L'histoire de Wonder Woman
DC Comics / Warner Bros.

D'où vient la Wonder Woman de 2017 ? Le récit des origines de la superhéroïne couvre un siècle de féminisme et de comics. Avec des dieux grecs en bonus.

Mise à jour du 14 mars 2021 : Alors qu'elle fête ses 80 ans cette année, TF1 diffusé ce soir le Wonder Woman de Patty Jenkins. Pour l'occasion, nous republions l'histoire de la célèbre super-héroïne.

Notre critique de Wonder Woman : "une réussite"

Article du 7 juin 2017 : Tout (re)commence en 1986, lors de cette année charnière pour la BD, où les sorties de Watchmen et The Dark Knight Returns redéfinissent pour de bon les superhéros, que DC Comics décide de remettre à plat son univers avec Crisis on Infinite Earth qui détruit tout pour mieux reconstruire : à l'occasion de ce reboot, le dessinateur de Crisis George Pérez est chargé de ressusciter dans la foulée Wonder Woman, de la remettre au goût des années 80. Le grand Pérez livre alors une merveille de comics qui reconnecte l'héroïne à la mythologie grecque, en reprenant son costume doré et étoilé du golden age (et en le justifiant même via un twist bluffant d'émotion). Après un prologue épique, véritable Théogonie en quadrichromie qui met en scène Zeus, Hercule et les Amazones immortelles, Wonder Woman affronte Arès, le dieu de la guerre, qui veut mener le monde au conflit atomique (nous sommes à la fin de la Guerre froide). Trente ans plus tard, le run de Pérez semble avoir servi directement d'inspiration au film Wonder Woman de 2017, qui reprendra son idée de prologue mythique : Arès affronte les dieux (et notamment Zeus) dans l'Antiquité ; vaincu, il retrouvera toute sa force grâce aux massacres de la Grande guerre et Wonder Woman (Gal Gadot) quittera son île magique pour l'affronter. « Un mélange de Casablanca et Indiana Jones », promet Patty Jenkins, qui réalise là son deuxième long seulement depuis Monster (2003) après avoir quitté le projet Thor 2 en 2012. Wonder Woman revient de loin, très loin. Ivan Reitman en 1996, Joss Whedon en 2005 puis Paul Feig s'étaient cassé les dents sur le film Wonder Woman. En 2017, la promesse est aussi de reforger l'histoire de Wonder Woman dans les tranchées de la vieille Europe. Un méchant général autrichien bien pulp, des Amazones en armures, des scènes d'action très costaudes dans la lignée de celles de Batman V Superman : L'Aube de la justice... Un film d'aventures pur jus, tourné en pellicule : « Je ne suis pas fan du tout-fond vert », raconte Jenkins. « Je veux me référer au « grand » cinéma, en cinémascope, celui qui fait rêver par la puissance de ses images. Tourner en pellicule, c'est se connecter à ce « grand » cinéma ». La Wonder Woman de 2017 est aussi le personnage dans son itération la plus récente des comics : armée d'une épée et d'un bouclier, plus proche en fin de compte de l'Amazone guerrière façon 300 que de la militante féministe des années 40 qui aidait les femmes à mener des grèves pour l'égalité de leurs droits. Si ces histoires de dieux grecs et d'Amazones féministes vous choquent un peu dans le zeitgeist superhéroïque post-Nolan des années 2010 qui ne voudrait être sérieux que dans le méta et refuse même d'appeler une batmobile par son nom, il s'agit en fait de se reconnecter à l'esprit d'origine de la BD, entre mythologie, superhéros et féminisme.

 

