Yellowjackets
Showtime

Baignant dans la nostalgie des années 90, cette tortueuse série à mystères n’en finit pas de soulever l’enthousiasme outre-Atlantique. Mais au-delà, elle cache un passionnant coming-of-age à la tournure inattendue.

Lors de sa diffusion américaine, ces dernières semaines, Yellowjackets a fait son petit effet. Et la série événement débarque ce soir en France, pour la première fois, sur Canal +.

A priori, rien de révolutionnaire : charpentée autour de flash-back, Yellowjackets évolue entre deux époques, multipliant les allers et retours entre passé et présent pour combler les trous d’une narration parcellaire et répondre à des questions restées sans réponse. Au début des années 90, des joueuses d’une équipe de foot estudiantine sont contraintes à la survie après le crash de leur avion. Des années plus tard, les rescapées ont laissé l’épisode loin derrière, jusqu’à ce que l’une d’elles sorte de l’apparente discrétion dans laquelle vivait le groupe depuis des années, remuant au passage de mauvais souvenirs. Que s’est-il passé dans leurs jeunes années ? Pourquoi sont-elles rattrapées par cette histoire aujourd’hui ?



Dès sa première scène, la série d’Ashley Lyle et Bart Nickerson dégage un truc en plus. Il y a d’abord cette atmosphère folk horror et le spectre de Projet Blair Witch qui nous sautent au visage, bientôt rejoints par tout l’esprit des films d’ado et des slashers 90s, enveloppés d’une BO idoine (PJ Harvey, Salt-N-Pepa…). Jusqu’à ce bond dans le temps et ce changement de décor, à la rencontre des mêmes personnages, devenus adultes, prisonnières de leur passé dans une version glauque de Desperate Housewives. Le tout sans décrochage.

Avec ses matériaux composites, la série fait preuve d’une pure démonstration de syncrétisme des genres, époques
et influences. Une combinaison d’éléments aux ferments variés qui s’illustrent à l’image dans des raccords temporels fluides. Et encore plus, lorsque le passé s’immisce dans le présent dans un même mouvement, offrant de vrais moments de virtuosité. Comme quand les versions jeunes et moins jeunes des protagonistes, qui cultivent une ressemblance et un mimétisme frappant, se partagent l’écran le temps d’un songe.

La série pousse le curseur jusqu’à convoquer, parmi les plus grandes it girls des années 90, les Christina Ricci de La Familel Addams et Juliette Lewis de Tueurs nés, qui se font voler la vedette par Melanie Lynskey – « créature céleste » découverte par Peter Jackson –, en majesté. Quel meilleur comité pour jeter un regard dans le rétro ? Yellowjackets se révèle alors en coming-of-age singulier qui grandit et prend toute sa mesure dans le refoulé, pour dresser un autre portrait de l’adolescence où les pires cauchemars d’une jeunesse éprouvée font de la résistance. Pulsions étouffées, souvenirs enfouis toquent à la porte : ils ne demandent qu’à resurgir et exploser au grand jour.

Yellowjackets
showtime

Évidemment, il reste encore ce grand point d’interrogation : comment en est-on arrivé là ? Nostalgique jusqu’au bout des ongles, Yellowjackets ravive le concept de mystery box théorisé sur le tard par J. J. Abrams lorsqu’il portait Lost en gestation. Soit l’idée de susciter questionnements sur questionnements, de plus en plus substantiels… Surtout que la série charrie de plus belle des moments d’occultisme, aux confins du surnaturel. Ici, les twists ont donc le goût des révélations feuilletonnesques d’un âge d’or que l’on croyait révolu, à l’ère de la Peak TV et au moment où les discussions à la machine à café au temps des visios en cascade ont un petit goût suranné.

Pourquoi s’en plaindre si le résultat est à la hauteur ? Spoiler : la réponse ferme et définitive risque de se faire attendre. Yellowjackets vient d’être renouvelée pour une saison 2 et a bien l’intention de durer. Préparez-vous à phosphorer encore un moment...