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A l’esprit de troupe de l’épisode précédent succède une dislocation généralisée où chacun vit différemment son arrivée au sein de McCann-Erickson. Entre enfer, paradis et purgatoire, le majestueux Lost Horizon réserve selon les personnages brutale férocité ou état de suspension gracieuse. Et la route de Don Draper prend de son côté une direction déterminante…

Critique de l’épisode 12 de la saison 7 de la série Mad Men, Lost Horizon (avec spoilers).

Dans le premier épisode de la saison 7, Don Draper regardait Horizons perdus (Lost Horizon en VO) de Frank Capra, film lui-même adapté du roman de James Hilton. Il y est question de personnages qui pénètrent dans un paradis terrestre (nommé Shangri-La) après un accident d’avion, et on se doutait bien face au regard concentré de Don que ce clin d’œil cinématographique n’était pas anodin. De fait, l’épisode 12 de cette dernière saison se nomme lui aussi Lost Horizon et pose pour chaque personnage la question de savoir si le lieu qu’ils occupent désormais constitue à leurs yeux un paradis ou un enfer. Si Jim Hobart, président de McCann-Erickson, assurait la semaine dernière aux associés de la défunte agence SC&P qu’ils atteignaient enfin le septième ciel de la publicité, chacun ressent les évènements de façon différente. Là où Pete Campbell, Harry Crane ou Ted Chaough semblent ravis de travailler pour une si grande agence, Don Draper reste davantage sur ses gardes et vérifie dès le début de l’épisode la solidité des vitres de son nouveau bureau. Matthew Weiner semble prouver par là que le publicitaire ne se suicidera pas en sautant d'une fenêtre (contrairement à ce que pronostiquent depuis longtemps certains obsessionnels du générique de la série, qui montre un homme tomber le long d'un building). Mais si Don regarde déjà à ce moment l’horizon de New York s’étendre sous sa vue, c’est que l’idée de la fugue commence à le travailler.Il faudra en effet peu de temps au héros de Mad Men pour réaliser que l’organisation de McCann-Erickson est incapable de lui donner satisfaction. Qualifié par Jim Hobart de «baleine blanche » qui était traquée depuis dix ans (allusion à Moby Dick), Don apparaît comme un objet appartenant dorénavant à un propriétaire capricieux qui lui fait réciter «Je suis Don Draper de McCann-Erickson » et le dépossède doublement de son nom. Car si Don s'appelle en réalité Dick Whitman, il a surtout mis depuis les débuts de la série ses talents créatifs au service de l’agence Sterling Cooper sans éprouver le besoin de s'offrir à une autre agence. Une réunion avec les directeurs de création va asséner le coup de grâce : assis autour d’une grande table uniquement composée de mâles blancs qui ont tous le même panier repas, la même canette de Coca-Cola et tournent tous les pages du même document au même moment, Don ressent les désagréments du formatage. C’est alors que son regard s’échappe de la salle pour observer un avion qui passe derrière l’Empire State Building : percevant là une sorte d’appel au voyage, le publicitaire quitte l’immeuble de McCann-Erickson, qui n’était visiblement qu'un lieu provisoire pour lui.La sensation d’enfer se manifeste de façon bien plus concrète pour Joan. Rapidement confrontée au manque de tact de ses collègues féminines puis au manque de professionnalisme d’un collègue qui prend la relation avec les clients par-dessus la jambe, Joan tente de repréciser son cadre de travail mais se heurte à une goujaterie et un machisme auxquels elle n'était plus habituée. Envoyé comme médiateur, Ferg Donnelly fait bien comprendre à Joan que les femmes ne possèdent pas la même marge de manœuvre dans le grand groupe McCann-Erickson que chez SC&P et il couronne le tout par de peu subtiles avances physiques. Désemparée par ce retour en arrière qui donne soudain l’impression que toutes les conquêtes des personnages féminins de Mad Men ont été gommées en quelques minutes, Joan entre en conflit avec le président Jim Hobart. Brandissant la menace d’un procès médiatisé sur fond d'égalité du traitement professionnel entre femmes et hommes, Joan se voit débarquée manu militari du groupe avec une diminution de 50% de ses indemnités. Longtemps en retrait sur les questions de revendication féministe, Joan a cette joué franc jeu mais essuie - à la manière d'une malédiction programmée - les plâtres du sexisme.

