The irishman date de sortie et durée
Netflix 2019

Le retour de Scorsese au film de gangsters, De Niro, Pacino et Joe Pesci rajeunis numériquement, un budget monstre que seul Netflix pouvait se permettre… The Irishman, disponible dès ce mercredi 27 novembre sur la célèbre plateforme, est l’un des films événements de la fin d’année. Son scénariste détaille les enjeux thématiques de ce projet fou.

FRANK SHEERAN, DIT "L’IRLANDAIS"

The Irishman s’inspire d’un livre écrit par Charles Brandt, J’ai tué Jimmy Hoffa, racontant la vie de Frank Sheeran. Surnommé "L’Irlandais", Sheeran, mort en 2003 à l’âge de 83 ans, était un homme de main de la mafia qui, au soir de sa vie, confessa à Brandt avoir tué Jimmy Hoffa, l’ancien patron du syndicat des camionneurs (les fameux Teamsters), dont le meurtre était resté irrésolu pendant des décennies. Dans ce récit passionnant, Sheeran raconte ses crimes, sa vie de porteflingue : ancien soldat ayant vécu l’horreur des combats de la Seconde Guerre mondiale – qui lui apprirent à tuer et à vaincre la peur –, il gravit les échelons du crime organisé dans les années cinquante et soixante, en se liant d’amitié avec Russell Bufalino, le boss d’une grande famille mafieuse (dont on dit qu’il inspira à Mario Puzo le personnage de Don Corleone). Le titre original du livre, I heard you paint houses ("Il paraît que tu peins des maisons") est caractéristique de l’argot mafieux qui rythme la longue confession de Sheeran – la "peinture", c’est le sang qui gicle sur les murs quand un homme est liquidé. Steven Zaillian, scénariste du film, l’un des plus grands auteurs du cinéma américain contemporain, oscarisé en 1994 pour La Liste de Schindler, raconte : "C’est Robert De Niro qui, le premier, a été captivé par ce livre. Il a mis Martin Scorsese sur le coup, et ils ont ensuite tous les deux fait appel à moi. J’avais déjà travaillé avec Marty sur Gangs of New York et avec Bob sur L’Éveil. Ils m’ont donné le bouquin, on devait être en 2008, quelque chose comme ça, et j’en ai écrit l’adaptation. Mais Marty était accaparé par d’autres projets et le film n’a pas pu se faire tout de suite. Je n’ai révisé le script que deux fois ces dix dernières années – une fois en 2013, l’autre juste avant le tournage – ça a été l’un des processus d’écriture les plus faciles de ma carrière. La raison principale, c’est que Bob et Marty savaient très précisément ce qu’ils voulaient, leurs retours sur le script étaient très méticuleux. Normalement, quand tu reçois les “notes” d’un studio ou d’un producteur, c’est très confus. Pas avec eux."

"NON-FICTION"

Le challenge était de faire tenir en un script cohérent près de 400 pages d’une densité affolante, convoquant des dizaines de personnages secondaires et décrivant par le menu quelques-uns des secrets les plus brûlants du crime organisé. "Quand on découvre le livre", poursuit Zaillian, "on est frappé par l’ampleur de ce que décrit Sheeran. C’est écrit à la première personne et extrêmement évocateur. Il raconte sa vie, de sa jeunesse à ses 80 ans, donc la grande question pour un scénariste, c’est : comment structure-t-on tout ça ? L’intention n’était pas de faire un biopic, surtout pas. Il fallait élaguer – finalement, on se concentre sur une période beaucoup plus courte que dans le livre. On le suit, en gros, du milieu des années 50 au milieu des années 70. Il fallait trouver comment raconter cette histoire, un cadre qui empêche le récit d’être une succession d’épisodes biographiques mis les uns à la suite des autres. Ne comptez pas sur moi pour vous dire comment je m’y suis pris, je préfère vous laisser la surprise ! Mais l’idée était de se concentrer sur les moments de la vie de Sheeran, où résonnent les thèmes profonds de cette histoire : la loyauté et l’amitié. L’Irlandais est un homme qui a été mis dans une position très compliquée visà-vis de ses amis... J’ai beaucoup adapté de livres de "non-fiction" dans ma carrière, et on est forcément obligé d’inventer des dialogues, de compresser le temps, de fondre plusieurs personnages en un... Mais il faut être rigoureux, on ne peut pas faire n’importe quoi. L’avantage avec l’histoire de Frank Sheeran, c’est qu’il n’y a presque rien à ajouter. C’est suffisamment riche sur le plan dramatique."

