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A un mois de la sortie de Rogue One : A Star Wars Story, ceux qui ont construit l'Etoile de la mort vous racontent son histoire.

"J'ai un mauvais pressentiment..." murmurait Obi-Wan Kenobi en découvrant l'Etoile de la mort dans La Guerre des étoiles en 1977. Et quarante ans plus tard, l'arme suprême de l'Empire revient dans Rogue One : A Star Wars Story. Impossible d'imaginer Star Wars sans Etoile de la mort. La preuve avec son histoire par ceux qui l'ont construite.

DEATH STAR. Les deux mots en majuscules explosent dans le texte déroulant au début du premier Star Wars en 1977. L'Etoile de la mort. L'arme ultime de l'Empire galactique (120 kilomètres de diamètre, un million de troupes embarquées...), capable d'exploser une planète d'un coup de super-laser, dont les plans ont été volés par les Rebelles lors d'une mission suicide. Rogue One : A Star Wars Story, premier film dérivé de Star Wars, raconte cette mission. Le film sort le 14 décembre, dans un mois jour pour jour et va peut-être dévoiler les secrets du MacGuffin le plus puissant de tout le cinéma. L'histoire de la première Etoile de la mort de 1977 a été à l'image de celle du film : longue, compliquée. Epique.

George Lucas : Mon second projet était Apocalypse Now. John Milius et moi avons eu cette idée quand on était encore à l’école de cinéma. On a fait un deal avec Francis Ford Coppola pour développer le projet. Et puis on a réalisé qu’à cette époque, faire un film sur la guerre du Vietnam était impossible. Personne ne voulait toucher au sujet. Personne ne savait alors ce qui se passait au Vietnam. Personne ne savait à quel point c’était surréaliste sur le front. Coppola n’a pas pu trouver de financement, et on a dû mettre ce projet sur le bas-côté. Et je me suis alors concentré sur mon idée d’un film de science-fiction.

Walter Murch : Star Wars est la version de Lucas d'Apocalypse Now, réécrite dans le contexte d’un univers de science-fiction. Les Rebelles sont les Vietnamiens, et l’Empire, les Etats-Unis.

George Lucas : Tout ce qui m’intéressait dans Apocalypse Now a été reconduit dans Star Wars. Puisqu’on m’a empêché de faire ce film sur la guerre du Vietnam, j’ai repris tous les concepts que j’avais développés pour Apocalypse Now, et je les ai convertis dans l’espace. C’est pourquoi vous avez dans Star Wars cet Empire ultratechnologique, qui essaie d’anéantir un petit groupe d’êtres humains combattant avec des petits moyens. Après le succès d’American Graffiti, j’ai repris le projet Apocalypse Now. Columbia était intéressé pour produire le film, et on a avancé sur la pré-production. Mais ils voulaient la totalité des droits qui appartenaient à Zootrope, la société de Coppola, qui refusait de céder les droits. J’étais déjà en repérages dans les Philippines, quand le deal avec le studio est parti en morceaux. Je suis donc passé directement d'Apocalypse Now à Star Wars.

Mark Hamill : A l’origine, dans les dessins de productions, les rôles étaient inversés. La princesse Leia était l’héroine, et c’est moi, son frère, qu’elle devait sauver sur l’Etoile de la mort. Et puis George Lucas a inversé les rôles.

George Lucas :  J’ai longtemps cherché mon histoire. J’ai gribouillé plusieurs versions. A un moment, le personnage principal n’était pas Luke, mais la princesse.

Notes de George Lucas pour le scénario de Star Wars, 1973-1974 : Notes pour un nouveau commencement... Pour trois personnages principaux -le général, la princesse, le gamin (Starkiller) -faire une structure de développement... Mettre un chronomètre sur l'équipement des enfants... Chaque scène doit être établie et reliée à la suivante... écrire une scène où Starkiller retrouve un vieil ami sur Alderaan... Han très vieux (150 ans)... Etablir impossibilité d'attaque de l'Etoile de la mort... Créer menace plus grande, plus sinistre ? Une guerre entre liberté et conformisme...