« Ce sera un été froid et solitaire »

Pas encore lâchée dans cet enfer machiste, Peggy passe la majeure partie de l’épisode dans les anciens bureaux en voie de délabrement de SC&P. Attendant qu’on lui trouve une place à McCann-Erickson, la jeune femme finit par éprouver une sorte de jubilation à errer entre ces murs vides et prend le temps de fraterniser avec Roger Sterling dans une atmosphère qui rappelle l’épisode 3.03, My Old Kentucky Home, où Peggy passa un week-end entier à guetter mollement l'inspiration à l’agence. Roger et Peggy savourent ces longs adieux à un lieu qui nous apparaît déjà comme utopique et révolu, et vont même jusqu’à offrir un petit spectacle, lui jouant de l’orgue pendant qu’elle fait du patin à roulettes (réminiscence cette fois de l’épisode 4.05 où Peggy tournait en rond avec une mobylette). Peggy vit-elle là une dernière parenthèse enchantée avant le chaos ? L’arrivée rocambolesque de la jeune femme à McCann-Erickson, clope au bec, lunettes de soleil vissées sur le nez et estampe érotique de Katsushika Hokusai (léguée par le japonophile Bert Cooper) sous le bras, illustre en tout cas merveilleusement la confiance en soi qui caractérise désormais Peggy. Cette courte séquence au ralenti, destinée à devenir culte, laisser espérer que Matthew Weiner réservera une fin bienveillante au personnage.L'incertitude demeure cependant du côté de Don Draper, qui occupe nécessairement la fin d’épisode. Parti à la recherche de Diana (la serveuse qu'il n'a plus revue depuis l'épisode 7.09) au cœur du Wisconsin (la ville s'appelle Racine, nom qui ne s’invente pas), le publicitaire paraît avoir coupé sans prévenir les ponts avec tout ce qui le retenait à New York. Après avoir croisé le fantôme de Bert Cooper (qui lui cite un extrait de Sur la route de Jack Kerouac), Don se fait passer pour un autre afin de s'introduire dans l’ancien domicile de Diana où il rencontre notamment la fille de cette dernière. Don repartira bredouille mais étrangement apaisé, plus à l’aise que jamais avec les substitutions d’identité et assumant son statut de spectre en quête d'une femme introuvable, laquelle est d'ailleurs présentée par son ancien mari comme une diablesse qui sème le mal partout et mérite de pourrir en enfer. Quelle destination attend Don, qui prend un auto-stoppeur dans sa Cadillac et se dirige vers un éclatant ciel bleu ? Ayant auparavant vécu un moment serein et souriant avec Betty (dans une séquence particulièrement tendre en forme d'adieu où le publicitaire masse les épaules de son ancienne épouse pendant qu’elle lit du Sigmund Freud), Don reverra-t-il sa famille et ses collègues ? Le doute est permis puisque la chanson finale, Space Oddity de David Bowie, évoque une perte de contact définitive avec la planète terre et une errance éternelle. De même, le morceau Sealed with a Kiss chanté par Brian Hyland a retenti plus tôt dans la voiture de Don et a prévenu : « ce sera un été froid et solitaire ». Don Draper vient-il d'opter à jamais pour la solitude et le vagabondage, états qui s’apparenteraient selon lui à un paradis originel détaché de toute contingence matérielle ? Réponse dans deux épisodes.

Damien Leblanc

En France, la saison 7 de Mad Men est diffusée sur Canal +.