvoir, Crowe est filmé comme un ogre au sourire carnassier, aux mains démesurées qui broient toute forme de contestation. La série traduit sa toute-puissance, avant d'observer lentement sa chute dans une deuxième partie qui fait le lien avec une période pré MeToo.

A l'image, la métaphore est puissante mais, dans les recoins du scénario, le portrait de l'homme manque de nuances et de subtilités. Rivé à sa feuille de route didactique qui raconte la politique américaine, la naissance d'un média hors normes et les collusions entre les deux, du fait de son omnipotent fondateur, la série peine à prendre du recul sur ce personnage central dont les aspérités méritaient d'être creusées davantage... Focalisée sur sa période Fox News, elle ne remonte sans doute pas assez loin en arrière pour expliquer sa construction, contrairement à l'enquête journalistique dont elle s'inspire. Un aller-retour express dans sa ville natale, quelques confessions glanées ici ou là, mais pas assez pour cerner celui qui demeure l'insaisissable rouage d'une mécanique retorse et sidérante.

Jonathan Blanchet

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