Fluctuat
Bond revient plus décidé que jamais à assouvir sa vengeance. Suite directe de Casino Royale, Quantum of Solace tente donc de perpétuer la nouvelle ligne esthétique et psychologique de 007. Hélas Marc Forster n'est pas Martin Campbell et encore moins Paul Greengrass. Heureusement, reste Daniel Craig.Après avoir laissé le soin à Martin Campbell de renouveler pour la seconde fois les bases de la saga, c'est Marc Forster qui hérite de cette lourde tâche : poursuivre le récit là où il s'était arrêté en conservant ses nouveaux codes esthétiques. Face à cette logique de serial optant pour la continuité narrative (une première dans la saga) et des effets de contemporanéité piqués au Jason Bourne selon Paul Greengrass (La Mort dans la peau et La Vengeance dans la peau), Forster tente l'impossible et échoue pratiquement sur toute la ligne. Pas facile en effet de prendre acte et poursuivre cette relecture bondienne qui a troqué l'exotisme, l'élégance et la superficialité contre un style brut et hyperréaliste. Encore moins pour Forster, cinéaste à perspective plate et consensuel, de se frayer un chemin dans le scénario de Quantum of Solace, qui entre deux bastons opte pour un abrégé de géopolitique moderne incompréhensible. Mais cette relecture, qui tente maladroitement de renouer malgré tout avec le passé et l'abstraction des enjeux politiques de la série, n'est que la partie émergente du problème. Si Quantum of Solace échoue là où Campbell avait réussi à imposer avec cohérence sa nouvelle vision du personnage, c'est d'abord parce que Forster doit se coltiner cette fameuse charte esthétique qu'il est incapable d'assumer correctement.Avec son montage d'hyperactif galvanisé à la prise de vue sur le vif, Quantum of Solace veut donc reprendre à son compte le style de Greengrass (on pense aussi à 24). Hélas, cette volonté de saturer l'espace et d'exténuer les corps, qui chez l'anglais renoue avec une obsession du temps réel, se trouve rapidement mise en lambeaux chez Forster. En une scène d'introduction, une poursuite motorisée, bientôt suivi d'une autre décalquée sur La Vengeance dans la peau, on comprend que le film sera incapable de poursuivre la ligne directrice définie par Campbell - qui lui a su s'accaparer le meilleur de Bourne pour l'appliquer à Bond. Car en poursuivant la trajectoire vengeresse du personnage, plus froid et paradoxalement émotif que jamais, Forster oublie que derrière les images brouillées de Greengrass se cachait une quête d'humanité, plus que d'identité. Il s'agissait de se retrouver dans un monde chaotique et difracté. Chez Bond, il en est tout autrement - malgré une cohérence possible. Si Campbell avait réussi à justifier cette violence primitive par la passion amoureuse en privilégiant les moments où naissait cette idylle, chez Forster il ne reste plus grand chose pour donner une logique souterraine à ce déchaînement. On passe d'une scène d'action à l'autre, à peine le temps de divaguer pour revitaliser les motivations du personnage.Ainsi Bond fonce en ligne droite, tue sans prévenir, guidé seulement par la perspective d'une vengeance que le scénario et Forster peinent à rendre palpable. Daniel Craig, impeccable et meurtri, avance alors avec le souvenir de l'épisode précédent, comme sur des rails. Il enchaîne les scènes de castagne mécaniquement, dans un monde et un film qui ne cessent de découvrir que leur environnement est friable, destructible, incertain. Car c'est la nouveauté de cette esthétique, les portes volent en éclat, les bris de verre giclent en myriades de copeaux tranchants, on redécouvre les éléments (le fer et le feu durant le final), dont les personnages se servent pour se défendre et généralement tuer avec une bestialité inédite dans la saga. Une manière donc de rendre l'univers bondien plus réel, de lui donner une matérialité où ce corps puisse exister, être plus vivant - un homme de chair et de sang. Mais le montage à la hache de Quantum of Solace s'avère finalement si hystérique et si souvent contaminé par des impératifs narratifs confus, que Forster est incapable d'accorder complètement son esthétique avec la conduite du personnage, autrement qu'en gardant son pur concept, vidé, ou presque.Car reste malgré tout la présence de Daniel Craig, qui entre deux cascades éreintantes continue de composer un Bond fascinant. Quoique décrit en quelques lignes et limité par la caméra de Forster, son personnage demeure la seule intrigue à laquelle s'accrocher. Jamais aussi distant, détaché, imperturbable, lucide et pourtant obsessionnel et impliqué, on ne peut se défaire de son visage et de son regard glaçant. Si le film galère pour creuser son ambition psychologique, Craig lui soumet un autre principe, plus impulsif et décidément sentimental. Ainsi même dans le fatras mal maîtrisé que compose l'ensemble du film, dans les égarements de son scénario, ses seconds rôles gâchés (mathieu amalric sous exploité), l'acteur demeure le point de chute, l'élément clé permettant à Quantum of Solace de retrouver par endroits la nouvelle ligne conductrice de la saga. Tel un bloc, le corps hermétique de Bond ne vit que dans le souvenir d'un amour perdu. Il est le point de non retour vers le passé, combattant de l'impossible, défiant la mort qui lui a volé l'objet de son affection. Sa voie est celle d'un mort vivant qui se défit de l'ordre sans complètement le renier, puisque la justice personnelle à laquelle il vouait désormais sa cause ne pliera finalement pas complètement sur les impératifs de son gouvernement. On peut alors se dire après tout que le film n'a pas intégralement raté son objectif, il perpétue notre fascination pour le personnage, qui désormais peut repartir dans une nouvelle direction. Mais impossible de dire laquelle.Quantum of SolaceDe Marc ForsterAvec Daniel Craig, Olga Kurylenko, Mathieu Amalric, Gemma ArtertonSortie en salles le 31 octobre 2008Illus. © Sony Pictures Releasing France - Lire le dossier James Bond de Flu