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La saison 2 du Bureau des légendes, qui vient de s’achever sur Canal +, est sans doute la meilleure création française à ce jour. Voici pourquoi.

Après une première saison déjà remarquable, Le Bureau des légendes transforme l’essai. En attendant d'avoir la confirmation de la saison 3 par Canal Plus, décryptons ce qui fait le succès de ce show aussi envoûtant qu'exigeant.

Eric Rochant le showrunner

20 ans après Les Patriotes, thriller d’espionnage qui racontait le parcours d'un jeune Français dans les services de renseignement israéliens et avait été l’acte de naissance d’un cinéaste prometteur, Eric Rochant poursuit ses obsessions. Si l’accueil très mitigé de Möbius (2013) lui était resté en travers de la gorge, l’auteur prend sa revanche avec un genre qui lui tient tant à cœur et qui se déploie peut-être mieux dans le format long de la série que celui, plus resserré, d’un long métrage (Les Patriotes s’étalait sur 2h20, ce qui était assez rare à l’époque). Rochant a bien profité de son expérience sur Mafiosa (dont il a réalisé les saisons 2 et 3), série parfois brillante mais inégale, pour faire du Bureau des Légendes – dont il a cette fois la maîtrise - une réussite totale. Pour la première fois ou presque, une série française a été véritablement dirigée par un showrunner. Armé de sa cellule d’écriture et d’une équipe de réalisateurs, Rochant a parfaitement géré cet étrange rôle où on contrôle autant qu’on délègue. La seule formule connue à ce jour qui permette de pondre une saison de qualité tous les 12 mois.

"Je n’ai plus de vie mais c’est le prix à payer", nous confiait le showrunner avant la diffusion de la saison 2. "Là, juste avant cette interview, j’étais en train de travailler au mixage de l’épisode 8 de la nouvelle saison. Tout en bossant sur l’écriture de la suivante."

Après une saison 1 qui mettait en place l’histoire, Rochant a su faire décoller la saison 2. Le rythme s’accélère, les intrigues se croisent habilement et nos "héros" mettent un peu plus le nez dehors. A leurs risques et périls, évidemment.

Kassovitz la tête d’affiche

Il serait injuste de résumer Le Bureau des Légendes à Mathieu Kassovitz. Mais comment nier qu’il porte la série sur ses épaules, tant médiatiquement (il en est clairement la figure de proue) que dramatiquement (Guillaume Debailly/Malotru est au cœur de toutes les intrigues) ? Après le visage fermé d’Yvan Attal, héros des Patriotes, Rochant filme celui de Kasso, parfait dans ce rôle d’espion torturé qui ne peut plus faire de distinction entre son boulot et sa vie privée mais conserve une poker face impeccable en toutes circonstances. 

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Son interrogatoire avec la CIA était le fil rouge de la saison 1. Cette fois c’est la longue lettre qu’il laisse à sa fille avant de partir en mission kamikaze. Toujours entre deux eaux, son interprétation nous maintient constamment dans le doute, tout comme ses collègues de la DGSE. A quoi joue-t-il ? Pour qui joue-t-il ? Guillaume Debailly est un personnage hautement ambigu, et l’ami Mathieu n’a guère besoin de se forcer pour illustrer ce trait de caractère déjà vu dans Un Illustre Inconnu.

La performance de Kassovitz dans le BDL nous rappelle aussi que si l’homme divise, l’acteur met tout le monde d’accord.

Un casting aux petits oignons

Avant qu’il y ait méprise, disons le tout de suite : Le Bureau des Légendes n’est pas pour autant un one man show de Kasso. Rochant a su entourer sa "star" d’un casting aux petits oignons. Tous sont parfaits dans leur rôle : Jean-Pierre Daroussin en directeur paternaliste aux cravates excentriques, Zineb Triki (Nadia El Mansour) et sa beauté froide, Alice Belaïdi (Sophie et Sophie, Radio Star, Les Kairas) dans un contre-emploi étonnant, Sara Giraudeau en fausse ingénue, Léa Drucker toujours aussi insaisissable (même si son personnage est un peu sur la touche), et bien sûr Florence Loiret-Caille, très juste en mère poule des clandestins qui se laisse déborder par ses émotions.

