Mare of Easttown kate winslet
HBO

On a plutôt l'habitude de la voir en héroïne romantique tourmentée. Mais pour Mare of Easttown, l'actrice oscarisée change de registre et se met dans la peau d'une flic sombre et torturée. Un rôle à contre-emploi à ne pas manquer ce soir, sur Canal +.

C'est tout simplement la meilleure série de l'année 2021. Un petit bijou de polar signé HBO. Disponible en France sur OCS depuis son lancement, Mare of Easttown fait un tour sur Canal +, pour une diffusion exceptionnelle qui commence ce jeudi. Il y a un an, Kate Winslet nous avait accordé un entretien dans lequel elle revenait sur ce rôle si particulier, tellement difficile à maîtriser... au point qu'elle a failli péter les plombs !

Mare of Easttown : la masterclass de Kate Winslet (critique)

PREMIÈRE : On vous a rarement vu dans des thrillers sombres. C'est pour vous essayer au genre, que vous avez accepté le rôle d'une enquêtrice dans Mare of Easttown ?
Kate Winslet : Cela remonte à loin maintenant... C'était à la fin de l'année 2018. J'avais beaucoup de choses à faire à l'époque. Je filmais Blackbird (de Roger Michell) et je savais que j'avais autre chose à venir, un film qui s'appelait Ammonite. De mémoire, les producteurs de Mare of Easttown m'avaient envoyé les scripts des épisodes 1 et 2... Il a donc fallu que j'imagine, à partir de là, comment j'allais pouvoir passer du personnage que je jouais à l'époque à celui de Mare Sheehan. C'est l'un des plus grands défis qui m'ait jamais été lancé ! Parce que Mare n'a rien à voir avec moi. C'est assez effrayant à appréhender en tant qu'actrice, mais en même temps, c'est fabuleux quand on aime se mettre en danger. Et c'est mon cas. Je n'avais jamais rien fait de tel. Ça m'a tout de suite excité de lire Mare of Easttown. J'ai tout de suite ressenti qui était cette femme, ce monde dans lequel elle vit, d'où elle vient, ce sens de la communauté tellement fort, qui prend le pas sur les individus. Ce sens des responsabilités, qui devient un fardeau que Mare porte. Tout ça m'a vraiment emballé. Et puis l’histoire a été écrite avec tant de vérité et d'authenticité qu'elle a vraiment résonnée en moi.



Vous pensez que vous feriez une bonne enquêtrice de police ?
Non, certainement pas ! Je serais une putain de mauvaise enquêtrice (Rires) Ceci dit, je serais très douée pour aller boire le café et les bières d'après-service, ça c'est certain !

Vous dites que Mare est un personnage qui ne vous ressemble pas du tout. Dans quel sens ?
Elle est même à des millions de kilomètres de moi, si l'on considère seulement le job qu'elle fait. Je ne pourrais jamais faire le travail que fait Mare. Je ne pourrais jamais être flic ou enquêtrice. Je ne pense pas avoir l'endurance mentale nécessaire. J'ai de l'endurance, mais d'une manière différente. Je crois que le seul point commun que j'ai senti avoir avec elle, sur lequel je pouvais honnêtement m'appuyer, c'est son sens profond de la famille. À quel point cela signifie pour elle de garder sa famille unie à tout prix. Aussi de pouvoir admettre de temps en temps qu'elle a échoué, qu'elle s'est planté et tente désespérément de corriger ses erreurs. Mare est une personne difficile à vivre mais cela ne change rien au fait que son amour pour sa famille est ce qui la pousse dans la vie. C'est sa priorité numéro un. C'est quelque chose qui m'a parlé... au milieu de toutes ces autres choses qui étaient si loin de moi. Ne serait-ce que ce dialecte de la banlieue de Philadeliphie, qu'il a fallu que j'apprenne et qui a passé des mois à me rendre folle. J'apprenais ce langage, et j'apprenais à être une enquêtrice en même temps. C'est un rôle qui a demandé beaucoup de constructions, de détails. Je ne voulais pas débarquer sur le plateau le premier jour du tournage, la fleur au fusil. Alors j'ai passé plusieurs mois à travailler avec le département de police d'Easttown, au sein du vrai commissariat du coin. Il y avait cette femme, Christine Bleiler, qui est sergente de police, une enquêtrice, et elle a tout simplement été incroyable avec moi. Très solidaire. Elle était souvent sur le plateau avec nous.