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IL ÉTAIT HOFFA EN AMÉRIQUE

La vie de Frank "The Irishman" Sheeran permet de raconter en filigrane l’histoire secrète de l’Amérique dans la deuxième moitié du XXe siècle. Par l’intermédiaire de Russell Bufalino, Sheeran devint l’ami et l’un des soutiens les plus inconditionnels de Jimmy Hoffa. La disparition non élucidée de celui-ci, en 1975 (son corps ne fut jamais retrouvé, son hypothétique assassin jamais identifié), est l’un des faits divers les plus discutés des seventies. Car Jimmy Hoffa, l’ennemi juré de Bobby Kennedy, était une star, l’un des hommes les plus puissants des États-Unis. "Aussi connu que Sinatra ou Elvis !" précise Zaillian. "Il a été très important dans l’Amérique de l’après-guerre, il a beaucoup fait pour le syndicalisme. Ensuite, les Teamsters ont commencé à fricoter avec la pègre, c’est là que ça devient... compliqué ! (Rires.) J’avais une vingtaine d’années au moment de sa disparition, les médias en parlaient bien sûr énormément. Le mystère de cette disparition était d’ailleurs tellement grand que ça a un peu fini par éclipser sa vie. Mais ce qui est véritablement fascinant dans le livre, c’est que, même si on y croise beaucoup de gens célèbres, le personnage principal, Sheeran, lui, est totalement inconnu. Ça permet d’aborder ces questions avec un regard neuf." Des questions qui, en l’occurrence, ne concernent pas seulement Jimmy Hoffa : comme le suggère la bande-annonce de The Irishman, Sheeran livrait aussi dans sa confession des révélations fracassantes sur l’assassinat de JFK...

LA VALSE DES PARRAINS

Si The Irishman attise autant la curiosité, au-delà de cette matière documentaire vertigineuse, c’est bien sûr pour sa promesse d’être le film de mafia ultime. Robert De Niro et Martin Scorsese n’avaient pas tourné de long métrage ensemble depuis Casino. Et le réalisateur a réuni autour de son acteur fétiche (dans le rôle de Sheeran) un casting en forme de machine à fantasmes : Al Pacino (en Jimmy Hoffa), Joe Pesci (qui joue Russell Bufalino) et Harvey Keitel, pas vu dans un Scorsese depuis La Dernière Tentation du Christ – une autre histoire d’amitié trahie. "C’est bien sûr très séduisant de se dire qu’on va écrire un film de gangsters pour Martin Scorsese", explique Zaillian. "Mais il faut réussir à ne pas avoir les précédents en tête. Je crois que Marty aussi essaye de ne pas y penser ! Ceci dit, Casino était différent des Affranchis, qui lui-même ne ressemblait pas du tout à Mean Streets." Quand on l’avait rencontré fin 2016, au moment de la sortie de Silence, Scorsese nous expliquait vouloir renouveler l’approche du genre, résumant le projet ainsi : "C’est l’histoire d’un homme de 75 ans qui regarde en arrière, mesure le chemin parcouru et réfléchit au prix qu’il a dû payer pour être là où il est. Un prix très, très élevé. Ça pourrait vraiment être une nouvelle approche du film de gangsters. Comme Silence, dans un style très dépouillé." Zaillian conclut : "C’est l’histoire d’un homme à l’âme torturée, qui fait son examen de conscience. En fait, si on veut à tout prix le comparer à un autre film de Martin Scorsese, je crois que ce sera plus proche de Raging Bull."

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