Paris est à nous 1
Netflix

Ce film Netflix conte l'histoire d'un couple en perdition dans un Paris endeuillé par la violence et les tragédies actuelles. Rencontre avec les producteurs du film et l'actrice Noémie Schmidt.

Filmer le Paris d'aujourd'hui dans son intensité dramatique et le transformer en décor de fiction. Tel était l'ambitieux postulat de l'équipe du film Paris est à nous (anciennement Paris est une fête), disponible le 22 février sur Netflix. Ce mélodrame relate le déchirement d'un couple à travers le regard d'Anna (Noémie Schmidt), dont la perception du monde change après avoir frôlé la mort. La jeune femme s'enfonce alors dans des questionnements intimes et existentiels, avec la violence qui touche Paris comme miroir à sa détresse. Nous avons rencontré la jeune équipe du film pour aborder ce projet débordant d'ambition.

Paris est à nous a été tourné avec un souci de réalisme et tire ses décors de situations concrètes (fête de la musique, cortège en réaction aux attentats, manifestations contre la loi Travail). Pourquoi avez-vous fait le choix de faire du réel le théâtre de la fiction ?

Olivier Capelli (producteur) : C’est une volonté de base d’ancrer le film dans la réalité du Paris d’aujourd’hui. De le construire au fur et à mesure de ce qui se passe dans la ville. On a senti que la ville changeait et on voulait que ce sentiment, partagé par tout le monde, rentre dans la fiction et dans le personnage de Noémie. C’est quelque chose qui nous permettait d’être très réactif et d’évoluer avec les évènements.

Paul Saïsset (ingénieur son, co-scénariste) : Notre intention de composer avec l’époque est aussi en réaction face à un certain cinéma français. On sentait que le cinéma d’aujourd’hui ne se réappropriait pas ces évènements et cette époque si particulière et refusait de la traiter.

Noémie Schmidt : C'était aussi d’avoir une vision artistique, ne pas tomber dans le documentaire. C’est parti d’une intuition de la réalisatrice qui avait la sensation que quelque chose allait se passer, et cela nous a donné raison.

Paris est à nous 2
Netflix

Le film débute avec une scène de bonheur absolu avant de s'enfoncer graduellement dans la violence et le déchirement des deux amants. Cette trame dramatique était-elle écrite à l’avance ou a-t-elle été influencée par l’évolution chaotique des évènements ?

Laurent Rochette (producteur) : On avait l’idée d’un couple qui se désagrégeait mais on ne savait pas pour la suite. Certaines séquences comme celle sur la place de la République ont été tournées à la fin. On a été influencés par les évènements. Ils nous ont guidés.

N.S : On avait déjà un premier montage et les obsèques de Johnny sont arrivées à un moment inattendu pour tout le monde. On a filmé une séquence dans cette foule et on l’a inséré dans le montage ensuite, ce qui a donné une autre couleur à l’histoire. C’était notre processus général. Le film s’est beaucoup écrit au montage.

P.S : On a filmé avec beaucoup de réactivité ce qu’il se passait. La scène des obsèques s’est retrouvée dans le montage et ce qu’on avait vécu la veille comme un événement de la réalité, d’un coup devenait la fiction. On voulait prendre une espèce de distance fictive avec la réalité qu’on capturait.

Malgré la longueur du tournage, le film s'est fait avec seulement 4000 euros de budget (dont la majeure partie pour tourner la scène du théâtre). Comment avait vous appréhendé un projet aussi ambitieux avec si peu de moyens ?

L.R : Quand on n’a pas d’argent à la base, on se dit : "Comment on fait de cela une force ?" Plutôt qu’imaginer des décors et des scènes très ambitieux qu’on n'aurait pas les moyens de faire, on s’est dit qu’on allait partir de ce qu’on a, la ville, un dispositif ultra-léger, la mobilité, pour en faire un atout.

N.S : Pour ne pas se faire remarquer, il y a un plein de scènes où l'on n'a pas utilisé de perche ce qui a amené des problèmes de sons. On a eu besoin de l'argent (de la campagne Kickstarter) pour refaire dans un studio le son qu’on n’avait pas pu capter.

Paris est à nous 3
Netflix

Après le choc lié au crash de l'avion, la situation devient de plus en plus chaotique et verse même dans le fantastique. On pense à Donnie Darko mais aussi à Mulholland Drive de David Lynch pendant la scène du théâtre qui rappelle le Silencio. Pour un film si ancré dans la réalité pourquoi avez-vous fait le choix d’introduire des éléments fantastiques et oniriques ?

L.R : Je crois qu'il est important de contrebalancer tout ce qui est réel avec beaucoup de faux, de questionner l'existence de tout cela. Le réel, c'est aussi la manière dont les gens se le représentent.

P.S : C'était important de questionner le réel médiatique. Quand Anna arrive là, elle a ses propres questionnements existentiels, puis la ville de Paris et toute sa violence viennent la percuter, ainsi que le regard médiatique sur cela. Elle ne sait plus où elle est.

N.S : On est à l’intérieur de la tête de mon personnage. On a voulu un film sensoriel, pas qui se comprend mais qui se ressent.

P.S : On se retrouve sur du Lynch ou même sur le dernier Bi Gan, un cinéma où on se laisse aller. Essayer d’intellectualiser le film ce serait se prendre les pieds dans le tapis et passer à côté de l’expérience.

Certaines scènes sont tournées au beau milieu de manifestations, parfois dans les échauffourées. Avez-vous rencontré des difficultés à tourner dans ces conditions-là ?

N.S : Comme ça faisait deux ans qu’on tournait ensemble et qu’on avait appris à se connaître, on apprend à gérer l’ingérable (les casseurs, les lacrymos…). Pour la scène de République, on a dépassé le cortège de tête et on est arrivé sur la place et il n’y avait personne. Tout était barricadé. Il s'est passé quelque chose à ce moment-là dans la chorégraphie du tournage. D’un coup on se retrouve sur la place et le plan est magique parce qu’il y a un vol de pigeon juste au bon moment, l’ambulance s’arrête au bon endroit, ce qui fait que le plan est magique. Après ça on s’est pris des lacrymos et on a couru dans tous les sens. On s’est juste donné la possibilité que ça ne marche pas.