James Franco : "De Oz à Spring Breakers, c'est ce qui s'appelle un grand écart"
Mars Distribution

Il y a tout juste 10 ans, l'acteur évoquait dans Première sa collaboration avec le réalisateur Harmony Korine.

Le 6 mars dernier, nous fêtions les 10 ans de la sortie française de Spring Breakers. Décision assez rare dans le paysage cinématographique actuel, ce film de Harmony Korine est sorti aux Etats-Unis après son arrivée dans les salles de l'Hexagone, le 22 mars 2013. Alors joyeux anniversaire, again !

A l'époque, la rédaction avait rencontré toute l'équipe de ce long-métrage, après avoir été troublée par son visionnage. Voici notre critique, suivie de notre entretien avec son acteur principal masculin, James Franco.

L'avis de Première : Quatre naïades en bikini brandissant un flingue. Issue du cerveau déviant d’Harmony Korine, cette image d’innocence corrompue est la raison pour laquelle le réalisateur de Gummo a posé sa caméra en Floride. La bonne idée a été de prendre des actrices au visage juvénile telles que Selena Gomez et Vanessa Hudgens, stars de Disney Channel, pour les faire s'encanailler en les parachutant dans l’enfer paradisiaque du spring break, avec pour guide un dealer à dreadlocks nommé Alien (James Franco, génial).

Que leur veut cet improbable personnage bardé de breloques bling-bling, sorte de parodie white trash de gangsta rappeur, mi-Belzébuth, mi-bouffon ? Korine laisse planer le doute, conférant au film une tension malsaine et réversible : du détournement de mineures par un mac pervers au putsch girl power (voir l’incroyable basculement d’une scène de fellation simulée), il n’y a qu’un pas, qu’un plan, qu’il s’agit d’imposer avec la manière. Or le style, c’est la matière première du cinéma « ultrasensitif » d’Harmony Korine qui, par la grâce d’un montage musical hallucinogène, délivre un stupéfiant conte dark.

Bien et mal, rap hardcore et pop guimauve, fantasme MTV et cauchemar sous acide s’y télescopent pour entrer en résonance, puis en transe, composant un trip hypnotique dopé aux grosses basses et aux fulgurances poétiques. Ici, un braquage nocturne éclairé aux néons flashy ; là, une émouvante reprise d’une ballade de Britney Spears. Mélodie, tempo, Harmony.

Spring Breakers en couverture de Première
Première

Première : Vous avez été le premier acteur à rejoindre le casting de Spring Breakers...
James Franco : 
Harmony Korine et moi avons des amis en commun, et un an et demi environ avant le tournage de Spring Breakers, nous avons commencé à discuter d’une éventuelle collaboration. Il n’avait pas encore eu l’idée du film, mais nous avons décidé à ce moment-là de bosser ensemble. Puis Harmony a imaginé le concept de Spring Breakers et m’a envoyé une première ébauche de l’histoire. Je ne sais pas d’où il a sorti le personnage d’Alien, mais j’ai tout de suite été emballé. Il a ensuite casté les filles, et c’était parti.

Votre personnage joue un rôle déterminant dans le film, tant dans l’histoire qu’au niveau du ton. Vous êtes-vous impliqué dans sa création ?
C’est vraiment Harmony qui l’a construit. Spring Breakers a mis un an à se monter, et au cours de cette période, il m’a envoyé une tonne de photos et de vidéos pour m’aider dans mon interprétation. Des interviews de rappeurs, toutes sortes d’images pour me permettre de trouver la bonne attitude. Quand on est finalement arrivés à St. Petersburg, en Floride, là où s’est déroulé le tournage, il m’a fait rencontrer un rappeur nommé Dangeruss. Il apparaît à mes côtés dans la scène du concert et c’est devenu mon inspiration principale pour le rôle. On a pas mal traîné ensemble, il m’a raconté sa vie. Je lui ai emprunté beaucoup de choses, notamment sa façon de parler.

Quelles autres références Harmony Korine vous a-t-il soumises ?
Je ne connaissais pas la moitié des mecs qui étaient interviewés dans les vidéos qu’il m’avait envoyées, mais il y avait Lil Wayne, Yelawolf, Gucci Mane... Ce genre de gars.