 

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Novembre 1973 : les trois premiers croquis de George Lucas pour expliquer Star Wars au designer Ralph McQuarrie sont un "Imperial Fighter", un X-Wing, et la Death Star.

Dans le deuxième jet du scénario de George Lucas (janvier 1975), la « Death Star » est un objet "gros comme une petite lune" ("as big as a small moon"), un objet spirituellement terrifiant qui contient "toute la puissance du Bogan" ("all the force of the Bogan"). "Bogan" étant, dans cette version du script, à la fois l'Empire et le Côté obscur de la Force. Cette Death Star est détruite à la fin lors d'une bataille spatiale grâce à une faille située "à son pôle nord". C'est l'androïde C3PO artilleur dans le vaisseau de Luke, qui lui porte le coup fatal.

Notes de George Lucas, 1975 : Changer le nom de l’Etoile de la mort ? Luke ne sait pas que son père était un Jedi. C’est Ben qui lui apprend.

 

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22 février 1975 : "Battle for Death Star", peinture de Ralph McQuarrie. La Death Star n'est encore qu'une grosse station spatiale.

George Lucas : J’avais un gros problème d’écriture dans mon scénario original, l’Etoile de la mort n’était pas menaçante. Dans le script original, les héros pénétraient sur l’Etoile de la mort, en prenaient le contrôle, et s’en tiraient sans pépins majeurs. L’Etoile noire n’avait aucun impact. C’est alors que ma femme ma suggéré de tuer Obi Wan Kenobi…

Colin Cantwell, concepteur de vaisseaux : J'ai demandé à George si la Death Star était toujours visible à côté d'une planète. Il m'a dit oui, alors j'ai pris un risque avec une de mes maquettes prototypes : je l'ai peinte en argenté, pour qu'elle ressorte mieux sur le fond spatial, sous n'importe quel angle.

Quatrième version du script (janvier 1976) : le dernier acte du film (le sauvetage de Leia) se situe entièrement sur la Death Star plutôt que sur Alderaan, pour économiser le budget. Alderaan se fait exploser pour montrer la puissance de l'engin.

George Lucas : Entre la première et la deuxième version du scénario, Luke atterrissait à la surface de l’Etoile noire. Avec R2D2, ils devaient prendre une bombe à la main, ouvrir le sas, la jeter dedans, et avaient 15 secondes avant de rejoindre leur vaisseau spatial, avant que tout explose, mais Dark Vador arrivait à cet instant précis. Luke combattait Vador avec le compte à rebours, et finalement réussissait à le vaincre et à s’échapper in extremis. J’ai abandonné l’idée, que je trouvais trop risquée, de mêler l’anéantissement de l’Etoile de la mort avec un combat au sabre-laser.

Les maquettes des vaisseaux sont prioritaires pendant la pré-production, car ce sont elles qui demandent les plus de temps à construire. La construction des intérieurs de l'Etoile de la mort dans les studios de Pinewood (Angleterre) sont paradoxalement beaucoup plus faciles à monter.

John Barry, chef décorateur : Les couloirs (de la Death Star) ont été conscruits en cercles concentriques, pour qu'ils puissent tous rentrer dans le même studio. Ralph (McQuarrie) a fait quelques dessins de la Death Star en bleu marine, le concept des couloirs concentriques. Même si la Death Star est énorme, il fallait toujours construire en incurvé pour rappeler au spectateur que nous sommes dans un bâtiment de forme circulaire.

Joe Johnston, illustrateur et designer : J'ai conçu le décor de la surface extérieure de la Death Star en trois étapes. Quand la caméra survole la tranchée, il n'y a pas beaucoup de détails : les bâtiments sont petits et la tranchée est creuse et grande. Mais dès qu'on plonge dans la tranchée, elle devient plus étroite et profonde. Et quand on se rapproche de la "bouche d'aération", tout devient extrêmement détaillé.

