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Le documentaire Whitey révèle l’invraisemblable degré de corruption qui régnait au FBI et permit au gangster Whitey Bulger de prospérer. Le complément de programme indispensable à Strictly Criminal.

« Black Mass ». Une « masse noire ». C’est le titre original de Strictly Criminal – une référence à ces masses qui existent dans l’espace et aspirent tout ce qui gravitent autour d’elles dans un vide mortel – et c’est sans doute la meilleure image possible quand on veut décrire l’effet que provoque l’histoire de James « Whitey » Bulger sur Hollywood. Ex-petite frappe des rues de South Boston devenu ennemi public n°2 (juste derrière Oussama Ben Laden), Bulger excite le cinéma américain depuis longtemps. Par où commencer ? Il a inspiré le personnage de Frank Costello, le mafieux démoniaque joué par Jack Nicholson dans Les Infiltrés. James Woods en a incarné une version « romancée » dans la première saison de Ray Donovan. Sa relation avec son frère, le politicien et sénateur du Massassuchets Billy Bulger, a servi de modèle à l’intrigue de la série Brotherhood. Depuis plusieurs années, Matt Damon et Ben Affleck, deux Bostoniens célèbres, travaillent à un projet de film sur le gangster, qui serait au film de Mafia « ce qu’Impitoyable est au western » (dixit Damon). On raconte aussi que Bulger aurait inspiré le personnage du « fleuriste » joué par Pete Postlethwaite dans The Town, le polar de Ben Affleck – ça a depuis été démenti par l’auteur Chuck Hogan, mais ça dit bien à quel point l’ombre de Bulger semble planer partout, une fois qu’on commence à s’intéresser à lui.

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Il y a plein de façons différentes d’aborder la légende de Whitey Bulger. Strictly Criminal choisit de se concentrer sur sa relation avec l’agent du FBI John Connolly – dans les années 70, les deux hommes, qui avaient grandi dans le même quartier, décidèrent de collaborer et d’échanger des informations afin d’abattre un ennemi commun : la mafia italienne. Mais, en 2014, dans son film Whitey : the United States of America V. James J. Bulger, le documentariste Joe Berlinger allait plus loin. Sa porte d’entrée dans l’affaire ? Le procès de Bulger. En 2011, après 16 ans de cavale, le criminel est arrêté dans sa planque de Santa Monica. Le procès qui s’ensuit ne tourne pas seulement autour de la question de sa culpabilité dans différentes affaires de rackets, de corruption, de trafics de drogue et de meurtres. Non, le vrai sujet – du moins selon Berlinger – est en réalité la corruption généralisée qui régna pendant des décennies dans les rangs du FBI. Et qui permit en retour la longue emprise de Bulger sur Boston. « Comment un homme peut-il diriger pendant trente ans le crime organisé d’une ville sans écoper ne serait-ce que d’un seul PV ? », ironisait le documentariste dans une interview donnée l’an dernier au site Deadline. On peut faire confiance à Berlinger pour soulever ce genre de lièvres – c’est lui qui, avec sa trilogie de documentaires Paradise Lost, consacrée à la fameuse affaire des « Trois de West Memphis », permit à trois ados accusés à tort d’éviter la chaise électrique.

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Le visionnage de Whitey est indispensable pour qui veut poursuivre la réflexion entamée par Strictly Criminal. Le film de Scott Cooper lève le voile sur un monde délétère. Mais c’est le docu qui porte le coup de grâce. Whitey Bulger, nous explique Berlinger, n’avait pas qu’un vieux copain d’enfance devenu agent du FBI dans sa poche. La corruption était plus vaste que ça. Il y avait forcément d’autres huiles hautes placées pour lui permettre de prospérer, puis de mettre les voiles en 1994, au moment où l’étau se resserrait. « L’agent John Connolly a fait des choses répréhensibles, mais c’est difficile d’imaginer qu’un seul et même homme puisse porter sur ses épaules toute la responsabilité de la corruption institutionnelle, poursuit le réalisateur. Whitey Bulger n’était pas qu’un simple informateur du FBI. Parce qu’être un indic n’a jamais signifié avoir un permis de tuer, n’est-ce pas ? » C’est donc le « Bureau » qui aurait laissé le gangster semer des dizaines de cadavres sur son chemin en toute impunité. Whitey Bulger (actuellement en prison jusqu’à la fin de ses jours) était un sociopathe, certes, un homme dangereux. Mais il était aussi le produit d’un système qui trouvait plus pratique de le laisser en liberté que de le mettre derrière les verrous. C’est la thèse, vertigineuse et très dérangeante, de Whitey. Comme le précise un carton glaçant à la fin du documentaire, aucun officiel du FBI n’a souhaité répondre aux questions de Berlinger.

Strictly Criminal de Scott Cooper avec Johnny Depp, Joel Edgerton, Benedict Cumberbatch sort le 25 novembre dans les salles


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