Sale et nerveux« Je peux te dire qu’il fait pas des claquettes, là, Elijah Wood », lance Alexandre Aja avec le sourire. En l’occurrence, Elijah Wood s’apprêterait plutôt à planter un hachoir en travers du visage d’un autre acteur. Nous sommes à Downtown Los Angeles, au 10ème étage d’un immeuble où se tourne le remake de Maniac, probablement le slasher le plus dérangeant des années 80. À l’époque, le film de William Lustig avait provoqué un scandale en suivant les virées meurtrières nocturnes d’un fou qui scalpait des femmes. Une œuvre séminale, qui a influencé trois décennies de cinéma d’horreur, à commencer par Haute Tension, qui lança la carrière américaine d’Aja et en citait directement une scène (celle des toilettes sur l’aire d’autoroute). Logique que le wonderboy français en produise aujourd’hui le remake, dont il a écrit le scénario avec son éternel complice Grégory Levasseur. Ce dernier devait d’ailleurs en signer la réalisation, avant qu’un problème d’emploi du temps ne vienne contrecarrer les plans. C’est finalement Franck Khalfoun, dont le duo avait déjà écrit et produit 2ème sous-sol, qui s’y colle. Avec son traditionnel bonnet vissé sur la tête, Khalfoun sait qu’il n’a pas une minute à perdre : le tournage de Maniac ne dure que 22 jours, et nous sommes à mi-parcours. Un planning plus que serré qui convient finalement assez bien a ce projet où le sentiment d’urgence est primordial. Le mot d’ordre ? Sale, nerveux, sans se retourner.Monument historiqueÀ l’initiative du film, on trouve un nom inattendu : Thomas Langmann. Fan inconditionnel de l’original, le mogul français s’était battu pour en décrocher les droits et travaille depuis des années sur ce remake, sa deuxième production à être tournée à Los Angeles après The Artist. Aja, lui, n’en est pas à sa première relecture (La colline a des yeuxMirrors et Piranha 3D, dans une moindre mesure, en étaient tous), et il est parfaitement conscient de s’attaquer ici à un monument encore plus historique que les précédents. « Je pense que nous avons trouvé un moyen d’être à la fois respectueux de l’original, et de proposer quelque chose de différent », avance-t-il. « Je suis un grand fan du genre, et je fuis généralement les remakes comme la peste », explique de son côté Elijah Wood. « Mais en lisant le scénario, j’ai tout de suite senti que celui-ci n’était pas comme les autres. »Dans la peau d'Elijah WoodRien que le fait de caster Wood dans le rôle autrefois tenu par Joe Spinell (ce qui revient en gros à remplacer le grand méchant loup par un bébé husky) annonce la couleur : on n’est pas là pour faire du copier-coller. Les grands yeux habituellement innocents de l’acteur peuvent très vite se révéler angoissants, comme l’avait prouvé Sin City. L’idée de cacher un prédateur derrière cette façade inoffensive, presque enfantine, marche du tonnerre dans les premiers rushes que l’on a pu voir. Dans ceux où l’on distingue l’acteur, du moins. Car la grande idée de ce Maniac 2012 est d’être entièrement en vue subjective, de raconter l’odyssée sanglante d’un psychopathe à la première personne. « J’apparais uniquement dans des reflets, ou des jeux d’ombres où vous reconnaitrez mon profil », explique Elijah Wood. « Le procédé est génial. » Parmi l’équipe, on cite beaucoup le clip de Prodigy, Smack My Bitch Up, dans lequel le réalisateur suédois Jonas Åkerlund avait utilisé le même principe pour filmer une nuit de débauche, choquant la planète entière avec ses images dégueulant de sexe et de drogues. « Tu te rappelles de La Femme défendue, de Philippe Harel, avec Isabelle Carré ? », interrompt Aja. « Il utilisait vachement bien la vue subjective. » Le plateau de Maniac est probablement le dernier endroit où l’on s’attendait à entendre citer Harel, mais on n’est plus à une surprise près.En regardant les techniciens s’affairer, on mesure assez vite l’ampleur du cauchemar logistique qu’implique ce choix de mise en scène. Chaque plan constitue un nouveau défi acrobatique : harnaché de sa steadycam, le chef op Maxime Alexandre est systématiquement flanqué d’Elijah Wood et de sa doublure, chacun « jouant » une main du personnage pendant qu’Alexandre « dirige » son regard. Frank Khalfoun, de son côté, multiplie les aller-retour entre le décor et le moniteur pour s’assurer que les trois sont parfaitement coordonnés et que l’illusion fonctionne à l’image. Dans les yeux du réalisateur, on lit un subtil mélange d’excitation et de « Bon sang, mais qui a eu cette idée improbable ? », balayé dès que tout le monde finit par trouver ses marques.Un parti-pris extrême« Compte tenu du parti pris, on n’avait engagé Elijah Wood que pour dix jours de tournage », raconte Alexandre Aja. « Mais il est là tous les matins, je suis épaté. Il veut être présent pour donner la réplique à ses partenaires, même quand une doublure aurait pu s’en charger. » Une aubaine pour Nora Arnezeder, l’actrice française révélée par Faubourg 36, de Christophe Barratier, qui tient ici le premier rôle féminin, son troisième en anglais après The Words, avec Bradley Cooper, et le récent Sécurité rapprochée, avec Ryan Reynolds et Denzel Washington.Dans quelques instants, sa doublure va passer à travers une table en verre et s’échouer sur les débris. La cascade a beau être préparée méticuleusement, l’ensemble de l’équipe – et nous les premiers - ne peut s’empêcher de sursauter lorsque la jeune femme s’élance en arrière, explosant le meuble en mille morceaux. Elijah Wood, qui n’en perd pas une miette devant le moniteur, ne peut s’empêcher de laisser échapper un « mortel ! » qui résume assez bien le sentiment général. À peine le temps de se féliciter qu’une table en verre toute neuve, promise au même destin, a déjà remplacé la précédente. La doublure s’échauffe. Aja jubile : « Je n’arrive toujours pas à savoir si ce qu’on fait sera commercial… ou juste complètement bizarre. En tous cas, ça va surprendre. Le parti-pris est extrême, et on l’assume jusqu’au bout. » Il marque une pause, esquisse un sourire et ajoute tout bas : « En plus, on a tourné des scènes vraiment gore. » Quand le réalisateur de Piranha 3D estime nécessaire d’apporter ce genre de précision, on n’ose même pas imaginer ce qui nous attend. La nuit va être longue…Mathieu CarratierVoici la bande annonce de Maniac, le 2 janvier 2013 dans les salles : Alexandre Aja : "Elijah Wood a enrichi le personnage de Maniac de manière troublante"