John Barry : George voulait la même ambiance que dans le film de science-fiction Les Mondes futurs (Things to Come, 1936, d'après H.G. Wells), un énorme intérieur, silencieux et sophistiqué.

George Lucas : Toute l'Etoile de la mort tenait sur un seul plateau.

John Barry : George surnommait le plateau Etoile de la mort "le Mécano" ("Tinkertoy"). Il n'y avait que six "unités" de décors qu'on pouvait recombiner pour créer de nouveaux décors à l'infini. Pendait que George tournait dans une combinaison de décors, on arrangeait le reste.

 

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George Lucas : Souvent j'ai des idées précises et parfois c'est beaucoup plus vague. Pour la salle de réunion de l'Etoile de la mort j'ai juste dit à John Barry "fais-moi une grande pièce ronde autour d'une table ronde", et voilà. Il a décidé de conserver le motif arrondi dans tout le design. Intellecutellement, ça ne marche pas, l'Empire c'est les méchants, les intérieurs devraient être anguleux. Mais ça marche à l'écran.

Robert Watts, superviseur de la production : Parfois George demandait à un charpentier de changer quelque chose dans le décor sans passer par la hiérarchie. Mais si on fait ça sans passer par le contrôle, on affecte l'ensemble de la chaîne. Mais c'est un petit problème.

Joe Viskocil, responsable des explosions : Pour faire exploser Alderaan on a fait exploser du bois avec du gaz. Les morceaux de bois doivent donner l'impression du noyau de la planète qui pète.

Adam Beckett, superviseur de l'animation : C'est difficile de faire des cercles en perspective. De tous les effets du film c'était le tunnel du super-laser de l'Etoile de la mort qui a été le plus difficile à faire. Il combinait toutes les techniques de Star Wars. Matte painting, effets de lumière, décor réel, deux figurants au premier plan sur lesquels se reflètent le laser... On a utilisé un effet de miroir pour créer l'illusion de profondeur, que les cercles s'enfoncent au loin. En tout, il y a 160 élements artistiques différents pour faire 42 images de film.

George Lucas : Quelques-uns des Stormtroopers sont des femmes. Mais il n’y en a pas tant que ça assignées sur l’Etoile de la mort.

Ralph McQuarrie : L'Etoile de la mort est vraiment devenue une sphère absolument gigantesque quand les gars d'ILM ont décidé qu'ils avaient besoin d'une surface plate pour manier la caméra au-dessus lors de la bataille finale. On a calculé les dimensions de la sphère pour que l'horizon de l'Etoile soit plat quand on se tient sur la surface.

Joe Johnston : A un moment on était dix à travailler sur le décor extérieur de l'Etoile de la mort. C'était comme être envoyé sur le front russe pendant la Deuxième guerre mondiale. C'était comme être exilé en Sibérie, construire sans cesse ce décor sans fin.

Joe Viskocil : On a utilisé un mélange "calibre titan" -un mélange spécial de mon cru- pour l'explosion de l'Etoile de la mort. La première fois qu'on a fait péter le "calibre titan", c'était quand on filmait avec une caméra capable de photographier 300 images par seconde. Il y a une première explosion de gaz, puis des étincelles argentées volent, puis cette aura étrange et gazeuse. On l'a montrée à George dans les bureaux d'ILM et il a bondi : "c'est notre explosion de l'Etoile de la mort, aucun doute là-dessus !" L'explosion avait fait trembler les murs du studio.

 

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Dans les premiers jets du Retour du Jedi, le combat final contre l'Empereur se déroule sur Had Abaddon, une planète volcanique où se trouve le temple de Palpatine. L'idée est abandonnée par Lucas pour de multiples raisons, notamment budgétaires. Et on revient à la bonne vieille Etoile de la mort.

