























Le lait : quand l’art déborde !
?Symbole de maternité et d?abondance, matière sensuelle au fort pouvoir de transformation, liquide à la blancheur éclatante, le lait trouve naturellement sa place chez les artistes contemporains au même titre que d?autres matériaux organiques. Il fait aujourd?hui l?objet d?une exposition à la Maison de la vache qui rit à Lons-le-Saunier (le lieu est de circonstance !) et nous dévoile ses nombreuses possibilités plastiques. Une très bonne sélection d??uvres et d?artistes, que l?on doit au brillant commissaire des lieux Laurent Fiévet, à découvrir ici.<strong>Céline Piettre</strong>
Fleur de lait
Six pompes, actionnées par six perceuses électriques vrombissantes, font passer du lait d?un bidon à un autre. La curieuse machine ne produit rien, elle se contente de faire circuler le précieux liquide, en un circuit fermé et a priori stérile. Mais sur son passage le lait gicle sur le sol et vibre, troublant sa surface. Entre sculpture, installation sonore et work in progress, l??uvre de Delphine Reist est un concentré d?énergie créative prête à exploser.
Pana Cotta
Mus chacun par un moteur autonome, des flancs de panna cotta se trémoussent comme sur une piste de danse, chairs molles et tremblotantes dont l?agitation frénétique renvoie à la sexualité. Bientôt ramollis et fissurés, attaqués par les mouches, les desserts subiront les effets du temps, rendant visible les pouvoirs de métamorphose et de décomposition de la matière organique. Une installation à la fois drôle et morbide, dans la pure tradition du grotesque.
Blanc comme lait
Exposée aux côtés d?une vierge à l?enfant du 15e siècle, la toile de l?artiste américain <strong>Andres Serrano </strong>détourne l?iconographie chrétienne à des fins politiques ? réinterrogeant les liens entre une Afrique nourricière et un Occident dépendant (et avide) comme un nouveau-né ? mais aussi esthétiques. La sensualité de la femme, sa nudité, contrastent avec les codes de la sculpture médiévale. La peau noire tranche avec celle, laiteuse, du bébé, comme si en circulant de la mère à l?enfant la substance nutritive lui avait transmis sa couleur.
Plein les bottes
Face aux <em>Chaussures de lait</em> (2002), on pense aux souliers de <strong>Van Gogh </strong>et aux natures mortes de la fin du XIXe, envahies par les objets du quotidien. Mais en remplissant ses godillots de lait, <strong>Patrick Tosani </strong>en propose une interprétation surréaliste. Le lait rappelle ici la présence du corps, son volume, sa physicalité, sa chair. Epais, dense, opaque, il évoque une forme de jouissance que le contenant ne parviendrait plus à contenir?
Voie lactée
Eclaboussure de lait suspendue dans sa course et déplacée de 90° par rapport à son orientation normale, la « couronne « de Ceal Floyer fait directement référence au mythe antique, selon lequel le lait divin, jaillissant du sein d?Héra, aurait donné naissance à la galaxie (<em>cercle laiteux</em> en grec). Comme à son habitude, l?artiste perturbe notre perception du réel par un léger déplacement de point de vue. Il emprisonne en un geste minimal, presque abstrait, la sensualité du lait, et sa symbolique matricielle. Un big bang voluptueux.
A moitié plein / à moitié vide
Avec <em>Zones</em>, <strong>Patrick Tosani </strong>défie la physique élémentaire. Le lait occupe la partie supérieure du verre au lieu de sa partie inférieure, qui elle reste vide. L?inversion est possible grâce à un trucage qui bouleverse les repères habituels : haut et bas, couleur et transparence, plein et vide. Constituée de plusieurs bandes en ton sur ton ? le fond blanc, le contour du verre, le lait ? <em>Zones </em>se lit comme une toile de <strong>Rothko</strong>, espace mental sans hiérarchie et aux frontières poreuses.
Le Clair de lune de Sara Naim
Les Latences d’Ismail Bahri
Fantômes de lait sur encre, les <em>Latences</em> d?<strong>Ismail Bahri </strong>apparaissent en même temps qu?elles nous échappent, dans leur fragilité et leur transparence. Pour les réaliser, et obtenir un tracé définitif, l?artiste doit patienter parfois plusieurs heures que le lait se coagule sur la plaque de verre. Leur forme, unique, dépend ce temps d?attente qui se dépose en strates sur le fond noir et devient ainsi visible, comme les cernes de l?arbre ou les stries de la pierre. Chaque <em>Latence</em> porte en elle sa propre mémoire, condensé de temps et d?espace, galaxie en miniature.
Un liquide nommé désir
Dans ce très court film, <strong>Boris Achour </strong>exalte le lait en tant que liquide organique produit par le corps, sensuel et désirable. Versé dans un verre par une main invisible, le liquide déborde de son contenant tel un geyser et éclabousse la table, révélant tout à la fois son onctuosité et sa blancheur. Par ce geste simple, l?artiste nous invite à une jouissance rétinienne, à une orgie des sens qui n?est pas sans évoquer la sexualité, mais également le pouvoir de fascination des images publicitaires.
Démesure
Le film de <strong>Matthias Müller</strong> met en scène un jeune garçon dans un environnement domestique particulièrement soigné. Omniprésent, le lait décline toutes ses symboliques, du lien à la mère aux premiers émois sexuels ; il envahit le film de sa mémoire organique et familiale d?où la figure masculine reste absente. Là encore le liquide déborde du verre censé le contenir, envahit la table et le sol bleus? éclaboussures sur un ciel pur venant rompre l?ordre établi, « dépasser la mesure ».
La science de l’art
L?artiste conceptuel David Lamelas réalise une série d?expériences à partir d?un simple verre de lait visant à démontrer qu?il « n?existe aucune forme capable de contenir une information ». Ainsi, le verre joue le rôle d?un cadre, celui de la caméra ou de la raison, dont le contenu ? ce qui est montré ? tend à lui échapper. Les huit séquences montrent un verre tantôt vide, tantôt débordant ou brisé, laissant le liquide se répandre sur la table en une métaphore de l?impossibilité de l?artiste à maîtriser son message.
Symbole de maternité et d’abondance, matière sensuelle au fort pouvoir de transformation, liquide à la blancheur éclatante, le lait trouve naturellement sa place chez les artistes contemporains au même titre que d’autres matériaux organiques. Il fait aujourd’hui l’objet d’une exposition à la Maison de la vache qui rit à Lons-le-Saunier (le lieu est de circonstance !) et nous dévoile ses nombreuses possibilités plastiques. Une très bonne sélection d’œuvres et d’artistes, que l’on doit au brillant commissaire des lieux Laurent Fiévet, à découvrir ici.Par Céline Piettre
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