Drôle : Fanny Herrero
Netflix

Des paillettes du showbiz aux caves de Paris, la créatrice de Dix pour Cent remonte le fil du star system et scanne les coulisses des Comedy Clubs. Une nouvelle création Netflix plus sociale que drolatique, que nous décrypte Fanny Herrero.

Andrea (Camille Cottin) est désormais installée à New York. C'est dans la mégapole de la côte est que débutera le prochain téléfilm Dix pour Cent, deux ans après la diffusion de la saison 4. Mais cette transition américaine se fera sans Fanny Herrero. La créatrice a passé la main.

« J'ai vraiment arrêté à la fin de la saison 3. J'ai confié la suite à Victor Rodenbach. Je lui ai transmis mon enfant. J'ai lâché ASK pour de bon, et même si je ne suis jamais bien loin, je ne suis plus dans la boucle... » La scénariste récompensée aux Emmy Awards a depuis rejoint la plateforme de streaming sur laquelle cartonne justement Call my Agent tout autour du globe. Fanny Herrero est aujourd'hui 100% Netflix, avec Drôle, une toute nouvelle série originale made in France, qui a l'insigne honneur de faire l'ouverture du Festival Séries Mania 2022. "Après que j'ai arrêté Dix pour Cent, il s'est écoulé presque un an sans que j'écrive une ligne. J'avais une sorte de rejet de la fiction. Je ne me suis plus du tout servi de mon ordinateur. Je ne voulais plus voir mon clavier...", nous confesse Fanny Herrero.



« Parce que j'ai fait Dix pour Cent pendant 7 ans ! Je n'ai fait que ça pendant 7 ans ! J'étais arrivée à saturation sur le plan artistique. » Alors la créatrice a pris du temps pour se ressourcer. Et c'est finalement Gad Elmaleh qui lui a apporté cette « petite étincelle », qui lui manquait, pour se remettre à écrire. « On ne se connaissait pas, mais on a le même agent américain, qui a suggéré qu'on dîne ensemble », détaille Herrero. « Et à un moment durant le repas, Gad me parle des Comedy Clubs de Paris. Il me dit qu'il s'y passe plein de choses. Moi, je n'étais pas très au fait de cette nouvelle scène et des petits jeunes qui jouent dans les caves... Gad m'a suggéré de faire une série là-dessus et il m'a emmené dans un Comedy Club. J'ai passé une soirée incroyable. J'ai eu une sorte de révélation... C'est un endroit qui ne ressemble à rien... Dans un vieux sous-sol, ça sent la sueur. Quand vous venez à 22 heures, on sent que ça a vécu (rires). Les bancs ne sont pas très confortables. La petite estrade est faite de brics et de brocs. Mais, devant moi, ont défilé six jeunes talents d'une trentaine d'années, venus de toutes origines sociales, ethniques, géographiques. Une espèce de photographie d'une jeunesse française qu'on ne voit nulle part ailleurs. Une jeunesse qui prend la parole ici, s'offre une visibilité, avec comme seul point commun l'humour ! J'avais l'impression d'assister à une psychanalyse de la France en direct. »

Ne cherchez pas Nakache et Tolédano

Dans la foulée, Fanny Herrero a ressorti son clavier et a imaginé Drôle, sorte d'anti-Dix pour Cent, qui délaisse l'entre-soi du show-business pour explorer un côté plus laborieux et spleenétique du métier. Terminés les tapis rouges. Bienvenus au fond de la cave, là où commence l'itinéraire sinueux des stars de demain. « Avec Drôle, je reste dans les coulisses de quelque chose et ça, ça me plaît. J'aime partir du réel. C'est un milieu que je veux faire découvrir. J'avais envie d'approcher ces gens, qui sont aussi des auteurs, qui aiment travailler les mots, comme moi. On navigue encore quelque part entre tragique et comique. Mais dans le fond, on est loin de l'ambiance de Dix pour Cent, qui est sans doute plus loufoque. Drôle est plus réaliste, plus rugueuse, plus existentielle, avec des personnages moins bourgeois. On n'est plus du tout du côté des agents mais vraiment du côté des artistes. On est dans la galère, face à une jeunesse qui doit faire des choix sur son avenir. Ce sont des thématiques pas du tout abordées dans Dix pour Cent. » La rupture est consommée quand Fanny Herrero feint de faire venir Nakache et Tolédano dans un épisode. Non, les réalisateurs d'Intouchables ne sont pas dans Drôle et la scénariste avoue s'être  « bien amusée » en couchant ça sur le papier. « Parce que c'était volontaire, évidemment ! Pour marquer la nuance. Et d'ailleurs, c'était un bonheur de ne plus avoir la contrainte de penser à des intrigues centrées sur les guests ».

Drole
Netflix

Pas de célébrités en vue. Aucune vedette de l'humour au casting. Mariama Gueye, Younes Boucif, Elsa Guedj et Jean Siuen sont les quatre personnages principaux de la série Netflix. Quatre jeunes acteurs inconnus qui crèvent l'écran, pour incarner ces stand-uppers en herbe, sans être eux-mêmes des as de la vanne qui claque : « Je ne voulais pas prendre de vrais stand-uppers pour jouer leurs propres rôles. J'ai déjà donné avec Dix pour Cent. J'avais envie de m'éloigner de ça. Je ne voulais pas encore qu'on me pose la question du vrai et du faux, de la limite entre réalité et fiction. »

« Drôle, ça veut pas forcément dire hilarant »

Il n'empêche, pour écrire tous ces moments sur scène, il a bien fallu que Fanny Herrero s'entoure de professionnels de la blague. La scénariste a ainsi confié à de vraies plumes l'écriture des séquences de pur stand-up. « Il fallait que ce soit crédible et surtout que ce soit bon... » Fanny Ruwet, Jason Brokers, Thomas wiesel et Shirley Souagnon ont ainsi collaboré à la série, dans un exercice de style presque schizophrène : « Le plus dur, ça été de trouver des vannes médiocres, des sketchs pas ou peu drôles, pour nos personnages débutants. Pour ça, il a fallu qu'ils comprennent qu'ils n'écrivaient pas pour eux mais pour de la fiction. Chaque moment de stand-up fait sens dans le scénario et arrive à un moment précis de l'histoire, pour raconter quelque chose sur nos personnages ».

D'ailleurs, comme son nom ne l'indique pas, la série n'a pas vraiment vocation à vous plier en deux. Plus sociale qu'humoristique, plus attachante que désopilante, Drôle ne cherche pas toujours à être drôle : « Il y a quelque chose d'un petit peu désuet, mais d'assez intemporel derrière ce mot. Il revêt plusieurs sens très différents. Ça ne veut pas forcément dire hilarant. Drôle, c'est amusant, mais en même temps un peu bizarre, maladroit. Il faut être sérieux pour être drôle, c'est un métier. C'est quelque chose de rugueux. Il y a tout ça dans ce mot, une promesse plus existentielle que de la simple rigolade. J'espère qu'on se marre, de temps en temps, en regardant la série, mais sa véritable ambition, c'est de faire qu'on s'attache à ces gens et à ce qu'ils nous disent de notre pays, ici et maintenant. » Avec son ton entre deux, la nouvelle création de Fanny Herrero assume de « ne pas être une franche comédie », à moitié farce sociale, à moitié drama rigolo. «Alors ça me va très bien qu'on ne trouve pas Drôle hilarante. »