George Lucas : Le MacGuffin du Retour du Jedi c'est que l'Empire construit une deuxième Etoile de la mort. Encore plus puissante que la première. Et puis j'ai réalisé que l'Empereur pourrait se trouver à bord. On pouvait donc tuer l'Empereur et détruire la nouvelle Etoile de la mort en même temps. Et là l'Empire ne pourrait plus en construire du tout. Ca valait le coup.

Gary Kurtz : Dans l’histoire originale que nous avions en tête pour Le Retour du Jedi, il n’y avait pas une seconde Etoile de la mort. J’ai trouvé que cette nouvelle Etoile était une répétition de La Guerre des Etoiles, avec juste des meilleurs effets spéciaux.

George Lucas : Le truc pratique avec les Etoiles de la mort, c'est qu'on peut les diriger facilement. Une planète, on ne peut pas la diriger facilement.

Lawrence Kasdan, co-scénariste du Retour du Jedi : J'aimais l'idée d'Had Abbadon. C'était une jolie idée. Et l'Empire avait besoin d'une planète à lui.

En 2005, Lucas conclut sa saga avec l'Episode 3, La Revanche des Sith, dans lequel on apprend que l'Etoile de la mort sort des forges du monde-machine de Geonosis. Et l'avant-avant-dernière scène montre l'Empereur et Dark Vador contempler le chantier de leur arme suprême. Dans l'Episode 7, Le Réveil de la Force, la planète Starkiller est une copie quasi conforme de l'Etoile de la mort (avec la même tranchée équatoriale). En 2016, Rogue One revient -encore- aux sources du mal. C'est vraiment pratique, les Etoiles de la mort.

 

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Kathleen Kennedy, présidente de Lucasfilm, 2016 : Quand (le superviseur des effets de ILM) John Knoll m’a sorti le pitch de Rogue One, qui vient tout droit du texte d’introduction original, ma première réaction a été "oh mon Dieu, j’ouvre toutes les vannes si je dis oui !" Imaginez, si ce film a un texte d’introduction, il donne le pitch d’un autre film, et ainsi de suite !

John Knoll, superviseur des effets spéciaux de la prélogie : J'ai eu l'idée de Rogue One en 2003, pendant le tournage de l'Episode 3 à Sydney. On voulait faire une série télé à la Mission : Impossible, développer la mission des Rebelles pour voler les plans de l'Etoile de la mort sur plusieurs épisodes, avec une équipe d'agents complémentaires les uns des autres.

Gareth Edwards, réalisateur de Rogue One : Rogue One se déroule avant l'Episode 4. Pas de Jedi. Aucun dieu pour nous sauver. Pas d'espoir. Le film veut parler des réalités de la guerre, avec des personnages ni noirs ni blancs, mais gris.

Kiri Hart, chef du groupe de scénaristes de l'univers Star Wars : Rogue One est représentatif de ce qu'on veut faire plus tard. Un film imbriqué dans le Star Wars qu'on connaît, écrit à partir d'un bout d'info officielle, qui construit des nouveaux persos, une nouvelle histoire...

Gareth Edwards : Faire un film dérivé de Star Wars c'est comme renverser son coffre à jouets, fouiller dans ses figurines. Et choisir celles avec lesquelles tu vas jouer. Il faut juste bien choisir. On a Dark Vador, mais c'est juste un rôle mineur, une ombre... La vraie menace, c'est elle. L'Etoile de la mort.

Sources
Chris Taylor, How Star Wars Conquered The Universe, Basic Books, 2014.
Bill Slaviscek, Bill Smith, Death Star Technical Companion, West End Games, 1991.
J.W. Rinzler, The Making of Star Wars, Aurum, 2007.
J.W. Rinzler, The Making of The Return of the Jedi, Aurum, 2013.

Bande-annonce de Rogue One : A Star Wars Story :