L'affaire d'Outreau d’Olivier Ayache-Vidal et Agnès Pizzini (2023)
Agathe VERNET

Ce soir, France 2 diffuse les deux derniers épisodes de sa mini-série évènement. Un travail réussi qui suscite néanmoins des interrogations.

On arrive à Outreau par les airs. Le drone survole la région et s’approche bientôt de la fenêtre du cinquième étage d’une barre d’immeuble – la « fameuse » Tour du Renard. La caméra finit sa course et dévoile dans un même mouvement un studio de tournage avec ses loges maquillages, ses différents décors (cellules de prison, bureau du juge, salon de l’appartement des criminels, salle d’audience…). D’emblée, les coutures de la mise en scène sont donc dévoilées. La série d’Olivier Ayache-Vidal et Agnès Pizzini se propose de rendre visible par le biais de la reconstitution - donc de la fiction - des moments clefs de cette affaire dont seuls les protagonistes concernés ont été les témoins. Et en mêlant les conventions du cinéma de fiction, du documentaire et même du théâtre, la série invente son propre langage qui permet finalement de donner un nouvel éclairage au dossier. Au fond, via reconstitutions et archives, témoins et acteurs, docu et fiction, ce que racontent Pizzini et Ayache-Vidal, c’est qu’à Outreau la fiction ou le fantasme ont très vite pris le pas sur la réalité. Le vrai et le faux ont été abolis. Et cette idée de mise en scène rend cela totalement palpable. Ce que l'on comprend aussi, c'est que, peut-être, ce qui s’est joué là-bas, dépasse l’entendement et ne pouvait pas être montré brut… En mixant les régimes narratifs, on touche au fond du dossier et, ce n’est pas anodin, tout va se jouer dans un micro territoire de cinéma.

Force des témoignages

Très vite, dès le début du premier épisode, on assiste à des scènes édifiantes où un interprète discute avec le modèle qu’il va incarner juste après. Les “vrais” acteurs, accusés à tort, croisent les comédiens qui les interprètent : le pacte faustien est tacite et pleinement accepté. Et il produit fréquemment de sacrés moments d’émotion. Quand Daniel Legrand fils évoque sa jeunesse brisée face à un acteur qui a l’âge qu’il avait à l’époque des faits et s’apprête à l’incarner, la mise en abyme est explosive. L’intime et la psychanalyse s’emmêlent, le témoignage s’incarne, mais surtout le jeu prend une dimension puissante. Face à Legrand fils, c’est tout à coup un autre « lui » qui surgit, un gamin qui pourrait échapper à l’enfer qu’il a vécu… A la force des témoignages des acteurs réels du drame filmés face caméra, s’ajoutent donc celle de voir leur avatar rejouer le calvaire à leur place. Par ailleurs, chacun des accusés a aussi autorité sur la fiction et peut corriger certaines choses, voire suspendre le temps, pour apporter une précision ou une info. Dominique Wiel, le prêtre ouvrier valide l’apparence des acteurs (« Thierry Delay, Myriam Badaoui. C’est presque ça… Ah ! ça, c’est moi, ça ? ») alors que Thierry Dausque est plus sceptique… Ce pari osé et qui, sur le papier, semblait rédhibitoire, est clairement l’une des grandes réussites de la série.

Lumière absente

Ce partage entre fiction et documentaire trouve vite son équilibre, mais il a aussi ses limites. Un studio de tournage est par nature un sanctuaire où rien de l’extérieur ne doit filtrer, à commencer par la lumière. Or cette lumière du dehors est finalement une absente de taille. La ville d’Outreau n’est plus qu’un synonyme de défaillance judiciaire, un lieu mythologique survolé et qui reste le grand mystère de la série. Là aussi l’idée est forte, et si les images d'archives en restituent des bribes, rien ne parvient à « incarner » ce territoire que l’on nous dit si particulier. Ce manque est d’autant plus saillant qu’il est reproché au Juge Burgaud de n’être jamais sorti de son petit bureau (« sa tour d’ivoire » comme dit l’un des participants) pour aller sur le terrain voir de ses propres yeux à quoi ressemblait la vie de ces « gens-là ». Cette « lumière » aurait peut-être été aussi capable de nous restituer l’onde de choc que cette affaire a eu sur la société française à l’époque, comme c’était par exemple le cas dans la série Grégory sur Netflix.

L'affaire outreau sur France 2
Agathe Vernet

Deux catégories de victimes

Dans cette affaire, on le sait, il y a deux catégories de victimes : les enfants ayant subi ou prétendu avoir subi des violences sexuelles et ceux qui ont été (et se sont) à tort désignés comme coupables de ces sévices. Or, la série laisse clairement plus de place aux seconds et entend surtout redémontrer que L’Affaire d’Outreau reste exemplairement un scandale judiciaire avant d’être une sordide affaire de pédophilie. Un choix discutable. Dans une interview récente donnée à TV5 Monde, la réalisatrice des Chatouilles, Andréa Bescond déplorait ainsi que la série « décrédibilise la parole des enfants » et de rappeler la violence avec laquelle ces mêmes enfants ont été traités lors des différents procès. Un aspect, en effet, à peine esquissé par Olivier Ayache-Vidal et Agnès Pizzini. 

Tremblements sismiques

Au fond, et c'est ce qui agite les deux derniers épisodes, la question de l’angle choisi par les auteurs de cette mini-série interroge. Cet angle n’est pas très clair. On se demande ainsi comment s’est opéré le choix des principaux témoins qui s’avèrent, on le voit dès la première archive, être en réalité les quatre derniers accusés de l’Affaire d’Outreau, ceux qui n’avaient pas été acquitté lors du procès de Saint-Omer. Mais pourquoi eux et pas les autres ? En quoi leur parole donnerait-elle plus de sens au propos général ? La mini-série se focalise sur les faux coupables (pour citer Hitchcock), ceux qui sont pris dans la spirale infernale et absurde de l’erreur judiciaire, du système qui se grippe. Mais en évacuant le point de vue du petit juge (quelle était la responsabilité de Burgaud ? Pourquoi a-t-il failli ? Le système était-il aussi coupable ?), en refusant de questionner le manquement des policiers, des journalistes, on est condamné à n’écouter que les témoignages (aussi puissants soient-ils) des innocents. Au fond, le documentaire n’apporte rien de nouveau sur le fond, mais il nous fait accéder à la vertigineuse émotion des « justes ». Il faut voir les tremblements sismiques de Marécaux, les torrents de larmes du premier avocat de Legrand fils, les interrogations de Jonathan Delay ou même l’émotion contenue de Fabienne Roy-Nansion quand elle raconte le moment de l’acquittement de son ami de fac Alain Marécaux pour saisir la force de cette série. Qui a aussi un fabuleux méchant en la personne de Thierry Delay. Sa dernière apparition (« jouée ») à la barre, quand on lui demande ce qu’il a vraiment fait subir à ses enfants fait absolument froid dans le dos… 

L'Affaire d'Outreau d’Olivier Ayache-Vidal et Agnès Pizzini. 4 X 52 mins.  Dispo sur www.france.tv