 
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L'Histoire secrète
L'histoire des vraies origines de la superhéroïne est d'ailleurs parfaitement étudiée dans le livre The Secret History of Wonder Woman (Vintage Books, 2014, inédit en France). On peut vous révéler tout de suite le twist majeur du bouquin : en réalité, Wonder Woman était un homme -en fait, le livre raconte la biographie de William Moulton Marston, son créateur, et l'homme a tellement mis de sa vie dans son personnage que les deux finissent par se confondre. En ce sens, Wonder Woman est plus proche du fantasme Superman (le golem créé par deux Juifs pour affronter Hitler) que du purement fictionnel Batman (héros-détective gothique). L'exploit majeur du livre, nourri aux meilleures sources, est de replacer Wonder Woman dans l'histoire du féminisme américain. Mais aussi de se rendre compte que l'origins story proposée par le futur film DC/Warner paraît très fidèle à celle du comics. Un comics dont les éléments principaux (la mythologie grecque, le féminisme, le « lasso de vérité », le bondage...) sont donc issus de la vie de Marston. « J'ai été complètement bluffé de découvrir la vie de ce mec. Un féministe bigame créateur d'un détecteur de mensonges et d'une superhéroïne légendaire... », raconte Luke Evans, qui vient de jouer le bonhomme dans le biopic Professor Marston & the Wonder Women, réalisé par Angela Robinson (La Coccinelle revient en 2005 avec Lindsay Lohan, les séries The L World et How to Get Away With Murder), et qui doit sortir avant la fin de l'année 2017 -décidément sous le signe de Wonder Woman. Evidemment qu'il y a matière à un biopic dans la vie de Moulton et de ses deux femmes, Olive Byrne et Elizabeth Holloway. « Wonder Woman n'est pas seulement une princesse amazonienne badass. C'est le chaînon manquant dans une histoire qui commence avec les campagnes des suffragettes dans les années 1910 et qui s'achève un siècle plus tard dans notre féminisme troublé », écrit Lepore en introduction de son livre passionnant. Qui commence donc avec la naissance de Marston en 1893 dans une famille bourgeoise du Massachussets. Enfant précoce, fou de mythes grecs, il écrit très tôt des poèmes ; adolescent colossal et toumenté, il s'oriente vers le Droit à Harvard mais est hanté par l'idée du suicide (qu'il exorcisera dans Wonder Woman via le personnage du Docteur Poison, présent dans le film de 2017 en version féminine jouée par Elena Anaya). Il se tournera vers la psychologie -alors discipline nouvelle- et, en parallèle, deviendra féministe convaincu grâce à sa femme, Elizabeth Holloway.

 

Le Maître des mensonges
Dès 1915, Marston se passionne pour le cinéma, étudie les nickelodeons d'Edison et remporte même un concours de scénario pour un petit film intitulé Jack Kennard, Coward, qui raconte les hésitations d'un joueur de football universitaire. Mais sa véritable passion -voire son obsession- est de perfectionner son « détecteur de mensonges », un appareil de mesure de la pression sanguine qui selon Marston varie suivant que le sujet testé dit ou non la vérité. Il teste sa machine à l'armée en 1917 alors que les Etats-Unis s'engagent dans la Grande guerre, avec des résultats impressionnants. En 1922, associé d'un cabinet d'avocats, il parvient même à introduire sa machine au tribunal, dans un procès pour meurtre : si le juge refuse de le qualifier en tant qu'expert (l'accusé sera condamné à la prison à vie), l'affaire lui fera une grosse publicité. Après quelques problèmes judiciaires en 1923 (une fabrique de tissus qu'il a fondée qui fait faillite) qui le feront virer de la fac, Marston est engagé comme professeur de philosophie dans une université de Boston. Il rencontre Olive Byrne, une jeune étudiante qui va l'introduire aux rites d'initiation des sororités universitaires (dont une nuit où les apprenties, déguisées en bébés, se font frapper par des baguettes) et devenir son amante. Marston va vivre le restant de ses jours avec Olive et Elizabeth (son épouse depuis 1915) au sein d'un ménage à trois plutôt harmonieux. Marston et Holloway travaillent, et Byrne s'occupe des futurs enfants du couple. La bigamie de Marston n'est pas que du ragot : Olive sera la principale source de l'auteur pour ancrer Wonder Woman dans l'histoire du féminisme américain. Car la tante d'Olive, Margaret Sanger, sage-femme d'origine irlandaise, est une des grandes suffragettes américaines : elle et la mère d'Olive ouvrent un centre d'information sur la contraception en plein Brooklyn, véritable ancêtre du planing familial. Ce qui leur vaudra un procès pour incitation à l'usage de contraceptifs. Malgré une sévère grève de la faim, la mère d'Olive fut condamnée à 30 jours de prison. Sanger écrit des livres, dont Woman and the New Race, que Marston dévorera en 1920 et dont la vision d'une femme nouvelle, éduquée et forte, libérée des chaînes de l'homme, sera un des modèles de Wonder Woman. Mais en attendant de plonger dans les comics, Marston tente tant bien que mal de trouver du travail. En 1928, il se fait de la pub en menant une grande expérience dans un cinéma : il projette La Chair et le diable -gros succès d'alors avec Greta Garbo- à un public de femmes brunes et blondes et mesure leur excitation. Il en conclut que les brunes sont plus facilement excitées que les blondes. La même année, il répond à une petite annonce de Carl Laemmle, fondateur d'Universal, qui recherche un pcyhologue pour « analyser les films et prévoir la réaction du public face à eux », et surtout déjouer les coups de ciseaux de la censure a priori. Marston, showman dans l'âme, plaît à Laemmle qui l'engage l'année suivante. L'une de ses premières idées sera de faire la promo de L'Homme qui rit (1929) en faisant un jeu-concours sur une question de sexe (le film, adapté du roman de Victor Hugo, est célèbre pour avoir inspiré à Bob Kane le personnage du Joker dans Batman). Persuadé que le cinéma parlant est l'avenir, il co-écrit un livre sur le sujet (et sur comment éviter la censure), The Art of Sound Pictures dont l'influence se fera quelque peu sentir sur la terreur psychologique provoquée par les Universal Monsters comme Dracula et Frankenstein. Marston travaillera surtout à faire passer le film de guerre A l'Ouest, rien de nouveau (1930) outre la censure de l'époque. Mais l'avénèment d'une nouvelle forme de censure à Hollywood via le Code Hays (1930) mit de nouveau Marston au chômage.

