Libertate de Tudor Giurgiu (2025)
Libra Films

1989, le peuple roumain se soulève contre la dictature communiste. Libertate rend formidablement compte du climat de tension dans ces heures chaotiques. Entretien.

La Révolution roumaine qui a vu la chute du régime de Nicolae Ceaușescu en 1989 mettant fin à des années de dictature communiste est largement traité au cinéma. En quoi Libertate permet d’explorer de nouveaux aspects de ce moment historique ?

Tudor Giurgiu : J’avais 18 ans lorsque la Révolution a éclaté, j’en garde forcément des souvenirs. Pour autant j’ai toujours eu un peu peur de m’emparer de ce sujet, de ne pas posséder le recul nécessaire. On ne peut pas résumer les choses en opposant simplement les méchants communistes contre une population victime d’oppression. C’est évidemment plus nuancé. Lorsque ma productrice Oana Bujgoi et ma coscénariste Cecilia Stefanescu m’ont parlé de cette piscine vide dans la ville Sibiu où l’armée a regroupé les hommes et les femmes accusés d’être des terroristes, j’ai senti que je tenais un bon sujet. Il y avait un côté tragédie grecque avec une unité de lieu, de temps et une multitude de personnages dont on ne peut pas déterminer la position à priori. Beaucoup de cinéastes de ma génération se sont en effet emparés de ce moment de notre histoire. Tout le monde a peut-être en tête le film de Corneliu Porumboiu, 12h08 à l’Est de Bucarest (2006) et Le papier sera bleu de Radu Muntean (2006). Depuis les choses se sont un peu tassées. Le hasard veut que Libertate sorte conjointement en France avec Ce jour de l’an qui n’est jamais arrivé de Bogdan Muresanu qui traite du même sujet.

Retour sur le 24e Arras Film Festival où Libertate a été célébré

Libertate est un film de guerre assez dur qui contraste avec la majorité des longs métrages sur la question où la violence est traitée par l’absurde…

Nous ne sommes pas le pays d’Eugène Ionesco par hasard ! Je me souviens de ce dialogue dans 12h08 à l’Est de Bucarest. Deux habitants d'une petite ville de province assez tranquille discutent. L’un dit à l’autre : « Vous vous rendez compte, nous avons fait la Révolution. Comment c’est possible ? », « Nous, nous avons simplement bu, dansé, raconté des blagues et fait la fête ! Voilà à quoi a ressemblé notre révolution... » A Sibiu, la ville de Transylvanie où se déroule Libertate, la révolution s’est faite dans le sang.

Libertate de Tudor Giurgiu (2025)
Dragos Dumitru

 

Cette piscine vide créé à l’image un cadre dans le cadre. Cela rend l’ensemble encore plus oppressant….  

Ce bassin vide induit physiquement des rapports de force. Ceux dans le trou doivent lever la tête pour voir leurs geôliers. Le piège aurait été toutefois de faire de la piscine une unité de lieu au risque de lasser le spectateur. Nous avons donc imaginé des histoires parallèles et des interactions afin d’en sortir cycliquement. Mon influence était les films choraux de Robert Altman et cette capacité de faire coexister une galerie de personnages.    

En quoi les évènements de Sibiu traduisent-ils la folie qui s’est emparé du pays ?

La stratégie des médias encore à la solde de l’ancien régime était d’effrayer toutes les couches de la population en parlant de terroristes qui viendraient les attaquer. Ces jeunes militaires chargés de surveiller les prisonniers dans la piscine étaient pour la plupart inexpérimentés. Persuadés d’avoir devant eux de dangereux criminels ils étaient prêts à les tuer. Tout le monde se méfiait de tout le monde créant de la confusion et des réactions aveugles. Il régnait un climat de guerre civile. Les vingt premières minutes de Libertate cherchent ainsi à plonger le spectateur en plein chaos. Il est à noter que Sibiu était alors dirigée par le fils de Ceausescu, qui en qualité de secrétaire général du Parti avait les pleins pouvoirs.

Libertate de Tudor Giurgiu. Avec : Alex Calangiu, Catalin Herlo, Ionut Caras… Durée : 1h49. Sortie le 21 mai.