Toutes les critiques de Six Portraits XL 2 : Jacquotte et Daniel

Les critiques de Première

  1. Première
    par Thomas Baurez

    Alain Cavalier est devenu un filmeur. Il a longtemps été un cinéaste, comprendre un auteur signant des films dans un format traditionnel, faits de drames, de joies, de beautés, d’élans romanesques bigger than life… Sans oublier, l’essentiel : des stars (Romy SchneiderJean-Louis TrintignantAlain DelonCatherine DeneuveMichel PiccoliNathalie Baye…)  Le combat dans l’île (1962), L’insoumis (1964), La chamade (1968), Le plein de super (1976)… Dans le lot, Il y a même une bête à concours : Thérèse qui lui vaut au mitan des 80’s un prix cannois et des César à la pelle. N’en jetez surtout plus, Cavalier n’est pas de ce bois-là ! Peu à peu, il est donc devenu filmeur, comprendre quelqu’un qui n’a pas besoin des autres pour avancer (rayez les mentions jadis utiles ci-dessus !) et tient seul sa caméra de poche sans trop se montrer mais sans jamais essayer de s’effacer non plus. Car le filmeur, filme c’est entendu, intervient aussi, se raconte à travers les autres, fait tomber les digues de la fiction et du documentaire. Le bien nommé Filmeur en 2004 (choc esthétique et intime), Irène en 2009 (re-choc) ou encore Pater en 2011, joute comico-verbale entre Lindon et l’intéressé.
    Arrive aujourd’hui ces Portraits et leurs mentions forcément rigolotes : XL. Une taille extra-large pour une série de docs (6 chapitres au total, distribués par paquets de deux entre le 17 et le 31 octobre) de mini-films d’une heure à peine où le filmeur taille le portrait, parfois étalé sur plusieurs années, d’hommes et de femmes plus ou moins ordinaires, mais aussi des proches dans la force de leur quotidien.

    LÉON ET GUILLAUME (Sortie le 17 octobre)
    Il y a d’abord Léon le cordonnier. Dans sa petite boutique parisienne, chaque épaisseur de chaussures en attente, de documents non classés, d’outils plus ou moins usés, sont autant de sédiments d’une vie passée là, à briquer du soulier. Après 46 ans de bons et loyaux services, Léon ferme boutique. C’est la retraite. Cavalier est là, saisit au plus près les derniers gestes, pour faire surgir une vérité. Une vérité presque magique. Léon est un héros du quartier. Son énergie positive est suffisamment communicative que l’on soupçonnerait presque les clients d’abimer exprès leurs chaussures pour justifier un passage chez lui
    Guillaume, lui, est plus jeune, plus ambitieux. C’est un boulanger qui ferme son commerce pour en ouvrir un autre, plus grand avec une future clientèle plus bourgeoise qu’il faudra flatter de son talent « pâtissier ». Autour de Guillaume et son nouvel espace encore vide, il y a femme et enfants. La pression est énorme, le temps manque, mais le savoir-faire et l’envie de réussir sont plus forts. Alain Cavalier le discret, depuis longtemps délesté des contraintes pesantes de son métier, observe cette agitation avec un calme olympien et une empathie non feinte.

    JACQUOTTE ET DANIEL (Sortie le 24 octobre)
    Vient Jacquotte qui ne peut se décider à bouger d’un iota les souvenirs amassés dans la maison familiale. Cavalier la suit sur 10 ans. La poussière s’accumule, le papier peint se décolle et la perspective de travaux de rénovation angoisse l’intéressée qui, impuissante ; décide de tout stocker au grenier.
    Daniel Isoppo, lui est un cinéaste vieux garçon, rempli de TOC qui vit dans sa garçonnière entre ses manies pour surmonter ses angoisses et sa passion pour les jeux de grattage.

    PHILIPPE ET BERNARD (Sortie le 31 octobre)
    Les deux derniers portraits sont consacrés à Philippe Labro en pleine préparation d’Ombre et lumière, son émission sous forme d’interviews introspectives débutée vers 2005 et le comédien Bernard Combrey, qui éprouve un spectacle sur plus de dix ans. Ce qui sidère à chaque fois c’est la ténacité du filmeur, fidèle aux rendez-vous qu’il s’est fixé avec ses personnages. Car oui, on peut parler de personnages. Là où la série belge Stripteasecherchait le ridicule, le grossier, l’énormité, la faille, le pittoresque, sous couvert du documentaire, Cavalier restitue la pureté de son geste à travers des êtres qui finissent -magie de l’inspiration- par lui ressembler un peu. A moins que ce soit le filmeur lui-même qui se métamorphose. Les derniers mots de ces portraits viennent de Cavalier. Voyant depuis les coulisses partir Bernard sur la scène d’un théâtre, il avoue : « J’aimerais tellement être à sa place ! »
    Ces mini épopées procurent un bonheur extra-large.