 

 
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Suprema, The Wonder Woman
Si Marston commence à s'intéresser aux comics, c'est grâce à sa maîtresse, Olive Byrne. Pigiste pour le magazine Family Circle (dans lequel elle a écrit un article dithyrambique sur Marston et son détecteur de mensonges, sans mentionner évidemment les liens qui les unissent), elle signe un nouveau papier en 1940 pour faire encore une fois la promo de son homme. Le succès de Batman (créé en 1939) et Superman (1940) pousse les associations parentales d'Amérique à se demander si les BD sont fascistes et/ou dangereux pour les enfants. Marston défend vigoureusement les comics sous la plume d'Olive. L'article tape dans l'oeil de Charlie Gaines, boss des éditions All-American Publications, qui engage Marston afin de préparer la riposte face aux attaques des militants anti-comics inquiets de la violence de Batman. Presque immédiatement, Marston lui propose de créer une superhéroïne. « Il est bel et bon d'être fort et généreux. Mais on considère, selon des règles exclusivement masculines, que la tendresse, l'affection l'amour et le charme sont des signes de faiblesse. "Ah, c'est des trucs de fille", se lamente notre jeune lecteur de comics. "A quoi bon être une fille ?" Voilà le problème ; les filles elles-mêmes ne voudraient pas l'être car nos archétypes féminins manquent de force, de puissance, de caractère. Ce n'est pas que nous ne voulons pas que les filles ne soient pas tendres et aimantes comme doivent l'être les femmes. Mais les qualités des femmes sont dépréciées à cause de leurs faiblesses. Le remède le plus évident est de créer un personnage féminin avec toute la force de Superman plus toute l'allure d'une femme belle et bonne. » Gaines est convaincu et Marston soumet le synopsis du premier épisode de Suprema, The Wonder Woman en février 1941. Sheldon Mayer, le jeune editor de Superman, est chargé de superviser le nouveau comics mais veut virer le nom de Suprema en Wonder Woman. Marston le prévient : il est prêt à accepter tout changement de costume, de nom ou de scénario, mais sur le féminisme, il ne lâchera rien. Le premier épisode de Wonder Woman paraît à l'automne 1941, peu de temps avant Pearl Harbor. On y rencontre donc Diana, Amazone immortelle créée par Zeus vivant sur Paradise Island qui rencontre le monde momderne quand un aviateur s'écrase sur l'île. Dotée des pouvoires des dieux grecs, elle va mener toutes sortes de combats. Suite à l'entrée en guerre des Etats-Unis, Marston enverra une lettre au président Roosevelt pour lui proposer ses services en tant qu'inventeur du détecteur de mensonges. Sa lettre sera transmise au FBI mais Marston ne sera pas appelé à servir (ce sera un « détecteur de mensonges » concurrent qui sera amplement utilisé pendant la Seconde guerre mondiale et après). Le lien entre l'obsession de Marston pour son détecteur de mensonges et le « lasso de vérité » de Wonder Woman, qui oblige la personne enserrée à dire la vérité, est assez évident. Tout comme ses bracelets d'or qui lui permet de parer les balles : les mêmes que porte Olive Byrne en permanence. La popularité de Wonder Woman grandit vite et elle rejoint dès 1942 la Justice Society of America aux côtés de Batman, Superman, Green Lantern et les autres grâce à un écrasant vote des lecteurs en sa faveur. Mais la Wonder Woman des origines est tiraillée entre deux visions : celle du scénariste Gardner Fox, qui dans sa version de la Justice Society la cantonne en tant que secrétaire de l'armée en juppete aux Etats-Unis pendant que ses supercopains vont combattre le fascisme en Europe, et celle de Marston qui mène tous les combats féministes de son temps. Sous la plume de Marston, Wonder Woman aide par exemple des femmes grévistes d'un grand magasin ou lutte contre les pratiques illégales des fabriques de lait. Et surtout, elle lutte contre des superméchants qui ont tous un point commun : leur volonté de détruire l'égalité hommes-femmes. Quand Wonder Woman obtient son propre titre en 1942, le comics comprend en supplément la biographie en BD de l'infirmière anglaise Florence Nightingale, premier épisode de la série didactique Wonder Women of History. Marston fera même de Wonder Woman la première femme présidente des Etats-Unis lors d'un voyage dans le futur.

