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Disparu brutalement à 48 ans d’un cancer de l’estomac, le petit prince de la télé aura tout connu : des débuts fulgurants, la gloire à 30 ans, une descente aux enfers quasi en direct et une rédemption miraculeuse… Un destin flamboyant et tragique, à son image. Télé 7 jours revient sur le parcours de ce surdoué.

Il n’a pas été un enfant de la télé. Chez ses parents, professeurs agrégés d’anglais, on ne regardait pas la télévision. Trop trivial ! C’est chez sa grand-mère maternelle, Renée, que Jean-Luc Delarue jetait un œil au Petit rapporteur et aux variétés de Michel Drucker. Ses passions premières étaient le foot et la lecture. Comme ses parents se sont séparés très tôt, un divorce qui devait profondément le marquer, Jean-Luc a été élevé en partie par Renée qui tenait un pressing dans le VIIIe arrondissement de Paris.Patron à 22 ansAu milieu des années 1980, la télé explose : ouverture aux chaînes privées et arrivée massive de la pub. Avec un simple DUT de publicité en poche, le jeune Delarue veut tenter sa chance. En 1986, après une année en agence comme concepteur-rédacteur, il monte avec un copain sa première boîte de production audiovisuelle et conçoit le jeu Une page de pub. A 22 ans, le garçon a déjà un goût prononcé pour les responsabilités. "J’aime ça. Comme fils aîné, je me suis souvent occupé de mes trois frères cadets." TV6, l’ancêtre de M6, lui achète son format. Jean-Luc n’a aucune expérience de présentateur ? Même pas peur ! "Nous avons passé un après-midi au parc des Buttes-Chaumont à nous entraîner, devait-il confier. Faute de public, nous nous adressions aux arbres.  J’ai vécu la première émission, un direct, comme une catastrophe, avec l’impression d’être un lapin ébloui par les phares d’une voiture."Star avant 30 ansSa métamorphose en jeune loup ambitieux du PAF va être rapide. En 1989, sur Canal+, il tient une chronique dans l’émission Demain de Michel Denisot. Puis, devient son joker." Il m’a appris mon métier", dixit Jean-Luc. Deux ans plus tard, Denisot lui cède son fauteuil de chef de La grande famille, le talk-show en direct de la mi-journée. D’emblée, le public adore le style Delarue : impertinence, décontraction, courtoisie et, bien sûr, son fameux débit de mitraillette. Le matin, il fait aussi merveille en chef d’orchestre de la tranche 7h-9h sur Europe 1. En véritable relayeur d’infos, il s’impose en anchorman à la française, précédant Fogiel et Bruce Toussaint. Au total, le bourreau de travail assure trois heures de direct par jour. Au bout de trois saisons, le gendre idéal des ménagères s’impatiente. Il convoite la présentation de Nulle part ailleurs, le rendez-vous TV le plus branché. En vain !La consécrationJean-Pierre Elkabbach, nouveau président du service public, l’appelle alors à ses côtés. Bye-bye Canal+, bonjour France 2 ! Durant leurs années communes à Europe 1, les deux hommes ont noué une relation quasi filiale. Rien ne lui sera refusé. Grâce à une avance de six millions de francs de la Deux, JLD crée une nouvelle société, Réservoir Prod, et lance le magazine Ça se discute. Il est désormais l’homme à l’oreillette, en costume sobre. Confesse les anonymes devant les caméras. Fait rimer compréhension et compassion. Les téléspectateurs applaudissent. A tout juste 30 ans, en 1994, le voilà patron d’entreprise. Une trentaine de salariés au début (plus de 200, une décennie après). En coulisses, le boss infatigable se montre ultra exigeant avec ses équipes. Généreux aussi : salaires confortables et vacances ensemble tous frais payés à Courchevel. "Mes collaborateurs sont aussi mes amis. Le travail est un plaisir, c’est là où tout se mélange. Ça peut paraître malsain à certains, mais c’est l’une des clés de la réussite."  Pour galvaniser ses troupes, il instaure un rituel : le match de foot du jeudi soir.Premiers scandalesEn 1996, éclate le scandale des animateurs-producteurs de France 2, accusés de surfacturer leurs émissions avec le complaisant assentiment de la direction. Les "voleurs de patates", selon Les Guignols. Elkabbach lâche Delarue qui se défend comme un fauve. C’est le PDG qui démissionne. Et Delarue de poursuivre son insolente réussite. Dans les années 2000, Réservoir Prod produit jusqu’à une trentaine de programmes pour France 2, France 3, TF1 et le câble. JLD amasse une fortune colossale, alors estimée à 30 millions d’euros.Mais, à partir de 2004, le vent tourne. Suite à un différent avec son animatrice-vedette Evelyne Thomas, la production de C’est mon choix (France 3) s’arrête. Réservoir Prod est frappé par un plan social. Stars à domicile avec Flavie Flament (TF1) est également stoppé. Colérique, instable, Jean-Luc vire brutalement certains de ses proches collaborateurs, qui l’attaquent en justice. Côté vie privée, le célibataire endurci semble avoir trouvé l’amour avec la journaliste Elisabeth Bost, ex-stagiaire à Réservoir Prod. Leur fils Jean naît en octobre 2006.La descente aux enfersPeu à peu, JLD part à la dérive. Février 2007, sous l’emprise de médicaments et d’alcool, l’animateur se montre agressif à l’égard du personnel navigant du vol Paris-Johannesburg. Reconnu coupable de violences et d’outrages, il est condamné à un stage de citoyenneté.L’année 2009 est un cauchemar : séparation avec Elisabeth Bost, fin de Ca se discute, et incident en direct lors de la cérémonie des Globes de Cristal au cours de laquelle Jean-Luc Delarue se fend d’une remarque grivoise à Yamina Benguigui : "Vous voulez que je vous tienne votre Globe... ou vos globes ?".L’animateur est alors interdit de direct. En coulisses, les enregistrements de Toute une histoire sont souvent chaotiques. Annulations de dernière minute, retards… Jean-Luc va mal.En septembre 2010, au petit matin, il est interpellé pour détention de stupéfiants. Le public découvre son addiction à la cocaïne dont il parle ouvertement à Benoît Duquesne dans Complément d’enquête en janvier 2011.  Dans la presse, il confie aussi : "Mes addictions sont nées de mes problèmes familiaux (…) Ecouter les gens sur les plateaux télé, c’était une forme de fuite, un refus de comprendre mon histoire personnelle, qui n’a pas toujours été facile, en me réfugiant dans celle des autres."La rédemptionAbsent de l’écran – il a laissé sa place à Sophie Davant pour Toute une histoire – il se lance pendant six mois dans une tournée des lycées de France à bord d’un camping-car. Face aux jeunes, il parle avec franchise et émotion de ses addictions à la drogue et à l’alcool… Une thérapie et une rédemption pour l’animateur qui retrouve le chemin de la télé en septembre 2011 pour Réunion de famille. L’animateur n’est plus le même. Souriant, affable, usant du "je", il fait preuve d’une empathie qu’on ne lui connaissait pas. Mais, en décembre, l’émission est annulée, faute d’audience. Dans la foulée, Jean-Luc annonce qu’il souffre d’un cancer de l’estomac et du péritoine. Il se bat courageusement, soutenu par Anissa Khel, sa jeune compagne, cadre dans la finance. Leur mariage en mai 2012 à Belle-Ile-en-Mer est comme une pause dans la course de Jean-Luc contre la maladie. Las, le 24 août dernier, l’éternel homme pressé s’est laissé rattraper.Emmanuel Ducasse et Eva Roque du magazine Télé 7 jours