La Petite dernière
June

Elle réussit brillamment son entrée en compétition avec ce récit d’émancipation d’une jeune lesbienne de confession musulmane. Et révèle une actrice renversante : Nadia Melliti.

Hafsia Herzi est en train de vivre une année qui restera forcément à part dans son parcours, même si celui-ci déjà connu son lot de grands millésimes. Car, quelques mois après son César de la meilleure actrice pour Borgo, la voici invitée pour la première fois à participer à la course à la Palme d’Or, dans un festival de Cannes où elle a escaladé jusqu’ici toutes les marches (Tu mérites un amour à la Semaine de la Critique en 2019, Bonne mère à Un Certain Regard en 2021) sans jamais se prendre les pieds dans le tapis. Et ce baptême du feu restera inoubliable. Pour elle comme pour nous.

Un geste de cinéma d’une grande maîtrise et d’une grande pureté, prolongeant en montant encore de plusieurs crans ce qui a fait le sel de ses films précédents. Sa mise en scène vibrante qui magnifie les visages, les regards et les corps. Sa virtuosité dans l’art des dialogues. Sa capacité à distiller un humour irrésistible au sein des échanges les plus tendus, pour leur donner relief, naturel et profondeur. Sa maestria à orchestrer des scènes chorales agitées ou dansées que les moments intimes de découverte de la chair et de la passion amoureuse. 

La Petite Dernière
Copyright 2025 June films Katuh studio Arte France mk2films

Car dans cette adaptation du roman autobiographique de Fatima Daas, il est d’abord et avant tout question d’amour à travers le récit d’émancipation et de construction personnelle d’une jeune femme musulmane, Fatima, qui aime les femmes. Ce film, on le vit avec elle, à travers elle, ses hontes, ses doutes, ses emballements du cœur, ses éclats de rire, ses larmes sa première rupture douloureuse car incompréhensible pour elle…

Par ce parti pris, Hafsia Herzi évite tous les passages obligés – la confrontation aux parents comme à un Imam - ou plutôt les réinvente. Les emmène, tant par leurs positions dans le film que par ce qui s’y dit et s’y échange, toujours loin de ce qu’on aurait pu pressentir. Ce faisant, elle n’enferme ainsi jamais son personnage dans une communauté ou une religion. Ce que Fatima traverse, toute jeune femme mue par une foi religieuse – chrétienne, juive ou autre – le traverserait en se posant les mêmes questions liées au fond non pas tant à ce que les autres peuvent penser d’elle qu’aux contradictions qu’elle vit en son for intérieur.

Hafsia Herzi sur le tournage de La petite dernière
Chloé Carbonel

Dans la même logique, l’amour, cœur vibrant du récit, passe ici d'abord et avant tout par les baisers et les mots (scène irrésistible de son premier date avec une femme plus âgée qu’elle qui l’initie par un sens bien à elle de la description au plaisir de la chair décuplé entre femmes). Pas par peur des corps bien au contraire, le cinéma d’Hafsia Herzi est tout entier dédié à eux. Mais parce que là encore, elle nous place dans la tête de son personnage et donc sa manière de vivre ces moments-là. Et réussit à faire ainsi plus que jamais sien  – donc à le réinventer – l’héritage de celui qu’elle considère comme un de ses mentors, Abdel Kechiche, qui l’avait révélée avec La Graine et le mulet.

Avec Kechiche, Hafsia Herzi partage aussi le sens du casting et de la direction d’acteurs, ici tous amateurs ou peu expérimentés sur grand écran (dont Ji-Min Park, la révélation de Retour à Séoul voilà 2 ans ou Gabriel Donzelli, le fils de Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm) et tous saisissants de justesse car au diapason de cette manière organique qu’a Hafsia Herzi de filmer les scènes de groupe, d’y répartir la parole, de donner la sensation que tout est pris sur le vif alors qu’il n’en est évidemment rien.

Et puis au centre de cette troupe-là, il y a celle qui tient le rôle-titre de La Petite dernière. Nadia Melliti dont la présence, l’intensité, le charisme illuminent autant qu’il crèvent l’écran. Dans la tchatche comme dans l’écoute. Dans les moments où son personnage se fissure comme dans ceux où elle prend le lead, dans les mots comme dans les gestes et occupe tout l’espace. Plus qu’une simple révélation, un surgissement qui va de pair avec le sentiment d'accomplissement qu'on éprouve ici devant le cinéma d'Hafsia Herzi. Promesse de beaucoup d’autres à venir dans le futur ! 

De Hafsia Herzi. Avec Nadia Melliti, Ji Min- Park, Mouna Soualem... Durée: 1h46. Sortie le 1er octobre