L'Impasse est avant tout un festival Pacino
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Dix ans après Scarface, Al Pacino et Brian De Palma réinspectaient la mythologie gangster sous un angle désenchanté et mélo. C’était sans compter Sean Penn et ses postiches qui font basculer L’Impasse sur le boulevard du grand n’importe quoi.

Ce dimanche, Arte programme une soirée spéciale Al Pacino en proposant d'abord L'Impasse, de Brian De Palma, puis un documentaire sur l'acteur intitulé Al Pacino le Bronx et la fureur, qui est déjà visible sur le site de la chaîne. En novembre dernier, nous avions justement consacré un article au film, au moment de sa sortie en blu-ray 4K. Nous le partageons ici pour patienter jusqu'à 21h.

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Le monde a fini par lui appartenir mais ça s’est joué à rien. Avant de devenir l’un des films les plus influents des années 80, Scarface a d’abord été un semi-flop et un gigantesque défouloir critique (Raciste ! Dégénéré ! Vulgaire !) au moment de sa sortie. Évidemment le cinéma de Hong Kong, la culture hip-hop et des jeux comme GTA ont fini par modifier son destin et l’installer comme un classique pur jus, mais pfiou, à quoi ça a tenu ? À la seule insistance de la contre-culture. La trajectoire de L’Impasse est de son côté beaucoup moins divertissante. Pourtant, même semi-flop public, même torpillage critique (Chiant! Mou ! Académique !), et même réhabilitation peu de temps après la sortie (en 2000, Les Cahiers du cinéma l’élisent plus grand film des années 90, et pourquoi pas, tiens). Et depuis ? Eh bien, pas grand-chose. Le film appartient à ceux qui aiment le cinéma, ce qui fait quand même du monde, mais rien de bien comparable avec son prédécesseur en termes de postérité. Cette fois, la contre-culture n’a pas sauvé le film, et on la comprend. Sorti au moment où on fêtait les dix ans de Scarface, L’Impasse réunit à nouveau la même équipe (Oliver Stone est remplacé par Koepp au script) pour raconter à nouveau l’épopée urbaine d’un gangster latino, mais cette fois, sur un versant romantique et mélancolique. Un projet initié par sa star, qui venait de recevoir le premier Oscar de sa carrière, et pour lequel Brian De Palma, qui sortait des deux pires bides de sa vie, devait se mettre au service de Pacino.


 

FESTIVAL PACINO. De fait, L’Impasse est avant tout un festival Pacino, qui donne beaucoup de sa personne (sensationnel dans les scènes de danse, encore meilleur dans les scènes d’action) pour fabriquer un Tony Montana carburant désormais au Perrier citron et se déplaçant en métro. La star met beaucoup de ses obsessions shakespeariennes et pas mal de sa frime naturelle dans le rôle de Carlito Brigante, margoulin vieillissant qui rêve de soleil mais se fait systématiquement rattraper par le bitume. Le look n’a peut-être pas aussi bien vieilli que celui de Scarface (les lunettes de soleil plaquées or viennent gâcher quelques gros plans), mais la manière dont le repenti se trimbale d’un night-club à l’autre, avec un mélange de flegme et de peur au bide, est inouïe. La performance et l’inspiration semblent annoncer la poignée de très grands rôles qui vont suivre (Heat, Donnie Brasco, Révélations et L’Enfer du dimanche, tout de même), avant que l’an 2000 ne sonne l’heure de la mise en pré-retraite. L’Impasse c’est donc le moment que choisit Pacino pour réfléchir à voix haute sur sa carrière, dialoguer avec ses rôles d’antan, et amorcer le dernier acte de sa carrière. Il ne veut surtout pas refaire Scarface, il veut nous montrer qu’il est encore meilleur qu’à l’époque de Scarface. Aucun doute là-dessus, le proprio des lieux, c’est lui.

Le locataire, lui, n’a jamais brillé par sa discrétion, pourtant, ce film-là est probablement l’un des moins tapageurs de toute sa carrière. L’absence totale de cynisme, de sarcasme ou de mise à distance dont fait preuve ici Brian De Palma est sidérante – encore plus de la part d’un cinéaste qui sortait tout juste de L’Esprit de Caïn et du Bûcher des vanités. L’Impasse baigne dans un sentimentalisme absolument unique à l’intérieur de sa filmo. C’est ce qui en fait toute sa valeur d’autant plus qu’il n’équivaut ni à un travestissement, ni à un renoncement. C’est juste une occasion saisie au vol par le cinéaste : et si on filmait un gangster très amoureux de sa copine ? Les vignettes fleur bleue sont ravissantes (perché sur un toit, il l’observe répéter ses pas de danse au ralenti), les envolées de Joe Cocker bouleversantes (« You are so beautiful » calé à deux reprises pour accueillir vos sanglots) et tous les face-à-face entre Pacino et la portée disparue, Penelope Ann Miller, laissent la gorge aussi nouée que le final de Blow Out. C’est dire si c’est beau.

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SOMMET DÉSENCHANTÉ. Dans ce cas-là, pourquoi n’y aurait-il pas, d’un côté, le classique déchaîné, Scarface, et de l’autre, le sommet désenchanté, L’Impasse ? Pourquoi ce fossé entre les deux que le temps n’a jamais essayé de combler ? Peut-être parce que Sean Penn, tout simplement. Pas intimidé par la sobriété de la tête d’affiche, il tente ici un numéro de Tony Montana yuppie, avec semi-calvitie, bouclettes rouquines et paille dans le pif. Lorsqu’il vient se confronter à un Pacino complètement impavide, le film bascule dans une autre dimension à la fois méta (Al et son clone roux!), vaguement divertissante (des piscines, de la coke, des mafieux, du Z!), mais toujours accablante. C’est la partie défouloir d’une œuvre qui semblait n’aspirer qu’au classicisme et à l’élégance. Pas de rédemption possible ni pour Carlito Brigante, ni pour le duo d’éternels cabots Pacino/De Palma. C’est la morale de l’histoire : nos vieux démons nous rattrapent toujours, même sur le quai de la gare. Et à la fin, ils nous collent trois balles dans le buffet.

Mais qui a bien pu réhabiliter Cruising (La Chasse), le film maudit renié par Al Pacino ?