 

 

 

Goddess of War
Quand Marston meurt en 1947 d'un cancer après s'être épuisé sur la version de Wonder Woman en strips quotidiens dans les grands journaux (une consécration à l'époque aux Etats-Unis qui permet de toucher des lecteurs en-dehors des fans de comics), Elizabeth Holloway prend tant bien que mal le relais en luttant pour conserver l'esprit féministe de la BD. Mais Wonder Woman subit son coup le plus dur en 1954 lorsque le psychiatre Frederick Wertham publie un livre, Seduction of the Innocent, qui dénonce la violence et le racisme présent selon lui dans les comics. L'impact du livre contribuera à la fondation en septembre d'une autorité de contrôle des BD beaucoup plus strict qui établira le Comics Code Authority (CCA). Plus d'allusions sexuelles, plus de violence, plus de mots comme « horror » ou « terror » dans les titres, pas question de flatter les « plus bas instincts » comme l'écrit le CCA. Wonder Woman, avec ses allusions lesbiennes et sado-maso (le bondage est très présent dans les pages de WW première époque), est en première ligne des critiques. Fini le temps de la liberté féminine : en écho à la situation de la femme après la Seconde guerre mondiale, Wonder Woman est priée de s'effacer sagement. « Après la guerre, Wonder Woman a suivi le destin de milliers de femmes américaines qui ont travaillé pendant la guerre et à qui on a dit une fois la paix venue que non seulement leur travail n'était plus nécessaire mais qu'il menaçait la stabilité de la nation en sabotant l'autorité masculine », résume Jill Lepore. Le personnage connaît sa première révolution en 1968 (normal), avec un run intitulé The New Wonder Woman qui lui enlève son costume classique et la transforme en super-Emma Peel de Chapeau melon et bottes de cuir. Elle devient en parallèle une icône des mouvements féministes des années 60-70, ce qui effraie DC Comics : en 1972, une série de six épisodes où Diana Prince devait affronter dans chacun -en hommage aux combats de l'héroïne dans les années 40- un aspect de l'oppression contre les femmes est annulée après le premier épisode. Du côté du petit écran, 1967, un pilote de série télé en live (Who's Afraid of Diana Prince ?) monté à la suite du succès de la série télé Batman avec Adam West ne convainc personne. Sept ans plus tard, après un téléfilm Wonder Woman avec Cathy Lee Crosby, la fameuse série télé en trois saisons (1975-1978) avec l'ex-Miss Monde Lynda Carter fera beaucoup pour faire connaître le personnage dans le monde. En France, la première saison de la série fut diffusée dès 1977, mais c'est sa rediffusion (1987-1991) sur la Cinq de Berlusconi avec les saisons 2 et 3 inédites qui marquera les esprits. Il faudra bel et bien attendre 1986 pour que Wonder Woman retrouve ses couleurs les plus éclatantes : une résurrection dont l'éclat portera loin, jusqu'en 2017 et au-delà.

Bande-annonce de Wonder Woman :