Mare of Easttown kate winslet
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Vous êtes anglaise, mais vous avez joué différents accents américains au fil de votre carrière. Et c'est encore le cas dans Mare of Easttown, comme vous venez de le dire. C'est toujours un défi pour vous de maîtriser un nouveau dialecte américain ?
Honnêtement, celui-ci m'a rendu complètement dingue. C'est un accent qui m'a rendu folle parce qu'il contient des degrés divers. Comment est-ce que vous prononcez le mot "Water" ? Où est l'emphase ? Il existe tellement de façons de le dire. Et la chose la plus délicate, pour moi, c'était de le faire assez bien pour qu'on ne se rende pas compte que je jouais l'accent. Je déteste ça, quand on peut entendre quelqu'un faire une voix ou faire un accent. C'était l'une des choses les plus importantes pour moi, réussir à faire disparaître l'accent et qu'il se fonde dans la masse. Alors j'ai passé beaucoup de temps à travailler avec un coach et à travailler avec des gens au niveau local. J'ai pu, par exemple, écouter des sons envoyés par la femme de Brad Inglesby (le créateur), qui est originaire du coin. Elle me faisait suivre des conversations avec ses parents ou avec Brad, que j'écoutais pendant des heures. Mais j'avoue que c'était parmi les accents les plus durs que j'ai jamais faits dans ma vie. Facilement dans mon top 3... Oh mon dieu ! Pour tout dire, c'est l'une des deux seules fois dans ma vie d'actrice - moi qui ait un tempérament plutôt calme - où ça m'a énervé au point de balancer des trucs à travers ma loge.' Je n'y arrive pas ! Ils vont trouver que je suis nulle. Je vais me faire virer !' Ca m'est arrivé aussi par le passé pour le film sur Steve Jobs... Mais bon, c'est vrai que cela ajoute tellement à Mare, au personnage. Alors j'ai juste continué à bosser et puis finalement, le dernier jour du tournage, j'ai trouvé que je le faisais plutôt bien (rires).

Pour vous mettre dans l'ambiance, vous avez bingé un tas de « crime dramas » ? Des séries policières du même genre, pour mieux appréhender le personnage ?
Non. Je n'ai rien regardé, délibérément. J'ai évité absolument. Il faut dire que ce fut un vrai dilemme pour moi. Ne connaissant pas du tout ce monde... Où pouvez-vous trouver des inspirations ? À la télévision, bien sûr. Mais ce que j'ai fait, c'est que j'ai regardé beaucoup de documentaires « true crime » et de séquences sur YouTube. En particulier des sujets sur le quartier de la drogue de Kensington, à Philadelphie parce que j'ai passé un certain temps à m'imprégner du rôle avec de vrais agents de police, dans des véhicules banalisés, circulant dans ces zones. L'idée était de capturer l'essence de ce que c'est que d'être vraiment un sergent de police, dans cette ville. Parce que Easttown, c'est un endroit qui existe vraiment. Alors on ne voulait pas que ça sonne faux. Du coup, Christine Bleiler, notre consultante, venait me voir et me disait : 'Non, ne faites pas ça, c'est ce qu'ils font à la télé tout le temps. Mais ça ne marche pas comme ça en vrai.' Elle nous corrigeait en nous expliquant qu'une enquête, c'est parfois le bordel, parfois ça nous échappe. Les choses peuvent mal tourner et il ne faut pas s'inquiéter si tous les gestes ne sont pas parfaitement exécutés. Par exemple, j'étais obsédée par le fait de passer correctement une paire de menottes à un suspect. Mais elle m'a rassuré en me disant que, parfois, elles tombent par terre. Parfois, il faut les remettre correctement dans la voiture. Ça arrive. J'ai travaillé le rôle comme cela, en observant de vraies personnes travailler pour de vrai.

Interview publiée initialement dans le magazine Première numéro 518 de mai 2021