Les dreadlocks, les dents en argent... J'imagine que la transformation physique vous a beaucoup aidé.
Une grosse partie du boulot avait déjà été faite lorsque j’ai enfilé le costume, c’est clair. Harmony voulait que je sois limite méconnaissable. Je savais qu’on irait assez loin. Du coup, je me suis dit qu’il était également important de creuser le côté humain du personnage, pour qu’il soit extrême sans non plus sombrer dans le cartoon. Je devais à tout prix l’ancrer dans la réalité.

Il est assez fascinant, peut jouer le rôle d’une figure paternelle pour ces filles, puis devenir carrément inquiétant en l’espace de quelques secondes.
Exactement. Sans cette ambivalence, Alien serait juste un bouffon, une blague. C’est parce que ses actes ont des conséquences dramatiques qu’on le prend au sérieux.

Harmony Korine : "Dans Spring Breakers, je voulais qu'on ait envie de lécher l'image"

Ça s’applique également au film, qui, derrière sa façade pop et sexy, tient un discours passionnant sur l’Amérique.
J’adore cette dualité. D’un côté, on peut y voir une critique acerbe de la superficialité de la pop culture et de la société de consommation, de cette quête égoïste du plaisir. Mais en même temps, il utilise les codes de cette culture : le côté flashy, le montage très rapide, qui sont d’ailleurs très attirants – la jeune génération n’y est pas sensible par hasard. Le film a assimilé tout ça dans la façon dont il est structuré et dont il a été tourné.

Dans son casting aussi...
Harmony a été extrêmement malin dans le choix de ses actrices, pour plein de raisons. Déjà, elles livrent de super performances. Parce qu’elles sont douées, bien sûr, mais aussi parce qu’elles étaient très excitées à l’idée de participer à un film comme celui-là, qui est à des années-lumière de tout ce qu’elles avaient tourné jusqu’à maintenant. L’opportunité de jouer des rôles « sérieux » les a poussées à offrir encore plus que ne l’aurait fait n’importe quelle actrice. Et parce qu’elles sont ce qu’elles sont, avec cette image qui leur est généralement associée, elles apportent une dimension supplémentaire à Spring Breakers, donnent encore plus de sens à ce que le film raconte, ce qui lui confère une force toute particulière.

Cette scène géniale dans laquelle vous interprétez un morceau de Britney Spears au piano, entouré des filles portant leurs cagoules roses, contribue à ce contraste. Elle est même étrangement émouvante.
(Rire.) C’est vrai et ça rejoint ce que je disais juste avant. Ça peut paraître assez ridicule au départ qu'un personnage comme Alien se mette à interpréter une chanson de Britney Spears en la présentant comme l’une des grandes artistes de notre époque, mais c’est fait avec une telle sincérité que ça en devient touchant. La scène capte un truc très contemporain.

Spring Breakers
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Avez-vous participé à des spring breaks lorsque vous étiez plus jeune ?
Non. J’ai étudié à UCLA, à Los Angeles, mais j’ai quitté la fac quand j’avais 19 ans pour débuter ma carrière d’acteur. J’y suis finalement retourné, mais j’avais alors 27 ans. C’était trop tard pour partir en spring break. J’aurais eu l’air con entouré de gamins en maillots de bain... (Rire.)

Vous comprenez la fascination que suscite ce phénomène ?
Je vois très bien ce qui a pu attirer Harmony dans ce sujet. Comme tous ceux qu’il a explorés dans ses précédents films, le spring break a quelque chose de séduisant et de repoussant à la fois. Je comprends le principe et je trouve plutôt salutaire que les jeunes aient cette opportunité de se lâcher, de libérer ce genre d’énergie. L’humanité fait ça depuis des centaines d’années d’une manière ou d’une autre. Évidemment, certaines personnes poussent les choses jusqu’à l’extrême, et ce n’est pas toujours beau à voir...

Spring Breakers va conforter un peu plus votre statut d’acteur imprévisible... Vous en êtes fier ?
J’ai besoin d’explorer sans cesse des univers différents, c’est d’ailleurs pour ça que j’ai voulu devenir comédien. Si j’arrive encore à surprendre et en plus à être convaincant, alors oui, je pourrai en tirer une certaine fierté.

Le public français va pouvoir en juger très vite puisqu’il vous verra dans Spring Breakers et, une semaine plus tard, dans Le Monde fantastique d’Oz, de Sam Raimi...
C’est ce qui s’appelle un grand écart. (Rire.)

Interview Mathieu Carratier


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