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Le "casting iranien" est également au poil, du fils à papa Shapur Zamani (Moe Bar-El), plein d’ambition derrière sa façade bling-bling, aux terrifiants membres des services secrets. Idem en Syrie, où les états d’âme du geôlier de Nadia El-Mansour tranchent avec l’intransigeance et le cynisme du juge. Enfin, n’oublions pas le journaliste-baroudeur allemand, tendance vieux beau, qui se retrouve dans le viseur du BDL parce qu’il a ses entrées chez les terroristes. Finalement, il n’y a guère que la fille de Malotru qui fait tâche, un problème qu’ont bien connu des séries comme 24 (la fille de Jack Bauer) ou Homeland (la fille de Brody).

Une intrigue d’actualité

A l’image de Homeland, Le Bureau des Légendes profite à fond de son rythme annuel pour coller à l’actualité. Sans évoquer directement les attentats de 2015, la série intègre la menace terroriste et notamment le recrutement de djihadistes occidentaux par l’Etat Islamique. C’est même l’intrigue principale de cette saison 2, avec l’apparition d’un terroriste français qui décapite en live sur internet et a le potentiel pour devenir un "futur général de Daesh" comme le prophétise Malotru, provoquant l’effroi de ses supérieurs.

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L’idée d’envoyer sa sœur au Moyen-Orient pour tenter (officiellement) de le récupérer fait aussi écho aux récits qu’on peut régulièrement lire dans la presse. On a aussi droit à un clin d’œil à l’affaire Snowden, qui alimente les échanges entre la CIA et la DGSE, et bien sûr le conflit syrien qui sert de toile de fond. Enfin, même si elle est moins brûlante, la question du nucléaire iranien permet elle aussi d’ancrer la série dans le réel – réel qu’a trop tendance à fuir la fiction française.

Bref, s’il fallait la comparer à d’autres séries Canal, on dirait que le BDL lorgne plutôt du côté d’Engrenages (l’autre grand succès critique de la chaine cryptée) que de Braquo, show totalement décomplexé qui préfère miser sur le spectaculaire.  

Un réalisme captivant

Evidemment, dans la vraie vie tout ne se passe pas comme dans la série. Comme le détaillait un article de Libération à l’époque de la saison 1, il y a une part importante de romance dans le BDL. Visiblement, on ne forme pas les agents en leur collant des baffes et en les obligeant à s’enfiler une bouteille de rhum pour vérifier s’ils tiennent leur "légende" sous la menace ou l’emprise de l’alcool. La mission d’un clandestin dure un mois tout au plus, pas 6 ans, et on ne les surveille pas 24h/24h une fois qu’ils sont rentrés après leur avoir refilé un appartement de fonction dans les beaux quartiers de Paris.

Sur bien d’autres points, le BDL est en revanche proche de la réalité. Eric Rochant et Mathieu Kassovitz ont pu discuter avec des espions et les décorateurs ont eu accès aux locaux de la DGSE pour reproduire (très fidèlement, semble-t-i) la salle de crise et les petites pièces (appelées "greniers") d’où les référents communiquent avec leurs clandestins.

Mais le réalisme du BDL ne se résume pas qu’à ses détails (qui ne font tiquer que les vrais employés de la DGSE). La force de la série c’est qu’on croit à tout ce qu’on voit. Tout parait crédible, ou du moins plausible. Guillaume Debailly n’est ni Jack Bauer, ni Carrie Mathison, il ne sauve pas le monde en 24h chrono ou en grimaçant d’émotion parce qu’il n’a pas pris ses cachets. C’est juste un type d’une grande intelligence, qui tente périlleusement de faire coïncider ses intérêts personnels à ceux de la nation. Et a un mal fou à y parvenir.

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Et la suite ?

Si les audiences ont décliné en cours de saison, cet indicateur ne vaut pas grand-chose puisque Canal avait mis tous les épisodes en ligne, à la Netflix, dès la diffusion des deux premiers épisodes. Les retours des critiques (même le New York Times est conquis) et des téléspectateurs, ainsi que l’export, devrait assurer la survie du BDL. Eric Rochant a déjà commencé à écrire la saison 3 depuis plusieurs mois et on attend désormais sa confirmation officielle de pied ferme.